« Au Togo, l’alternance est pour bientôt », selon Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson

Préparation des prochaines élections, relations avec le pouvoir et les autres partis de l’opposition, lutte contre le terrorisme… La coordinatrice de la Dynamique Mgr Kpodzro, qui était la porte-parole du candidat Agbéyomé Kodjo lors de la dernière présidentielle, répond aux questions de JA.

Par  - À Lomé
Mis à jour le 9 octobre 2022 à 10:09
 

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Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, à Lomé. © Ange Obafemi/Panapress via MaxPPP

 

Secrétaire générale de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA), à 63 ans, Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson cumule les fonctions au sein de l’opposition togolaise. Également coordinatrice de la Dynamique Mgr Kpodzro (DMK), elle a été la porte-parole de l’ex-Premier ministre Agbéyomé Kodjo alors qu’il était candidat à la présidentielle du 22 février 2020. Selon les résultats officiels – que son groupement refuse toujours de reconnaître –, ce dernier est arrivé deuxième avec 19,46 % des suffrages exprimés, derrière Faure Essozimna Gnassingbé (70,78 %) et devant Jean-Pierre Fabre (4,68 %),

La juriste, qui a par ailleurs été, en 2010, la première femme du pays candidate à une élection présidentielle, explique la situation de l’opposition aujourd’hui et ses objectifs, en particulier dans la perspective des élections régionales et législatives, prévues respectivement au début et à la fin de 2023.

Jeune Afrique : Deux ans après la présidentielle de 2020, vous persistez à réclamer la victoire de votre candidat, Agbéyomé Kodjo. N’est-il pas temps de passer à autre chose ?

Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson : Le temps ne compte pas pour mener ce combat. Cela fait plus de deux ans certes, mais cette question continue de préoccuper les Togolais comme si c’était hier. Renoncer à discuter du contentieux électoral né de la présidentielle, c’est sacrifier l’alternance au Togo, cette alternance que nous recherchons depuis plus de trente ans et qui est reconnue comme quelque chose de normal dans tout pays démocratique.

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Ce 22 février 2020, nous avons compris que les Togolais, en allant exprimer leur suffrage, disaient « oui », qu’ils sont d’accord pour aller enfin vers l’alternance. C’est une responsabilité énorme pour le candidat de la DMK, Agbéyomé Kodjo, et pour nous qui sommes de la DMK, de faire en sorte de ne pas leur laisser un goût d’inachevé et qu’ils voient qu’ils n’ont pas voté pour rien. Nous en appelons donc à des discussions franches sur ce sujet important, pour garantir aux Togolais que cet épisode ne se répètera pas.

Concrètement qu’attendez-vous ?

Il faut que l’on trouve des solutions durables pour apaiser les Togolais. Mais nous ne pouvons pas passer l’éponge. Nous pensons qu’il est normal d’opérer un transfert du pouvoir s’il s’avère que, au terme des discussions, il n’a pas été tenu compte des suffrages des Togolais. Ces derniers ont tellement subi qu’ils ne sont plus prêts à accepter de compromis boiteux, quel qu’il soit. Nous ne voulons d’aucun compromis aboutissant au statu quo.

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Quand et avec quel statut Agbéyomé Kodjo peut-il revenir au Togo ?

Comme tout Togolais, nous demandons le retour de ceux qui ont dû partir parce qu’il leur est reproché de s’être mêlé de la gestion politique du pays ou d’avoir exercé leur droit de citoyen. Agbéyomé Kodjo doit revenir, d’une part, en tant que candidat reconnu (selon les résultats, que nous contestons) être arrivé deuxième à l’issue de la présidentielle de 2020. Et, d’autre part, en tant que victime de violations des droits de l’homme, lesquelles ont été reconnues par la Cour de justice de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest], qui a condamné l’État togolais et lui a demandé de réparer les torts causés. Créer les conditions du retour d’Agbéyomé Kodjo dans son pays fait justement partie de cette réparation.

L’arrêt de la juridiction de la Cedeao implique aussi que les poursuites judiciaires engagées par l’État togolais contre Agbéyomé Kodjo et contre tous les membres de la DMK soient annulées, car ils n’ont plus de raison d’être.

AU VU DE LA SITUATION DE VIE CHÈRE, IL EST ÉTRANGE DE VOULOIR MOBILISER DES MILLIARDS DE FRANCS CFA DANS DES ÉLECTIONS RÉGIONALES

En 2023 auront lieu les premières élections régionales du pays, qui parachèvent le processus de décentralisation. Serez-vous au rendez-vous, comme lors des municipales de 2019 ?

Au vu de la situation de vie chère, il paraît étrange de vouloir mobiliser des milliards de francs CFA dans des élections régionales alors même que le premier niveau de la décentralisation, qui est le communal, n’est pas encore maîtrisé. Ces régionales ne sont pas opportunes et nous nous opposons à leur organisation coûte que coûte, parce qu’elles visent à installer ensuite un Sénat, lequel servira de maison de retraite et créera des charges supplémentaires pour les Togolais.

