Amin Maalouf: “les désorientés”
Nous connaissons Amin Maalouf et ses nombreux ouvrages qui lui valurent son siège à l’Académie Française. Le livre d’aujourd’hui est comme une suite aux deux ouvrages précédents, d’une part « Les identités meurtrières » et d’autre part « Le dérèglement du monde ». Il s’agissait pour l’auteur d’offrir une réflexion sur l’état du monde et de nos sociétés. Maintenant, il va pour ainsi dire, tourner autour des mêmes problèmes mais sous la forme d’un roman. Il nous fait rencontrer sous forme d’auto-confidences les hommes et les femmes dont il puise les caractères dans ses souvenirs de jeunesse ; à tel point qu’il peut dire que même s’il s’agit d’un roman, « aucun des personnages n’est entièrement imaginaire. »
Avec un des héros du livre, nous sommes donc invités à regarder l’autre, l’émigré ou l’Arabe toujours sur place, avec sa pleine humanité semblable à la nôtre. Et si certains de ses agissements ou réactions nous choquent et nous dérangent, nous devons en retrouver les raisons culturelles ou historiques pour les intégrer dans notre vision du monde d’aujourd’hui. Ainsi ce livre pourra faire naître en nous une certaine sympathie pour ces hommes et ces femmes dont la vie a été secouée ou chamboulée par des luttes et des conflits dont ils ne sont pas les maîtres.
Ce roman n’a donc rien d’excitant car on n’y trouve pas de véritable intrigue si ce n’est de savoir si nos héros vont réussir ou non à surmonter leurs malaises et retrouver une certaine joie de vivre. Vous aimerez donc parcourir ce milieu du Moyen Orient, toujours marqué par les séquelles de la guerre et des conflits qui ont marqué leur pays d’une cicatrice indélébile. Vous entendrez de la bouche même de nos héros, l’évocation de leurs frustrations et rancœurs qui les minent de l’intérieur. Tous semblent se retrouver autour d’un constat d’échec tel que Naïm l’exprime : « L’histoire des nôtres, de nos familles et de notre bande d’amis, celle de nos illusions et de nos égarements, n’est pas intéressante à raconter parce qu’elle est un peu aussi l’histoire de notre époque, de ses illusions, justement comme de ses égarements. » (p.284) Et, un peu amer, celui-ci pourra conclure : « Comment cesser d’être un agneau sans devenir un loup ? » (p.288)
C’est ainsi que nos héros de ce roman sont devenus et restent des « désorientés » qu’ils vivent au Brésil, aux Etats Unis, en France ou juste restés dans leur pays d’origine, là où sont leurs racines. Tout au long de cette longue lecture (525 pages) on pourra réaliser que la situation humaine du Moyen Orient est loin d’être aussi simple qu’on puisse le penser à partir de l’Occident. Un livre un peu long mais intéressant et qui nous invite à regarder d’un autre œil ces hommes du Moyen Orient et dont certains sont devenus nos voisins dans nos villes occidentales. Gilles Mathorel
Amin MAALOUF. Les désorientés. Grasset 2012 /Edition de poche 2014