Togo : Laurent Tamegnon, un (ré)conciliateur à la tête du patronat

Depuis cinq ans, l’homme d’affaires a réussi à fédérer et à remobiliser les entrepreneurs. Une tâche ardue qu’il a menée au risque de mettre en péril ses propres sociétés. Rencontre avec un capitaine d’industrie opiniâtre, qui entame son second mandat en tant que « patron des patrons » togolais.

Par  - Envoyé spécial à Lomé
Mis à jour le 12 octobre 2022 à 16:04
 laurent
 
 

Laurent Tamegnon. © MONTAGE JA : Marcel Amouzou pour JA.

 

LE PORTRAIT ÉCO Reconduit en mars 2022 à la présidence du Conseil national du patronat du Togo (CNP-Togo) pour un second mandat de cinq ans, Coami Sedolo Laurent Tamegnon a réussi à fédérer les capitaines d’industrie du pays et à faire de leur instance faîtière un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Regroupant désormais 24 associations professionnelles, soit 1 400 entreprises, l’organisation avait en effet traversé une profonde crise pendant quatre ans, jusqu’à ce que le fondateur de Sanecom International en soit élu président – à l’unanimité –, en février 2017. Depuis, le conseil semble avoir retrouvé sa sérénité et, surtout, son rôle de force de proposition dans les choix stratégiques de l’État pour pérenniser le développement du Togo.

Le CNP a notamment ramené en son sein l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers (Apbef) et l’Association des grandes entreprises du Togo (Aget), qui compte 65 entreprises membres, représentant quelque 1 100 milliards de F CFA (1,67 milliard d’euros) de bilan et 17 000 salariés au 31 décembre 2021. « Aujourd’hui, nous travaillons en tandem avec l’Aget, qui n’entreprend rien sans consulter le patronat, et vice-versa », précise Laurent Tamegnon. « Auparavant, l’Aget et le CNP entretenaient des relations mitigées. Par la concertation permanente, nous sommes parvenus à améliorer nos rapports et nous échangeons désormais régulièrement », confirme Jonas Aklesso Daou, patron de Zener (ex-Sodigaz) et président de l’Aget. Et d’ajouter : « Au début de la présidence de Tamegnon, le CNP traversait des moments difficiles. Il a su apporter une certaine sérénité et une stabilité au patronat. »

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Commis au service des entreprises

Pour réunir et mobiliser le patronat togolais, l’homme d’affaires s’est appuyé sur de solides relais, comme le vice-président du CNP, Thierry Awesso, PDG de la Nouvelle industrie des oléagineux du Togo (Nioto, filiale d’Advens Geocoton), ou encore Yiva Kodjo Badohu, le puissant dirigeant de Togo Food, qui préside par ailleurs le Mécanisme incitatif de financement agricole (Mifa).

Avant d’être élu à la tête du CNP, Laurent Tamegnon a dirigé l’Association des sociétés de zone franche (Asozof), qui rassemble une soixantaine de sociétés, représentant plus 11 000 emplois. « Il fallait défendre les intérêts de toutes ces entreprises, surtout des multinationales qui n’avaient pas bonne presse et étaient accusées de maltraiter leurs employés, se souvient le patron des patrons. La tâche a été ardue, mais elle m’a permis de gagner en expérience. » Et ces connaissances acquises dans la conduite des affaires de l’Asozof ont été le catalyseur de l’accession de l’entrepreneur à la tête du CNP.

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« Je n’avais jamais rêvé diriger le patronat. À mon premier mandat, nous sortions d’une crise qui avait affaibli le CNP. Il a fallu colmater les brèches, redonner à notre institution ses lettres de noblesses, et j’ai dû sacrifier mes entreprises pour obtenir ces résultats, confie Laurent Tamegnon. Mais nous sommes fiers que le CNP soit redevenu une force de proposition pour les pouvoirs publics. Nous faisons notamment partie du Conseil national du dialogue social, l’organe tripartite de prévention des crises. »

Nouveau fer de lance : le soutien aux PME-PMI 

Après avoir réconcilié entre eux les patrons, Laurent Tamegnon dit aborder son second mandat en étant « conscient des difficultés et des défis ». Il compte désormais prendre position au chevet des petites et moyennes entreprises, lourdement touchées par la crise sanitaire et économique. Et a commencé par s’attaquer à leur accès au financement en signant, au mois de mai, un accord-cadre avec le Fonds de solidarité africain (FSA) de 50 milliards de F CFA (76 millions d’euros), utilisables sous forme de garantie, pour l’octroi de prêts aux PME-PMI. « Nous plaidons par ailleurs auprès du gouvernement pour qu’il mette la main à la patte en apportant 50 milliards supplémentaires pour accompagner ces dernières. »

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Le président du CNP espère aussi pouvoir mener à bien un projet engagé depuis dix ans : celui de la construction du siège de l’organisation, pour l’heure encore logée dans un bâtiment construit à la Cité OUA grâce à un prêt de 200 millions de F CFA de la Banque togolaise pour le commerce et l’industrie (BTCI, devenue IB Bank Togo). Ce chantier estimé à 4 milliards de F CFA est d’autant plus attendu que le futur bâtiment du CNP devrait permettre de transférer d’Abidjan à Lomé le siège de la Fédération des organisations patronales d’Afrique de l’Ouest (Fopao), dont Laurent Tamegnon est le premier vice-président.

Un entrepreneur aux multiples casquettes

La vie de patron, Laurent Tamegnon la connaît mieux que personne. Il est fondateur et directeur général de la Société africaine de négoce et de commercialisation (Sanecom), PDG de la buanderie industrielle PHY, directeur général de la société Lorenovich International (SLI, active dans l’agro-alimentaire) et, enfin, de la société Saint (immobilier). Son parcours dans le monde des affaires togolais est fait de fortunes diverses. En 1999, Sanecom, installée dans la zone portuaire de Lomé et spécialisée dans la confection d’équipements militaires, paramilitaires et administratifs, est contrainte de mettre la clé sous le paillasson, pénalisée par la concurrence chinoise, qui proposait des tenues à prix cassés (à 5 dollars contre 11 dollars pour Sanecom). Après une restructuration, l’entreprise rouvre ses portes un an plus tard et connaît une croissance pendant vingt ans.

Aujourd’hui, elle est à nouveau en grande difficulté. « Nous sommes moribonds, dévastés par le Covid. Notre chiffre d’affaires n’atteint pas 200 millions de F CFA ces deux dernières années, contre une moyenne de 900 millions à 1 milliard avant la crise », résume l’entrepreneur. Cette baisse conséquente de régime menace la survie de l’entreprise – même si la commande de 2 millions de masques, ordonnée par le président Faure Essozimna Gnassingbé, lui a apporté une bouffée d’oxygène. Mais le patron ne désarme pas et met les bouchées doubles pour relancer l’activité de Sanecom.

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Le natif d’Atakpamé (ville de la région des Plateaux, à 160 km de Lomé) a aussi connu des revers dans l’exploitation de jatropha pour la fabrication de biodiesel, avec la société Green Leaf : l’expérience, démarrée en 2012, s’est soldée par un fiasco. « Pour lancer ce projet, nous avons investi 600 millions à Agbelouve, qui sont partis en fumée à cause d’un litige foncier », explique-t-il.

Touché mais pas coulé, le capitaine d’industrie tient le cap avec Lorenovich, sa société agroalimentaire, en rachetant un domaine de 50 hectares pour la production d’ananas bio et la pisciculture. L’essai est concluant : l’entreprise produit plus de 20 tonnes d’ananas par mois, commercialisés à l’export.