Albert Pahimi Padacké: «Il faut que les Tchadiens tournent la page de la guerre»
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Au Tchad, c'est le 20 août que doit s'ouvrir le dialogue national inclusif annoncé depuis plus d'un an. Objectif : la fin des guerres à répétition et la tenue d'élections libres. Hier jeudi, deux importants chefs rebelles sont rentrés à Ndjamena. Mais demain, il y aura encore des absents de marque, car plusieurs opposants soupçonnent le président de transition, Mahamat Idriss Déby Itno, de vouloir s'accrocher au pouvoir. Entretien avec le Premier ministre du Tchad, Albert Pahimi Padacké.
RFI: Quel est l’enjeu de ce Dialogue national inclusif ?
Albert Pahimi Padacké : Après 60 ans d’indépendance, vous savez que nous n’avons pas eu une succession pacifique à la tête de l’État. Les Tchadiens dans leur ensemble sont fatigués de ce cycle à répétition de rebellions, et nous pensons unanimement qu’il faut que les Tchadiens tournent la page de la guerre et que désormais la dévolution du pouvoir au Tchad se fasse par les urnes et non par les armes.
Vous dites que c’est un dialogue inclusif, mais en l’absence, notamment sur le plan intérieur, de la coalition Wakit Tama et du parti des Transformateurs, ce ne sera pas inclusif, est-ce que vous ne le regrettez pas ?
Vous savez, pour nous, chaque Tchadien qui serait absent de cette messe de la paix, nous le regrettons évidemment. Nous restons ouverts à toutes les forces politiques et sociales du pays pour se retrouver dans cet élan patriotique de paix pour notre pays.
Autres grands absents, les rebelles du FACT [Front pour l'alternance et la concorde au Tchad] qui sont à l’origine de la mort du président Déby l’année dernière, pourquoi ne pas libérer leurs prisonniers, comme ils le demandent, afin qu’ils puissent rejoindre ce Dialogue ?
J’ai écouté comme vous le président du FACT lui-même dire qu’il ne s’agit pas de la question des prisonniers. De toute façon, le Président du Conseil militaire de transition et son gouvernement ont donné des gages, rarement vus dans le monde en pareilles circonstances. Vous avez vu l’amnistie générale accordée aux politico-militaires, alors même qu’ils n’avaient pas encore signé un accord. Vous savez que, dans de pareilles circonstances, c’est généralement des clauses de l’accord. Nous, simplement, je peux vous garantir, hier comme aujourd’hui, jusqu’à demain, que la main tendue du gouvernement de transition reste à l’égard de tous les Tchadiens politico-militaires ou les Tchadiens de l’intérieur qui veulent rejoindre le processus de paix.
Mahamat Mahdi Ali, le chef du FACT, peut-être ne veut-il pas rentrer de peur d’être attaqué par des membres de la famille du défunt président Déby, qu’est-ce qui garantit en effet qu’il pourra circuler dans N’Djamena en toute sécurité ?
Nous avons pris toutes les dispositions pour la participation paisible des politico-militaires au Dialogue national inclusif, et ceux qui sont arrivés également ont eu hier à faire face à l’armée nationale où des vies ont été perdues. Mais ces responsables sont aujourd’hui arrivés. Même hier matin encore, des chefs politico-militaires sont rentrés à N’Djamena. Ils seront protégés par le gouvernement de transition, par le Président du Conseil militaire de transition, et donc même Mahdi s’il venait à N’Djamena, il serait protégé.
L’une des principales critiques de ceux qui ne seront pas présents au Dialogue de demain, c’est que ce Dialogue est biaisé, car, sur les quelque 1 400 délégués, 1 200 sont proches du pouvoir et le Dialogue ne donnera rien…
C’est des préjugés. D’abord, sur 1 400 délégués, vous avez les partis politiques qui ne sont pas tous du même bord, vous avez ceux de la société civile qui ne sont pas du même bord, vous avez les délégations de provinces qui ne sont pas du même bord, vous avez les politico-militaires qui arrivent qui ne sont pas du même bord, alors comment dire qu’on a des statistiques qui montreraient que le pouvoir aurait un tel nombre au sein du Dialogue ?
Autre critique des futurs absents, ce Dialogue ne sera pas souverain, car le caractère souverain n’est pas consacré dans la charte de transition…
Mais hier encore, le Président du Conseil militaire a signé un décret consacrant la souveraineté du Dialogue national inclusif, dont il est le garant, comment peut-on avoir des doutes à ce niveau ?
Surtout, les futurs absents disent que ce Dialogue ne servira à rien si le Président de la transition, Mahamat Idriss Déby Itno, ne prend pas l’engagement de se retirer du pouvoir à la fin de la transition…
Mais si toutes les décisions devaient être prises avant même d’entrer en salle, mais pourquoi nous nous réunissons dans un Dialogue ?
En juin 2021, quand Jeune Afrique lui a demandé s’il serait candidat ou non à la présidentielle, le Président de la transition n’a pas répondu clairement, il a remis son destin à « Dieu », est-ce à dire qu’il peut être candidat à la prochaine élection présidentielle ?
Pour l’instant, je n’ai pas de boule de cristal, ce que je sais, c’est que les Tchadiens débattront de toutes ces questions sans tabou et décideront souverainement de ce qu’il y a lieu de faire.
Est-ce que le Dialogue ne pourrait pas partir sur des bases plus positives si d’entrée de jeu le Président de la transition disait : « À la fin de la transition, je ne serai pas candidat » ?
Mais pourquoi devrait-il le dire à l’entrée du Dialogue, alors que nous allons justement au Dialogue pour traiter de ces questions ? Il n’y a pas de raison que le Président du Conseil militaire de transition pirate la souveraineté du Dialogue qui doit commencer demain. Il faut que les Tchadiens eux-mêmes, yeux dans les yeux, décident souverainement de ce qu’il y a lieu de faire pour l’avenir de leur pays.
Est-ce que l’inéligibilité des membres actuels de la transition est à l’ordre du jour ?
Tous les sujets sont à l’ordre du jour du Dialogue national, aucun sujet n’est tabou.
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