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Un autre grand sujet d’actualité est la lutte contre le terrorisme, autour de laquelle les autorités souhaitent un front uni avec les acteurs politiques. Y êtes-vous favorable ?

Le front uni s’impose, mais seuls les actes posés créeront cette alliance. Cela ne se décrète pas. Nous sommes dans un pays dont les dirigeants pensent, depuis plusieurs décennies, que tout se décrète et s’obtient de force, mais une telle pratique a ses limites.

C’est pour cela que la DMK en appelle à un sursaut patriotique. Il faut arrêter les subterfuges, comme cette rencontre avec la Première ministre, Victoire Tomégah-Dogbé, que l’on veut faire passer pour un « dialogue avec la classe politique ». Les Togolais ne sont plus dupes… D’aucuns se demandent d’ailleurs pourquoi le chef de l’État donne l’impression de ne pas vouloir rencontrer son opposition.

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Qu’auriez-vous fait si vous étiez au pouvoir ?

Je sais que ce n’est pas facile, mais j’aurais pris mon courage à deux mains et assumé mes responsabilités en tant que première responsable. J’aurais arrêté d’écouter les mauvais conseillers qui sont autour de moi et dit : « J’aime mon pays, il est en danger, je suis la seule à pouvoir faire ce qu’il faut. » Et j’aurais appelé mes opposants, mes vrais opposants – pas mes amis, comme on le fait actuellement au sein du cadre permanent de concertation –, ceux qui ne partagent pas ma vision, et nous aurions échangé, même si cela risquait de me coûter le pouvoir. Car là où il y a des échanges sérieux entre des gens de bonne volonté jaillissent des solutions qui peuvent sauver.

Entre l’Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre et le Parti national panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam, quelle place reste-t-il aujourd’hui aux partis membres de la DMK au sein de l’opposition ? 

Nous sommes ouverts et discutons avec d’autres partenaires. L’idéal est que tout le monde revienne à la raison et comprenne que nous n’en sommes pas encore au stade où nous pourrions faire jouer le pluralisme politique et la compétition entre partis… Parce que, justement, ce pluralisme nous a été jeté à la figure comme un appât, dans le but de nous diviser.

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À ce stade, nos différentes chapelles et intérêts partisans ne doivent pas prévaloir sur notre lutte politique. Il faut que nous nous unissions pour instaurer véritablement des institutions républicaines qui jouent leur rôle et pour créer les conditions d’une compétition saine entre partis politiques.

NOUS SOMMES LES HÉRITIERS DE CETTE LONGUE LUTTE QUE LES TOGOLAIS ONT ENGAGÉE DEPUIS PLUSIEURS DÉCENNIES

Croyez-vous toujours à l’alternance au Togo ?

Ô que oui ! Et je pense que nous n’en sommes plus loin. C’est pour cela que je voudrais exhorter les Togolais à davantage de détermination et à se dire que, si nous intensifions les actions, l’alternance est pour bientôt.

Les Togolais donnent l’impression d’être résignés, mais si l’on continue de les pousser à bout, nous risquons tous d’en payer le prix. Je suis convaincue qu’en continuant à nous battre, nous irons à l’alternance, parce que nous apprenons de notre cheminement. Et si la DMK est sur cette position aujourd’hui, c’est parce que, justement, nous avons tiré les leçons de ce cheminement. Nous sommes les héritiers de cette longue lutte que les Togolais ont engagée depuis plusieurs décennies.

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Vous militez depuis les années 1990. Pensez-vous à prendre votre retraite ?

[Rires] Pour moi, c’est une mission. Et cette mission, on l’exerce à vie. Peut-être que je ne resterai pas dans mes fonctions actuelles, ni n’occuperai toujours des responsabilités de premier plan. Je me bats pour la démocratie et cela suppose qu’il y ait du changement, une rotation. Ce serait normal de quitter un jour mes fonctions pour devenir une simple militante de base, jusqu’à ma mort. Et même si je n’ai plus de responsabilités, je continuerai à apporter la contribution qui correspond à ma position.

Quelle a été votre principale force ?

C’est ma conviction, celle de devoir contribuer à changer ma société positivement. C’est aussi ma foi. Les deux sont liées et me permettent de rester dans ce combat depuis plus de trente ans, même si on n’a l’impression que les choses ne bougent pas ou très peu, même si l’on reçoit des coups de toutes parts.

Ce qui explique que certains vous surnomment « la dame de fer »…

Mais ce n’est pas le cas, car cela impliquerait un être surnaturel, qui ne ressent pas tout ce qu’un humain ressent. Je souffre, comme tout le monde, je ressens l’échec et je ne suis pas une super-femme. J’essaie d’avancer en dominant ma peur, qui est un sentiment naturel. Je suis juste une femme comme toutes les autres.