Guinée : quand une grippe empêche Moussa Dadis Camara de livrer « sa » vérité

Appelé à la barre ce lundi dans le procès du massacre du 28 septembre 2009, l’ancien chef de la junte a affirmé être souffrant et ne pas être en mesure de répondre aux questions du juge.

Par  - à Conakry
Mis à jour le 5 décembre 2022 à 17:44
 

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Moussa Dadis Camara à son retour en Guinée après 12 ans d’exil au Burkina Faso, à Conakry le 22 décembre 2021. © Algassimou Balde/AP/SIPA

Depuis des années, il clamait son impatience de pouvoir enfin dire « sa » vérité. Mais maintenant que son tour est arrivé et que son procès et celui de ses co-accusés s’est ouvert à Conakry, Moussa Dadis Camara a déclaré ne pas être en capacité de se défendre ni de répondre des faits qui ont endeuillé la Guinée le 28 septembre 2009.

« Je souffre »

Appelé à la barre ce lundi 5 décembre par le juge Ibrahima Sory 2 Tounkara, qui lui demande s’il souhaite faire sa déposition assis ou débout, l’accusé commence par répondre à côté. Il est, insiste-t-il, « un officier de l’état-major de l’armée » et il est fait « pour la guerre et la prison ». Puis, alors que le magistrat insiste, l’ancien chef de la junte guinéenne, au pouvoir entre décembre 2008 et janvier 2010, lance : « Monsieur le président, avec tout le respect que j’ai pour votre auguste tribunal, j’ai déjà informé depuis un très bon moment le directeur de la garde pénitentiaire, le médecin chef de la prison et mes avocats que je souffre. Sauf si vous m’obligez, je ne suis pas au-dessus de la loi. Je m’en remets à votre sagesse. »

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Quand Moussa Dadis Camara sera-t-il prêt à être entendu’? « Je n’aime pas mentir, je ne suis pas Dieu, répond-il. Dès que je vais me rétablir, je serai même plus pressé. » Interrogé par Jeune Afrique, son avocat Jean-Baptiste Jocamey Haba précise que son client souffre de paludisme et « d’une grippe aiguë ». Il suivrait son traitement depuis la Maison centrale de Conakry, où il a été incarcéré le 27 septembre, à la veille de l’ouverture du procès.

« Un repli tactique »

Il ressort aussi de la brève comparution de ce lundi que le tribunal lui a, en fait, déjà accordé un répit de trois semaines. Mais son état de santé, s’il l’a empêché de comparaître, ne l’a pas empêché d’assister à toutes les audiences. Son avocat explique qu’il était important qu’il suive de près les débats afin de mieux préparer sa défense. « Chaque fois qu’il est venu, il est resté dans le box des accusés. Cela n’est pas différent [de ce qui se serait passé] s’il était resté dans sa cellule. On a estimé qu’il pouvait se présenter sans rien faire. Or, à la barre, il est obligé de fournir des efforts. »

C’EST UN ANCIEN CHEF D’ÉTAT ET DE GUERRE, UN STRATÈGE. TROIS SEMAINES DE GRIPPE, SINCÈREMENT, C’EST ASSEZ

Un argumentaire qui ne convainc pas ses co-accusés. Les avocats de Toumba Diakité, l’ancien aide de camp devenu le principal adversaire de l’ancien chef de la junte, évoquent « un repli tactique ». « Dadis a toujours voulu venir donner sa part de vérité. Il a écrit pour être entendu, pour pouvoir rentrer en Guinée et se mettre à la disposition de la justice, il a renoncé au délai de trois mois imparti à tout accusé résidant en dehors du territoire pour être là. [Et maintenant] il est malade », relève Me Jean-Baptiste Jocamey Haba.

« C’est un ancien chef d’État et de guerre, un stratège. Trois semaines de grippe, sincèrement, c’est assez », reprend Paul Yomba Kourouma, un autre des avocats de Toumba Diakité. À l’en croire, après avoir réclamé la tenue du procès, Dadis Camara aurait été surpris par la tournure prise par les événements une fois rentré de son long exil burkinabè. Logé dans un palace à son arrivée à Conakry, il a rapidement été arrêté et incarcéré. Il aurait aussi été désarçonné par les déclarations à charge faites par Toumba à la barre.

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« Le CNRD lui avait étalé le tapis rouge, il croyait qu’il allait continuer de jouir des mêmes privilèges, oubliant que Mamadi Doumbouya avait déclaré aussi que la justice sera la boussole, résume Paul Yomba Kourouma. Il est complètement désemparé, surpris, et sait qu’il est dans les mailles de la justice. Il se rend compte  que ce n’est pas le fameux ‘Dadis-Show’ où il siégeait en juge unique, humiliait les gens et rendait des jugements sur-le-champ. »

Le tribunal a renvoyé l’audience au 12 décembre. Reste à savoir si, d’ici-là, Dadis Camara se sera rétabli.