Chantal Thomas, comme un air de liberté
« D’un éventail à la Coupole » et « L’Étreinte de l’eau » sont deux essais parus ce printemps qui nous plongent dans l’œuvre et la vie de Chantal Thomas, remplies d’une intense énergie créatrice.
D’un éventail à la Coupole
de Chantal Thomas, Dany Laferrière, Florence Delay, Bernard Comment et Allen S. Weiss
Seuil, 96 p., 13 €
L’Étreinte de l’eau
de Chantal Thomas, entretiens avec Fabrice Lardreau
Arthaud, coll. « Versant intime », 172 p., 13 €
Il y a un an, Chantal Thomas faisait souffler « un vent de liberté » sur l’Académie française. L’expression est de Florence Delay remettant à l’essayiste et romancière un éventail japonais « or et argent » des années 1950, que l’impétrante porta lorsqu’elle pénétra sous la Coupole de l’Institut de France, quelques jours plus tard. Un « vent de liberté »… Était-ce cet affront fait à la tradition, selon laquelle les nouveaux venus rallient l’assemblée des Immortels munis d’une épée guerrière et non de cet « objet si délicat, aérien, utile et raffiné » ? « Mon éventail est du côté “des Choses qui égayent le cœur”, du côté de la paix. Et de ce qu’elle favorise : les arts du jardin, du bouquet et de la conversation, la douceur de soirs d’été en compagnie de son amour et de ses amis, le plaisir d’écouter de la musique – ou d’aller au théâtre », dira alors, délicatement impertinente, Chantal Thomas.
Du reste, Florence Delay ne fit-elle pas l’éloge, par ces premiers mots prononcés, de ce que l’intellectuelle cultive depuis toujours et en toute chose : l’audace et la témérité ? Réunissant les discours énoncés à l’occasion de sa réception à l’Académie, « rituel inscrit dans la continuité des siècles, romanesque et émouvant », reconnaît la dix-huitièmiste Chantal Thomas, le Seuil plonge le lecteur dans sa trajectoire littéraire, charnelle et émancipatrice, nourrie de philosophie, de vagues et de voyages : « En fait, Madame, votre vie est une fable sans morale », annonce ainsi Dany Laferrière en l’accueillant sous la Coupole, affirmant encore : « Vous êtes de la lignée des écrivains toujours en mouvement. »
Corps vivant
L’Étreinte de l’eau, conversation au long cours entre l’autrice et Fabrice Lardreau issue de l’excellente collection « Versant intime » qu’il dirige aux éditions Arthaud, ne raconte pas autre chose. Pour qui a lu Chantal Thomas, ces retrouvailles par cette parole directe sera délicieuse. Pour chacun, l’immersion corps et âme dans son histoire personnelle, ses rencontres artistiques et ses paysages aimés et familiers, mers et montagne mais aussi New York, s’avérera passionnante.
Le large, et le bel horizon, parcourt toujours les propos de l’autrice de Souvenirs de la marée basse (2017). De la plage à la page, dit sobrement Chantal Thomas, il n’y a qu’un glissement à l’oreille – « J’associe la nage à la ferveur, à cette idée de quitter le rivage, d’écrire son destin. » Et de redire sa passion pour le « journal » littéraire, « son rôle de témoin, d’observateur de la réalité qui se trouve devant soi », ou de célébrer ses maîtres et ses inspirateurs : Barthes, Colette, Kafka, Simone de Beauvoir ou Sade, Kerouac aussi, d’autres encore.
Revenant sur la genèse de Journal de nage, écrit après le confinement, Chantal Thomas raconte : « Pour la première fois, lorsque j’avais nagé, je revenais, toute fraîche, et notais très vite sur l’ordinateur mes sensations. L’eau et la nage accéléraient mon rythme d’écriture ; un rapport direct s’établissait entre la nage et l’écriture. Après l’immobilisme du confinement, j’ai eu l’impression, au cours de cet été 2020, à Nice, de retrouver une souplesse de mon corps, de mes phrases, ce rythme, cette fluidité qui constituent l’un des bonheurs de l’écriture. »
Dans les interstices de la conversation se dessine le portrait d’une autrice à sa table de travail, infiniment nomade, ouverte sur le monde : « Dire qu’on écrit mieux parce qu’on nage signifie peut-être simplement qu’on écrit en accord avec soi-même, qu’on a un corps vivant. »