Sénégal : Mimi Touré peut-elle perdre son mandat de députée ?

Après que l’ancienne Première ministre a rompu avec le groupe parlementaire de la majorité présidentielle, son départ de l’Assemblée nationale n’est pas à exclure.

Mis à jour le 30 septembre 2022 à 08:15
 
 

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Aminata « Mimi » Touré, ancienne Première ministre du Sénégal. © Sylvain Cherkaoui pour JA.

Le pari est risqué. Le 25 septembre, lors d’une conférence de presse tenue à Dakar, l’ancienne Première ministre Aminata Touré, surnommée « Mimi », a-t-elle joué avec le feu en annonçant, parmi d’autres déclarations fracassantes qui scellent sa rupture avec le président Macky Sall, qu’elle comptait désormais siéger à l’Assemblée nationale en tant que députée non inscrite ?

« Je ne vais pas quitter l’Assemblée nationale. Je suis dans cet hémicycle pour défendre les intérêts des Sénégalais. Je ne suis pas la députée de qui que ce soit. Je suis là pour le peuple », a alors déclaré Mimi Touré. La députée se prévalait ainsi de l’article 22 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, lequel stipule que « les modifications apportées à la composition d’un groupe parlementaire seront portées à la connaissance du président de l’Assemblée nationale sous la signature du député intéressé s’il s’agit d’une démission du groupe parlementaire ».

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« Le règlement intérieur est très clair : un député peut quitter son groupe parlementaire », indique-t-elle à Jeune Afrique, ajoutant au passage que « ceux qui me demandent de rendre mon mandat à BBY [Benno Bokk Yakaar, mouvance présidentielle] n’ont qu’à me rendre la peine des 5 175 km que j’ai accomplis durant la campagne pour leur permettre, à eux, d’être députés ».

Députée frondeuse

« Il faut que je prenne mon indépendance et je vais écrire au président de l’Assemblée pour être une députée non inscrite », annonçait encore Aminata Touré, assumant ainsi de rompre le fil qui la reliait depuis 2012 au camp au pouvoir. Ce 27 septembre, dans un courrier adressé au nouveau président de l’Assemblée nationale, Amadou Mame Diop, la députée frondeuse a mis sa menace à exécution : « Conformément aux dispositions de l’article 22 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, je viens vous informer par la présente lettre de ma décision d’être désormais député[e] non inscrit[e]. »

Outre le revirement inattendu de cette fidèle de la première heure de Macky Sall, qui s’estime trahie après que le chef de l’État lui a préféré Amadou Mame Diop pour occuper le perchoir, l’annonce faite par la tête de liste nationale de la coalition BBY aura d’autres incidences qui font actuellement débat au Sénégal.

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Car si Mimi Touré tourne casaque et rejoint le petit bloc des non-inscrits, cela placera, bien sûr, les parlementaires de la majorité dans une situation délicate. À l’heure actuelle, un seul siège leur permet de détenir la majorité absolue à l’Assemblée. Si leur camarade devait quitter le groupe BBY, ils ne disposeraient donc plus, sur le papier, que de 82 députés sur 165, ce qui rendrait délicate la fin du second mandat de Macky Sall.

Un départ « automatique » ?

Secrétaire général du parti And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/Pads, opposition), Mamadou Diop Decroix connaît de longue date les arcanes de l’Assemblée nationale, où il a siégé de nombreuses années – et jusqu’aux législatives de juillet 2022 – et ce genre de scénarios. « Ces députés qui changent de camp en cours de législature, nous avons vu ça à partir de 1978, lorsque le PDS [Parti démocratique sénégalais] est entré pour la première fois dans l’hémicycle, déclare-t-il à JA. À l’époque, le Parti socialiste, alors au pouvoir, avait incité des députés libéraux à transhumer, ce dont le PDS d’Abdoulaye Wade avait beaucoup souffert. C’est pourquoi, lors de sa prise de fonction, en 2000, le président Wade a institué les dispositions relatives à ces changements de camp intempestifs afin d’enrayer le phénomène. Nous l’avions alors soutenu dans cette démarche. »

