Olivia Rouamba, la diplomate des putschistes burkinabè

Après avoir été celle du lieutenant-colonel Damiba, elle est désormais la ministre des Affaires étrangères du capitaine Traoré. Un poste exposé, où elle met en œuvre la politique de rupture diplomatique des autorités de transition.

Mis à jour le 20 mars 2023 à 14:01

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La ministre des Affaires étrangères du Burkina, Olivia R. Rouamba. © MAECRBE



Rares sont les ministres qui parviennent à conserver leurs postes après un putsch. Olivia Rouamba, elle, a réussi cet exploit. Nommée ministre des Affaires étrangères par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba après son coup d’État, en janvier 2022, cette diplomate de carrière a su garder la confiance du capitaine Ibrahim Traoré, à son tour tombeur de Damiba en septembre de la même année.

Sa carrière dans l’administration publique, Olivia Rouamba l’a démarrée il y a plus de deux décennies en tant qu’agent au ministère du Tourisme. Elle se tourne rapidement vers la diplomatie et rejoint le ministère des Affaires étrangères. En 2007, elle intègre l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi), à Vienne, où elle est chargée du programme spécial sur les pays de l’Union du fleuve Mano (Sierra Leone, Guinée, Liberia et Côte d’Ivoire). Après un passage à Pretoria comme conseillère à l’ambassade du Burkina Faso, et un autre à Addis-Abeba au bureau de la présidente de l’Union africaine (UA), elle est nommée ambassadrice en Éthiopie par le président Roch Marc Christian Kaboré, en 2021.

De Damiba à Traoré

En février 2022, son nom est soufflé par Djibrill Bassolé, ancien influent ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré, au lieutenant-colonel Damiba. Le nouvel homme fort de Ouagadougou le retient et fait de Rouamba la cheffe de sa diplomatie. Dans les mois qui suivent, elle donne satisfaction à ce poste sensible et exposé. Suspendu de la Cedeao en raison de son putsch, le Burkina Faso conserve toutefois des relations plutôt apaisées avec ses voisins et ses partenaires internationaux.

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En septembre, c’est au tour de Damiba d’être renversé par un coup d’État. Le jeune capitaine Ibrahim Traoré, 34 ans, prend les rênes du pays. Il décide de maintenir Olivia Rouamba, dont il a apprécié le travail, comme ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement d’Apollinaire Joachim Kyelem de Tambela. Comme ce dernier, le secrétaire général du gouvernement, ou encore le colonel Boukaré Zoungrana, le ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité, cette protestante pratiquante fréquente l’église du pasteur Emmanuel Sawadogo sur la route de Yako, dans le nord-ouest de Ouagadougou.

Proche des Bounkoungou

Selon nos informations, elle y aurait fait la connaissance d’Alizéta Bonkoungou, la fille aînée du milliardaire Mahamadou Bonkoungou, le patron du groupe Ebomaf. Cette proximité fait dire à certains que Rouamba est devenue une proche du puissant homme d’affaires. Ce dernier avait notamment affrété un jet privé qui l’avait ramenée en urgence à Ouagadougou lors du coup d’État contre Damiba.

Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, le capitaine Traoré a nettement remis en question ses relations avec Paris et s’est rapproché de Moscou. Un revirement diplomatique semblable à celui adopté par la junte au pouvoir à Bamako, avec laquelle le régime de transition burkinabè entretient désormais des liens étroits. Pour certains, Rouamba a été l’une des artisanes de ce basculement. Pour d’autres, elle ne serait qu’une exécutante des orientations décidées par Traoré et son premier cercle, lesquels « dictent le tempo », selon une source bien introduite.

Rupture avec Paris

Si Damiba, en exil à Lomé, était mu par une diplomatie de voisinage dans la continuité des régimes déchus, Traoré s’inscrit en revanche dans une volonté de rupture et souhaite se tourner vers de nouveaux partenaires – notamment russes, turcs ou encore iraniens. Après les multiples manifestations – parfois violentes – de ses partisans contre la présence française dans son pays, le président de transition a fait monter la pression d’un cran avec Paris en exigeant le départ des forces spéciales françaises basées au Burkina Faso dans le cadre de l’opération Sabre.

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Le 18 janvier, c’est par un document estampillé du ministère des Affaires étrangères que les autorités burkinabè demandent à mettre fin à l’accord relatif au statut des forces armées françaises sur leur territoire. « [Ibrahim Traoré] a géré directement le dossier du départ de Sabre avec Olivia Rouamba », affirme un proche du pouvoir. Selon des sources concordantes, la ministre des Affaires étrangères jouit d’une oreille attentive auprès du chef de la junte.

Bien qu’elle demeure un personnage prépondérant du régime de transition, Rouamba est critiquée en interne sur l’efficacité de son action diplomatique. Certains hauts responsables du ministère des Affaires étrangères se montrent en effet sceptiques sur l’approche belliqueuse adoptée envers Paris. « Certains choix ont montré des limites, comme le fait de se rapprocher du Mali. Il y a une forme d’isolement à la malienne qui ne permet pas à la diplomatie burkinabè d’être pleinement au service de la lutte contre le terrorisme, décrypte Wendyam Hervé Lankoandé, analyste au cabinet Control Risks. “IB” et Olivia Rouamba rament à contre-courant de la tradition diplomatique du pays et cela ne plait pas à tout le monde. »