Au Bénin, « même minoritaires au Parlement, les Démocrates forceront le débat sur l’action gouvernementale »
Avec 28 sièges, selon les résultats provisoires, le parti d’opposition à Patrice Talon entre à l’Assemblée nationale. Bien que minoritaires, ses cadres entendent pousser la majorité à plus de « clarté ».
Eugène Azatassou, vice-président des Démocrates, à Cotonou, au Bénin, le 12 janvier 2023. © Charles Placide pour JA
Absente des élections législatives de 2019, des communales de 2020 et de la présidentielle de 2021, l’opposition a fait son retour dans le jeu électoral béninois, ce dimanche 8 janvier 2023. Tête de gondole des opposants à Patrice Talon, le parti Les Démocrates, né en 2019 à la faveur d’une scission au sein des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), devrait entrer à l’Assemblée nationale avec 28 députés élus, selon les résultats provisoires annoncés par la Commission électorale nationale autonome (Cena).
Satisfaits d’apporter de nouvelles couleurs à la représentation nationale, jusqu’ici intégralement acquise à Patrice Talon, les lieutenants de l’ancien chef de l’État et président d’honneur des Démocrates, Thomas Boni Yayi, dénoncent cependant une manipulation des résultats. Les membres du parti au flambeau l’assurent : le peuple, malgré une participation timide, les a consacrés comme la première force politique du pays.
En attendant que la Cour constitutionnelle, auprès de laquelle ils ont introduit des recours, tranche, la formation présidée par le député Éric Houndété promet qu’elle pèsera de tout son poids dans le débat parlementaire, « afin d’éclairer les Béninois sur des lois jusqu’ici votées sans discussion ». Et ce, même si la mouvance présidentielle conserve une majorité écrasante, avec les 81 sièges que lui confèrent les résultats provisoires.
Eugène Azatassou, vice-président des Démocrates, évoque pour Jeune Afrique le rôle qu’entend jouer l’opposition au cours des trois années de la législature à venir, avec, en ligne de mire, les élections générales de 2026.
Jeune Afrique : Quels ont été les principaux sujets soulevés par les Béninois lors de la campagne électorale ?
Eugène Azatassou : Depuis 2016, les Béninois ont le sentiment d’avoir vu leur champ d’expression se réduire sous le poids d’un régime que nous qualifions volontiers de dictatorial. L’opposition a été exclue des scrutins. Les arrestations d’opposants se sont multipliées, les départs en exil aussi. Pendant la campagne, les citoyens se sont dits très inquiets du recul global des libertés et de la démocratie.
Je crois que la participation de l’opposition aux législatives a été perçue comme une bouffée d’air frais. Les Béninois ont de nouveau eu la possibilité de sanctionner le pouvoir dans les urnes s’ils le souhaitaient. Ce qu’ils n’avaient plus eu l’occasion de faire depuis l’élection de Patrice Talon.
Pourtant, la participation des Démocrates aux législatives n’a pas suffi à ramener les électeurs aux urnes. Alors que l’on avait imputé les forts taux d’abstention des scrutins précédents à l’absence de l’opposition, la participation n’atteint toujours pas 40 %…
La population a pris l’habitude de se faire rouler, de voir ses candidats exclus et les résultats manipulés. Cela a créé une grande méfiance et une grande lassitude. Nombre de citoyens se disent que l’élection est jouée d’avance. Une fois cette dynamique installée, il n’est pas facile de l’inverser.
Ce scrutin n’était qu’une première étape. Il faut espérer que les citoyens, voyant l’engouement autour des Démocrates, seront convaincus de venir voter aux prochaines élections. Nous voulons convaincre les électeurs que plus ils sortiront massivement pour voter, plus il sera difficile pour le régime de truquer un scrutin.
Avec 28 sièges pour les Démocrates contre 81 pour la mouvance présidentielle, la sanction de la majorité que vous évoquez n’a pourtant pas eu lieu…
Je pense que la Cena a rendu compte des chiffres tels qu’elle les a reçus. Mais ces chiffres ont été manipulés à la base, sur le terrain. Nos mandataires ont assisté à des bourrages d’urnes. Certains ont été tenus éloignés des bureaux de vote au motif de problèmes administratifs et n’ont pas pu exercer le contrôle qu’ils étaient censés assurer.
Nous avons introduit les recours nécessaires pour dénoncer cela. Les résultats ne reflètent pas ce qui nous est revenu du terrain. Selon nos décomptes, les Béninois ont fait des Démocrates la première force politique du pays.
Toujours est-il qu’en l’état, vous restez largement minoritaires face à la mouvance présidentielle. Dans ce contexte, comment entendez-vous peser sur les débats au Parlement ?
D’abord, nous espérons que la vérité des urnes sera rétablie. Mais, si nous conservons 28 sièges et que nous n’avons pas la majorité pour voter les lois, nous forcerons le débat, afin d’instaurer plus de contrôle sur l’action du gouvernement.
Il devra rendre des comptes et exposer ses motivations. Il ne peut plus y avoir de lois votées nuitamment sans que personne ne sache ce dont il s’agissait et pourquoi. Notre entrée à l’Assemblée nationale poussera la majorité à plus de clarté. Nous sommes cependant conscients qu’il sera difficile, avec 28 sièges, de faire voter certaines lois qui nous tiennent à cœur.
Comme des lois d’amnistie ?
Effectivement, un apaisement du climat politique au Bénin ne peut passer que par le vote de lois d’amnistie, afin que soient libérés les nombreux détenus politiques.
Vous pensez par exemple à Reckya Madougou et Joël Aïvo ?
Ce sont les plus connus, mais de très nombreux opposants sont en prison du fait de leur couleur politique. Il faut une amnistie pour eux, mais aussi pour les opposants forcés à l’exil.