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Encore faudrait-il être sûr qu’Aminata Touré puisse mettre sa menace à exécution sans que cela ne prête à conséquences. Et là, les choses se compliquent. Membre historique de l’Alliance pour la République (APR, le parti fondé par Macky Sall à la fin de 2008), élue sous l’étiquette de Benno Bokk Yakaar, Aminata Touré se retrouve en effet confrontée aux dispositions prévues à l’article 7 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, lesquelles sont reprises, au mot près, dans l’article 60 de la Constitution : « Tout député peut se démettre de ses fonctions. Tout député qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat. »

Mimi Touré, qui vient de prendre bruyamment ses distances avec le chef de l’État, dont elle a été par deux fois la directrice de campagne lors de la présidentielle (en 2012, puis en 2019), la ministre de la Justice (2012-2013), la Première ministre (2013-2014), l’envoyée personnelle (2015-2019), puis la présidente du Conseil économique, social et environnemental (2019-2020), pourrait-elle connaître un tel sort ?

Des précédents contradictoires

Sur ce point, les avis sont partagés. Un ancien élu de l’opposition veut croire que l’article 7 ne saurait s’appliquer à la situation actuelle de Mimi Touré. « La loi parle d’un député qui quitte son parti. Mais dans son cas, c’est une coalition qui l’a portée dans l’hémicycle », indique-t-il, concluant que « normalement, sa démission du groupe BBY ne devrait pas avoir d’incidence sur son mandat ». Une version confirmée par un avocat sénégalais au fait de ces questions.

Toutefois, un juriste qui connaît bien ce genre de dossiers émet un avis opposé. Il rappelle en effet que l’article 22 du même règlement intérieur prévoit que « les modifications apportées à la composition d’un groupe seront portées à la connaissance du président de l’Assemblée nationale, sous la signature du député intéressé s’il s’agit d’une démission, sous la signature du président du groupe s’il s’agit d’une radiation ».

« Ce type de décision est très politique, analyse Mamadou Diop Decroix. Elles sont appliquées en fonction de l’humeur du moment. » Un exemple récent suffit à l’illustrer. En mars 2021, le député Déthié Fall avait quitté le parti Rewmi après seize années de compagnonnage aux côtés d’Idrissa Seck. Il a pourtant conservé son siège de député sans qu’il ne soit question d’une quelconque radiation. Avant lui, la question s’était déjà posée au sein du même parti quand, en 2013, Idrissa Seck avait décrété que Rewmi quittait la coalition présidentielle BBY. Là aussi, nul député du parti n’avait été déchu de son mandat.

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Selon notre juriste, Aminata Touré pourrait toutefois s’exposer à une jurisprudence qui, en 2009, avait valu à deux députés du PDS, alors au pouvoir, de se retrouver mis à la porte de l’Assemblée nationale. Moustapha Cissé Lô et Mbaye Diagne avaient en effet été considérés comme démissionnaires après avoir tenu des déclarations susceptibles d’être vues comme un reniement de leur famille politique. Au vu de cette jurisprudence, l’on imagine que les représentants de la coalition présidentielle dans l’hémicycle ne se priveront pas de crier haro sur la dissidente, réclamant qu’elle soit déchue de son mandat. Dans un tel scénario, selon notre ancien député, « c’est la candidate venant après la dernière candidate élue sur la liste des titulaires qui prendrait sa place », parité oblige.

Une option qui aurait le mérite, pour BBY, de retrouver une majorité absolue chèrement conquise. Et qui aboutirait à éjecter, du même coup, Mimi Touré de l’Assemblée. Sollicité par JA, Abdou Mbow, le premier vice-président de l’Assemblée nationale, membre du parti présidentiel, n’avait pas répondu à l’heure de la publication de cet article.