En Côte d’Ivoire, le chef du protocole de Ouattara sort de l’ombre
Le président ivoirien a choisi Éric Taba pour être le candidat du RHDP aux élections municipales du 2 septembre à Cocody. Il tentera d’y reprendre la mairie à un poids lourd du PDCI, Jean-Marc Yacé.
Éric Taba. © RHDP
C’est dans un café de la rue des Jardins, dans le quartier chic des Deux Plateaux, qu’Éric Taba nous donne rendez-vous. Cette artère fréquentée d’Abidjan, il la connaît bien : c’est là que se trouvaient les bureaux d’Alassane Ouattara lorsque ce dernier était opposant, et qu’Éric Taba travaillait déjà pour lui. Jeans, baskets et casquette vissée sur la tête, le discret chef du protocole du président arrive dans une tenue décontractée. Malgré ses précautions, de jeunes vendeurs ambulants le reconnaissent et crient son nom. « C’est le père Éric Taba ! » lance l’un d’entre eux. Ils sont rapidement une vingtaine à l’entourer, sous les regards intrigués des passants.
Chef du protocole du Rassemblement des républicains (RDR) pendant une vingtaine d’années, Éric Taba est l’une des surprises de ces élections locales. Il a été choisi par le parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), comme candidat aux municipales du 2 septembre dans l’emblématique commune abidjanaise de Cocody, fief du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Un choix soutenu par Dominique Ouattara, qui a glissé quelques mots en sa faveur à son époux. Avant de travailler pour le président, Éric Taba a brièvement œuvré aux côtés de la première dame. Aujourd’hui encore, il entretient des relations quasi filiales avec celle qui a été son témoin de mariage.
Un parcours qui détonne
En mars 2022, alors qu’il multiplie les activités de terrain à Cocody, les cadres du parti l’observent attentivement. Les échos de ses actions remontent jusqu’au couple présidentiel. En marge d’une audience à son domicile, le 8 mars, le président lui confie : « Mon épouse m’en a parlé. Je suis d’accord. Nous allons te soutenir. » Un soulagement pour celui qui se demandait comment annoncer au chef de l’État son ambition de porter les couleurs du parti dans sa commune.
Originaire de l’Ouest, Éric Taba est surnommé « l’enfant de la cité des arts », un quartier de Cocody où il a grandi. Avec cette candidature à une élection qui s’annonce très disputée, le quinquagénaire sort d’une vingtaine d’années de réserve, et passe de l’ombre à la lumière. Son visage est même affiché sur plusieurs panneaux publicitaires d’Abidjan, ainsi qu’à la une d’un magazine.
Jeune, Éric Taba confie qu’il avait pour modèle Georges Ouégnin, chef du protocole de l’ancien président Félix Houphouët-Boigny. « J’avais dit à mes amis qu’un jour je serais directeur du protocole d’un président et que je ferais de la politique », se souvient-il. Aujourd’hui, il est l’un des plus proches collaborateurs d’Alassane Ouattara. « Je l’accueille le matin et lui dis au revoir le soir, quand il rentre chez lui. Tous les jours, je suis là quand il s’installe à son bureau. J’en profite parfois pour lui dire quelques mots. Il faut aller vite et résumer l’essentiel en trente secondes », explique-t-il.
Parmi les proches du président, souvent diplômés de grandes écoles et ayant fait des carrières à l’international, le parcours d’Éric Taba détonne. Après une enfance qu’il qualifie lui-même de « turbulente », son passage difficile au collège de l’École militaire préparatoire technique – où il ne restera finalement qu’une année – le change profondément. Il s’oriente vers la formation professionnelle. Il obtient un BEP en Côte d’Ivoire, puis s’envole pour la France. Il s’installe à Aix-en-Provence, où il obtient un BTS en commerce international. Par la suite, il décrochera un master en administration grâce à la formation continue.
