Les femmes fortes de la Bible : Ruth, la convertie
Pendant l’Avent, La Croix propose de découvrir quatre femmes fortes de l’Ancien Testament. Ruth, la Moabite, a suivi sa belle-mère Noémi et adopté sa croyance. Les femmes fortes de la Bible (2/4).
Qui est Ruth ?
Ruth, dont le nom signifie « compagne », est une Moabite et une païenne. Elle appartient à un peuple considéré comme un ennemi par Israël. Bien que la Torah interdise d’épouser une Moabite ou une Ammonite, elle est la femme de Mahlone (« maladie »), l’un des deux fils de Noémi (« ma gracieuse ») et d’Élimélek (« mon Dieu est roi »), lesquels se sont expatriés en pays de Moab en raison d’une famine sur leur terre natale, Bethléem en Judée.
Nous ne connaissons pas exactement les conditions de l’existence de Ruth. Le début du livre biblique éponyme place le récit à l’époque des Juges, à une période de famine et de violence « mais, du point de vue historico-critique, il aurait été écrit au moment du retour des exilés de Babylonie conduit par Esdras, en 538 avant notre ère », précise le rabbin Jonas Jacquelin, de l’association Judaïsme en mouvement. Pendant l’exil, « toute une série d’unions avaient pu se former entre des Judéens et des Babyloniennes que cherchait à rejeter Esdras. L’histoire de Ruth montre qu’une femme étrangère peut, par son attitude positive, apporter quelque chose au peuple d’Israël. »
Que raconte son histoire ?
Au début du récit, Élimélek et ses fils meurent. Appauvrie, Noémi décide de retourner à Bethléem (« la maison du pain »), car elle a appris que « le Seigneur (a) visité son peuple et lui (a) donné du pain ». Selon la tradition juive, celle qui désormais se fait appeler « l’amère » rend leur liberté à ses belles-filles, veuves comme elle et sans enfants, afin qu’elles puissent refaire leur vie. Ruth refuse la facilité de retrouver les siens et insiste pour accompagner sa belle-mère : « Où tu iras, j’irai ; où tu t’arrêteras, je m’arrêterai ; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu » (Rt 1, 16), lui dit-elle. « Ruth, qui est moabite et n’a rien à voir avec la conscience d’un Dieu unique, va non seulement suivre sa belle-mère mais aussi épouser sa terre et sa croyance. C’est l’histoire d’une conversion du cœur », commente Nathalie Nabert, poète et autrice de Femmes dans la Bible (1). Ruth fait le choix du peuple d’Israël plus encore que du Dieu d’Israël. « Elle entre dans une nouvelle collectivité. C’est pourquoi on va la considérer, dans l’histoire, comme l’archétype de la convertie », ajoute le rabbin Jonas Jacquelin. L’histoire de Ruth est ainsi lue à l’occasion de la fête de Shavuot, au cours de laquelle les juifs célèbrent le moment où, au pied du Sinaï, le peuple a reçu le texte de la Torah.
L’histoire ne s’arrête pas là. Revenues en Judée, les deux veuves sans ressources doivent subvenir à leurs besoins. Selon la tradition, les pauvres peuvent glaner dans les champs les épis qui n’ont pas été ramassés par les propriétaires. Un jour, tandis que Ruth part ainsi glaner les orges, la providence la conduit dans le champ de Booz, un riche parent de son beau-père Élimélek. Le nom de Booz signifie « en lui la force ». Il se montre très généreux, invite Ruth à glaner derrière les moissonneurs et à partager l’eau de ses serviteurs. « Booz est bienveillant comme Ruth. Noémi, qui connaît sa belle-fille et voit qu’elle est très belle, va la pousser à aller vers lui une nuit où “il vanne lui-même l’orge sur l’aire”. Elle la vêt de ses beaux atours afin qu’elle séduise Booz endormi », raconte Nathalie Nabert. Selon la loi du lévirat, étendue ici à une plus large parenté qu’aux frères du défunt en raison de la situation, Booz peut en effet épouser Ruth et ainsi assurer une descendance au fils de Noémi.
À la fin de l’histoire, Ruth épouse Booz. Elle enfante un fils qui sera le grand-père de David. Elle qui est d’origine étrangère, une convertie, fait partie des ancêtres du Messie. C’est pourquoi, au début de l’Évangile de Matthieu, elle est l’une des quatre femmes mentionnées dans la généalogie de Jésus qui naîtra à Bethléem.
« Le livre de Ruth est révolutionnaire, car il balaie tous les stéréotypes », s’exclame Élisabeth Parmentier, théologienne protestante, coautrice de Une Bible des femmes (2). « Paradoxalement, l’étrangère est plus croyante que la femme du peuple élu. De même, alors que normalement les femmes ne faisaient pas l’histoire du peuple élu, ici, excepté dans l’épilogue, ce sont elles qui mènent le récit et assurent la continuité du peuple. » Enfin, ce qui semble au premier abord une histoire sentimentale, de loyauté entre deux femmes, se révèle en réalité chargé de portée théologique.
En quoi Ruth est-elle une femme forte ?
La force de Ruth est d’avoir refusé la facilité. Dans une société qui laisse peu de place aux étrangères et aux veuves, contre toute logique, elle choisit de partir vers un pays qu’elle ne connaît pas. « En ce sens, on peut voir un parallèle entre l’histoire de Ruth et celle d’Abraham qui va rompre avec le milieu de sa naissance, aller vers le pays d’Israël, et être à l’origine de toute une lignée », note encore le rabbin Jonas Jacquelin.
La ténacité, l’obstination de Ruth est également sa force. « Elle tient tête à sa belle-mère, elle confesse un Dieu qui n’est pas celui de son peuple. Ruth a sa ligne, en quelque sorte, qu’elle impose à sa belle-mère », souligne Élisabeth Parmentier. Avec Noémi, elle prend leur destin en main. C’est pourquoi « elle obéit à l’ordre sordide de sa belle-mère » de se parer et de se coucher aux pieds de Booz pour le séduire. « Elle veut sauver la situation de sa famille et ce sauvetage va la relier au salut », poursuit la théologienne, qui relève dans le texte de nombreux termes hébreux évoquant le salut, le sauveur et le rachat.
Enfin, Ruth est une femme forte par sa générosité et sa bienveillance, qui l’ont poussée à choisir le parti de Noémi et à se convertir. Les commentaires rabbiniques mettent également en avant cette bonté, « checed – la disponibilité à autrui », qui est la qualité attribuée à Abraham. En posant en quelque sorte un acte de confiance dans la vie, Ruth a retourné la situation et elle est entrée dans l’histoire du Salut.
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Booz endormi », un poème de Victor Hugo
Dernières strophes de ce poème inspiré du Livre de Ruth et extrait de La Légende des siècles.
« Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;
Une immense bonté tombait du firmament ;
C’était l’heure tranquille où les lions vont boire.
Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’occident, et Ruth se demandait,
Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. »
Les femmes fortes de la Bible
→ 1/4. Anne, la priante.
(1) Femmes dans la Bible. 30 figures d’humanité, Magnificat, 215 p., 24,90 €.
(2) Labor et fides, 288 p., 19 €.