Agri-tech : ces jeunes pousses de la transformation agricole

Protéines durables, produits premium, technologies pour fluidifier la chaîne de production… Les start-up EntomoNutris, Jus Délice et Releaf parient sur l’innovation pour valoriser les richesses du continent.

Mis à jour le 14 août 2022 à 16:49
 
 
 

 

 ikenna

 

Ikenna Nzewi. © DR

 

• Ikenna Nzewi – Releaf (Nigeria) 

Industrialiser la transformation alimentaire grâce à la technologie, c’est le rêve de Ikenna Nzewi, PDG et co-fondateur de Releaf, une start-up nigériane qui développe des solutions techniques et technologiques mettant en relation agriculteurs et usines agroalimentaires, l’un des points faibles du continent.

Ikenna Nzewi était encore étudiant à Harvard, en 2017, quant l’idée lui est venue. Il est parti du constat que, dans son pays, la chaîne de valeur était peu efficace, à la fois en termes de production et de transformation, sur un marché de l’huile végétale qui, selon Releaf, représente pourtant près de 3 milliards de dollars par an.

Le secteur est encore très fragmenté, les petits exploitants de palmiers à huile représentant de 80% de la production totale sur plus de 1,6 million d’hectares à travers le pays. Mais, en raison des insuffisances techniques des récoltes et d’une mauvaise gestion des stocks, les fabricants se heurtent à deux problèmes : une matière première de mauvaise qualité et des pertes au cours de la collecte.

À LIRERDC : Bénédicte Mundele réussit le pari de la transformation agricole

C’est alors qu’interviennent les solutions innovantes de la start-up. Parmi elles : un outil de géolocalisation permettant d’identifier les usines les plus proches des producteurs (ou de déterminer le meilleur endroit où implanter une usine en fonction de la production) ; une technologie facilitant le cassage de la noix, utilisée dans une usine d’une capacité de 500 tonnes de noix par mois à Uyo ; un logiciel permettant aux producteurs partenaires de gérer leurs stocks. Autant d’outils destinés à décentraliser la transformation agricole, l’une des clés du succès selon Releaf.

En seulement dix-huit mois d’activité, la start-up a développé un réseau de 1 000 petits exploitants fournissant aux usines alimentaires plus de 10 000 tonnes de noix. Elle a aussi investi dans l’amélioration des équipements des usines, et projette d’étendre son modèle à d’autres produits agricoles. Pour l’instant en phase d’amorçage, Releaf a bouclé un premier tour de table de 2,7 millions de dollars mené par Samurai Incubate Africa, Future Africa et Consonance Investment Managers avec la participation de Stephen Pagliuca, président de Bain Capital, et de Justin Kan (Twitch). L’agritech a également obtenu 1,5 million de dollars du Challenge Fund for Youth Employment (CFYE) et de l’USAID.

• Mohamed Derdour – EntomoNutris (Maroc) 

Il arrive que biologie et la technologie rencontrent l’agriculture. Diplômé de HEC Montréal en 2021, passé par le groupe marocain pharmaceutique MediPro Pharma et le géant GSK, Mohamed Derdour décide, dès 2020, de se lancer dans le business prometteur de l’élevage d’insectes, l’entomoculture, en créant sa start-up, EntomoNutris.

Persuadé que, face à la croissance démographique galopante (+ 7,6 % au niveau mondial, + 27 % en Afrique subsaharienne prévus entre 2020 et 2030), il faut trouver une solution durable pour assurer la sécurité alimentaire, il mise sur sur ce créneau pour répondre à la demande en viande.

Riches en protéines, en acides gras essentiels et en minéraux, les insectes présentent un fort apport nutritif. « Leur élevage requiert cent fois moins d’espace et 2 200 litres d’eau de moins que celui du bétail », souligne Derdour.

À LIRE« Alimentation de demain » : les insectes au secours de la santé et de l’environnement

Élue meilleure start-up de l’année dans trois concours d’entrepreneuriat marocain en 2022, EntomoNutris produit, dans un centre pilote à Marrakech, de la farine d’insectes destinée à l’alimentation animale (volaille). Produisant aussi des biofertilisants, issus des déjections de son élevage de mouches soldat noires et destinés à l’agriculture, l’aquaculture et le jardinage, elle travaille à la constitution d’un réseau de distribution et de commercialisation.

Selon des estimations de l’ONU, le marché mondial des insectes destinés à l’alimentation humaine et animale pourrait atteindre 8 milliards de dollars en 2030, soit un taux de croissance annuel de 24% au cours des dix prochaines années. En Afrique, l’élevage d’insectes nourris de déchets agricoles pourrait produire jusqu’à 2,6 milliards de dollars de protéines brutes et jusqu’à 19,4 milliards de dollars d’engrais biologiques. Le continent compte déjà plus de 850 structures d’élevage d’insectes, qui produisent des aliments destinés à la consommation humaine et animale.

La start-up, qui constitue une filiale au Canada, espère commercialiser 60% de ses produits au Maroc et 40 % sur le marché nord-américain. Elle envisage une levée de fonds pour hâter son développement, qui s’appuierait sur l’amélioration de son modèle d’élevage (« intelligent et connecté ») et sur la diversification de sa gamme de produits.

• Gustav Bakoundah – Jus Délice (Togo)

À la tête depuis 2012 de Label d’Or, le principal producteur et exportateur de produits bio au Togo, Gustav Bakoundah décide en 2017 de créer Jus Délice, spécialisé dans la transformation d’ananas bio. « Il fallait se positionner sur un produit premium pour se distinguer de la concurrence et trouver une solution au gaspillage des récoltes », explique le PDG, qui s’appuie sur un réseau de plus de 7 500 agriculteurs organisés en coopératives et répartis dans les filières ananas, papayes, mangues et oléagineux.

Après que des banques locales aient refusé tout net de financer Jus Délice, Moringa, un fonds d’investissement qui finance des projets agroforestiers à impact social en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud, se rapproche de la société en 2018 et entre à son capital en injectant 2,6 millions d’euros.

L’investissement a servi à la construction d’une usine de transformation moderne. Résultat, Jus Délice a une capacité de production de 4 000 tonnes de jus d’ananas par an, 220 litres étant par ailleurs distribués en fûts, par voie maritime, aux industriels embouteilleurs, traders et petits clients. Depuis 2020, l’entreprise double chaque année son chiffre d’affaires. Elle espère ainsi atteindre 4,2 millions d’euros en 2022.

À LIREQuel bilan pour l’usine Cémoi, petit Poucet de l’or brun ivoirien ?

Selon les dernières estimations du gouvernement togolais, la production d’ananas a crû de 11,6 % entre 2017 et 2019, passant de 27 000 à 30 149 tonnes. Principalement tournée vers l’exportation, la filière produit plus de 1 million de litres de jus d’ananas, dont 20% à destination du marché bio.

Jus Délice cible le marché européen, avec la France, l’Allemagne et les Pays-Bas comme principaux clients. Sous réserve de l’obtention de nouveaux financements, la start-up compte s’attaquer au marché américain, élaborer d’autres produits (confitures, fruits séchés), et se lancer dans la transformation du karité et des graines de soja, également produits par les exploitants du réseau Label d’Or.