Loyauté et fidélité
Pour Éric Taba, cette candidature n’est pas une première, mais plutôt un retour aux sources. Rentré en Côte d’Ivoire après ses études en France, il avait en effet décidé de se lancer en politique, contrairement au souhait de son père, qui l’imaginait comptable. À l’époque, il fait ses premiers pas en tant que responsable de la jeunesse aux côtés de l’ancien maire de Cocody, Théodore Mel Eg, qui a dirigé la commune de 1990 à 2001. Sans être membre du RDR, Éric Taba est séduit par Alassane Ouattara, alors Premier ministre. « Ma mère faisait partie des fonctionnaires qui avaient été mis d’office à la retraite après trente ans de service. Elle était très fâchée. Mais je lui ai dit : “Ce monsieur fera de grandes choses pour la Côte d’Ivoire.” Aujourd’hui, elle-même est une fan du président qu’il est devenu », souligne-t-il.
Lorsque Théodore Mel Eg crée l’Union pour la démocratie citoyenne (UDCY), en 2000, lui préfère rejoindre le RDR. Cette même année, la candidature de Ouattara aux élections législatives est rejetée dans son fief de Kong. Son parti décide alors de boycotter le scrutin. Éric Taba se présente quand même en indépendant à Cocody, mais ne remporte pas le siège de député. C’est aussi à cette période qu’il rencontre le futur président. « À notre première entrevue, j’ai appris que mon père était très ami avec son aîné, Gaoussou Ouattara. Ce jour-là, j’ai pris l’engagement devant mon père de le suivre partout », raconte celui qui se présente comme un « alassaniste ».
Dans les années 2000, Éric Taba travaille aux côtés d’Henriette Dagri Diabaté, ancienne secrétaire générale du RDR. Il devient ensuite son chargé de mission au ministère de la Justice. Il se met également au service de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Amadou Soumahoro, décédé en mai 2022, ainsi que d’Ibrahim Cissé Bacongo.
Après la crise postélectorale de 2010-2011, Ouattara arrive au pouvoir. « Quand il est devenu président, certains lui ont dit qu’il lui fallait un chef de protocole avec un certain charisme. Le président aurait répondu : “Quand c’était dur, ce jeune est venu vers moi. Maintenant, il va apprendre à être professionnel.” Cela fait douze ans que je suis au palais », indique-t-il. « La loyauté et la fidélité sont des qualités que le président estime beaucoup », remarque l’un de ses proches.
Signe de la confiance qu’il place en lui : Éric Taba, qui a aussi rang d’ambassadeur, participe aux conseils des ministres depuis trois ans – une première dans l’histoire de la présidence ivoirienne.
« Enfant de Cocody »
Le collaborateur dévoué aura-t-il la carrure nécessaire pour rafler Cocody au PDCI ? Il sera opposé au maire sortant, Jean-Marc Yacé. Ce poids lourd de l’ancien parti unique, fils d’une famille politique historique de la Côte d’Ivoire, avait battu en 2018 l’édile sortant, Mathias Aka N’Gouan, un cadre du PDCI qui se représentait sous les couleurs du RHDP.
Taba pourrait toutefois bénéficier des divisions au sein du PDCI. La députée de la commune Yasmina Ouégnin, qui n’a pas été investie par son parti, a décidé de se présenter en indépendante. Le candidat du RHDP pourra aussi compter sur le soutien du Front populaire ivoirien (FPI), dont le secrétaire général, Issiaka Sangaré, s’est officiellement retiré de la course à son profit.
« Quand on parle de ma candidature, on parle de l’enfant de Cocody qui a gravi les échelons. Pas de celui à qui on a mis une cuillère en or dans la bouche », tacle-t-il. Éric Taba revendique volontiers une candidature « transpartisane » et confie avoir des « amis » dans toutes les formations politiques. Réfection d’établissements scolaires, assainissement de quartiers précaires, dons à des associations de femmes… Depuis plusieurs années, il accomplit dans sa commune de petits gestes discrets qui, il l’espère, feront la différence le 2 septembre.