Au Sénégal, le long chemin d’Abdourahmane Diouf vers la présidentielle
Il n’y a pas que des poids lourds de l’opposition qui, tels Ousmane Sonko ou Khalifa Sall, se lancent dans la course. C’est aussi le cas d’Abdourahmane Diouf, qui a cheminé au côté d’Idrissa Seck pendant huit ans. Rencontre avec un candidat qui veut croire en sa bonne étoile.
Abdourahmane Diouf, juriste, homme politique, président du parti Awalé et candidat à l’élection présidentielle, ici à Paris, le 17 mars 2023. © Vincent Fournier pour JA
« Non, je ne suis pas un candidat de plus », affirme d’emblée Abdourahmane Diouf, alors que nous le recevons chez Jeune Afrique. Pourtant, à moins d’un an de la présidentielle de février 2024, les candidatures ne cessent de se multiplier au sein d’une opposition où l’on dit vouloir faire barrage à un éventuel troisième mandat de Macky Sall.
De passage à Paris le 17 mars, « première étape importante » d’une plus grande tournée qui doit également le conduire dans les différentes régions du Sénégal, celui qui a fait état de ses intentions présidentielles en octobre dernier a tenu à justifier son ambition. « Je porte un projet politique qui suscite beaucoup d’espoir, affirme-t-il. Nous avons un programme qui vise à “sénégaliser” le Sénégal. »
« Tout revoir »
« Nous avons été formatés pour penser d’une façon qui reprenait les grandes valeurs démocratiques de la France, or elles ne correspondent pas à nos réalités, poursuit l’ancien porte-parole d’Idrissa Seck. La République du Sénégal n’est qu’une continuité de l’ancienne colonie. Il faut tout revoir. » Abdourahmane Diouf se dit également partisan d’un patriotisme économique qu’il compte promouvoir s’il réussit à être élu.
« Notre pays n’a pas la main sur son économie. Elle est extrêmement extravertie, ses taux de croissance ont atteint un pic, mais les dividendes sont redistribués à l’étranger parce que les Sénégalais ne contrôlent aucun pan de leur économie », explique-t-il, ajoutant qu’il compte accorder une attention particulière à ses concitoyens arabophones.
« Les intellectuels arabophones sont nombreux au Sénégal. Ils sont bien formés, mais sont dirigés par une élite francophone qui ne représente pas plus de 20 % de la population. Le système éducatif qui a hiérarchisé les langues fait qu’on ne requiert pas leur point de vue. Il faut que cesse cette hégémonie francophone. »
Poids relatif
Voilà déclinés à grands traits les principaux axes du programme du natif de Rufisque, grande ville de la banlieue proche de Dakar. Mais très longue est la route qui pourrait le mener jusqu’au fauteuil présidentiel. Parce que, incontestablement, par rapport à un Ousmane Sonko ou à un Khalifa Sall, leaders de la principale coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi (YAW), l’homme de 53 ans n’a que peu de poids politique.
Docteur en droit international économique, Abdourahmane Diouf a certes une expertise reconnue : il a travaillé une vingtaine d’années à Genève et quelques années à Bruxelles pour l’Union européenne, et il est désormais à la tête d’un cabinet de conseil spécialisé dans le commerce international. Des gouvernements africains ont même fait appel à lui. Mais cela ne suffit pas pour s’imposer en politique.
Il faut remonter à 2011 pour le voir faire ses premiers pas dans l’arène. Cette année-là, Abdourahmane Diouf décide d’accompagner Idrissa Seck – rencontré cinq ans plus tôt à Paris par l’entremise d’amis communs. D’abord porte-parole de l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade lors de la présidentielle de 2012, il intègre les instances dirigeantes de son parti, Rewmi. « Avant de rejoindre Idrissa Seck, je donnais déjà mon avis sur les questions politiques. Mais j’ai compris que la plupart des propositions que je faisais n’avaient pas beaucoup de chances d’être appliquées », avoue-t-il. En 2012, il se voit confier la direction de la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones) quand Idrissa Seck rejoint la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar (BBY).
Polémiques
En mars 2013, en pleine célébration de la Journée internationale de l’eau, Abdourahmane Diouf confesse que celle consommée dans certaines communes de la banlieue dakaroise sont « d’une potabilité douteuse ». Il est limogé un mois plus tard dans un contexte de tensions entre l’ancien maire de Thiès et le chef de l’État. Nouvelle polémique au lendemain de la présidentielle de 2019 : sur un plateau de télévision, il concède cette fois que Macky Sall est victorieux contre l’avis de sa formation politique, qu’il quitte en avril de la même année.
Après un retrait temporaire de la vie politique, période pendant laquelle il assure les fonctions de directeur exécutif du Club des investisseurs du Sénégal, il renoue avec la politique en lançant en octobre 2021 le parti Awalé. Avec cette formation, il constitue avec Thierno Bocoum, président du mouvement Agir et ancien camarade de Rewmi, et avec l’ancien ministre de l’Énergie, Thierno Alassane Sall, la coalition Alternative pour une assemblée de rupture (AAR Sénégal) dans la perspective des élections législatives de juillet 2022. Le bilan est très mitigé et l’aventure, de courte durée.
« Nous avions créé AAR Sénégal pour casser la bipolarisation du débat politique dominé par YAW, coalition incarnée par Ousmane Sonko, et par BBY, de la majorité présidentielle. Mais les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes », regrette Abdourahmane Diouf.
Le test des parrainages
Le regroupement n’obtient qu’un seul siège de député à l’Assemblée nationale et recueille à peine plus de 52 000 voix. C’est peu ou prou le nombre de signatures requis pour passer l’étape des parrainages, condition sine qua non pour faire valider un dossier de candidature à la magistrature suprême.
En 2019, 22 des 27 candidats déclarés à la présidentielle avaient été recalés, en grande partie pour défaut de parrainages. Seul et sans soutien majeur, Abdourahmane Diouf parviendra-t-il à survivre à l’épreuve du tamis ? « Nous n’avons pas d’inquiétudes. J’ai été au cœur des campagnes d’Idrissa Seck lors des présidentielles de 2012 et 2019. Nous franchirons l’étape des parrainages », affirme-t-il en concluant, plein d’optimisme : « Le 25 février 2024, je serai en tête des suffrages exprimés. »