Guillaume Diop, une première étoile métisse
Le 2 mars, le prodige de 23 ans s’est vu décerner le titre suprême du ballet de l’Opéra national de Paris. Si la compagnie a déjà compté dans ses rangs des danseurs noirs ou métis , il est le premier à y devenir soliste.
Le danseur étoile de l’Opéra national de Paris, Guillaume Diop, à Paris le 17 mars 2023. © Joël Saget/AFP
« Après cette représentation de Gisèle à Séoul, j’ai l’immense plaisir de nommer Guillaume Diop danseur étoile. » À l’écoute des mots de José Martinez, directeur de la danse de l’Opéra national de Paris, le jeune artiste de 23 ans est saisi par l’émotion, cerné par les cris de félicitations et les applaudissements. En mars 2020, Guillaume Diop cosignait un manifeste intitulé De la question raciale à l’Opéra de Paris. Trois ans plus tard, le prodige est la première personne noire à se voir décerner le titre d’étoile. Même s’il y a eu d’autres danseurs noirs ou métis avant lui, ce nouveau grade est une consécration. Quadrille, coryphée, sujet, premier danseur sont des titres accessibles par concours. Étoile est une nomination de la direction pour les meilleurs des meilleurs.
Rôle modèle
« La sensation était assez indescriptible. J’étais très ému. Être danseur étoile, c’est notre rêve à tous. On travaille pour cela depuis notre plus jeune âge, sans savoir si cela arrivera un jour. Cette décision ne nous appartient pas, c’est la direction qui tranche”, commente-t-il en réaction à l’événement. La vidéo fait le tour des réseaux sociaux, nombreux sont les titres à mentionner sa couleur de peau.
« Médiatiquement, je ne m’attendais pas à ce que cela fasse autant de bruit. Je suis le premier danseur étoile noir, c’est un fait, mais je ne sais pas tellement comment me positionner par rapport à ça… », précise-t-il. Avant d’ajouter : « Je suis content que cela arrive, c’est important. Je repense à moi, plus jeune. Savoir qu’il y avait un danseur métis à l’opéra aurait été rassurant. Je pense que l’on sous-estime l’importance du rôle-modèle. »
Dans sa famille, Guillaume Diop n’a aucun exemple de danseur. Excepté sa grande sœur, qui, enfant, est inscrite à un cours de danse contemporaine où elle se rend une fois par semaine. C’est d’ailleurs là que commence son histoire avec le rythme. Alors que sa mère et lui viennent la chercher après une leçon, il demande à y être inscrit lui aussi. Il a 4 ans, elle dit oui, et « bénit » le cadre que la danse apporte à son fils. « Danser était pour moi un moyen d’expression. Je me souviens que j’étais un enfant timide mais que j’avais beaucoup d’énergie, j’aimais bouger mon corps. C’était surtout pour moi quelque chose d’instinctif. » Alors qu’il n’a que 8 ans, sa professeure souligne déjà son potentiel et conseille à ses parents de l’inscrire en classique, au conservatoire du 18e arrondissement de Paris.
Un monde étranger
Dans la famille Diop, on ne baigne pas dans l’art, encore moins dans le ballet. Le père a plus de mal avec l’idée que son fils embrasse la discipline et décide de l’inscrire en parallèle à l’athlétisme. Lui est sénégalais, sa compagne française. Au Sénégal, « ce sont surtout les femmes de ma famille qui dansent, sourit-il, et c’est associé à la fête. Quand ils étaient jeunes, mon père et mon oncle sortaient danser en boîte de nuit. C’était des stars, ils faisaient des compétitions, etc. »
Mais quand il a été question pour Guillaume de s’orienter dans cette voie professionnelle, ce souvenir n’a pas suffi à rassurer son père, qui s’est montré « très inquiet ». « Il se disait que ce n’était pas un métier pour un garçon, et encore moins pour un métis ». Sans être « sereine », sa mère l’a beaucoup défendu. « Elle se disait qu’il fallait que je le fasse parce que c’était ma vocation. Mais je reconnais que ce n’était pas évident, ce monde leur était totalement étranger, ils n’en avaient pas les codes… »
SERAIS-JE CRÉDIBLE DANS UN RÔLE DE PRINCE, AVEC MA COULEUR DE PEAU ?
Le métissage se voit rarement sur les planches des théâtres. Le jeune homme souligne le « peu de diversité à l’Opéra, même s’il y en a eu par le passé ». Un manque de diversité qui est justement le sujet abordé par le manifeste auquel il a participé, paru quelque temps après la naissance du mouvement Black Lives Matter en réaction à la mort de l’Américain George Floyd. « Lorsque je regardais les photos de danseurs, je n’en voyais pas qui me ressemblaient. Mais j’ai du mal à savoir si c’est quelque chose qui m’a manqué, ou au contraire si cela m’a aidé… Je n’ai jamais cherché à danser comme quelqu’un. »
Avant qu’il intègre l’école de danse, les remarques sur sa couleur de peau fleurissent. « On me disait que je ne rentrerai pas à l’Opéra justement parce que j’étais noir », se souvient-il, entre autres critiques comme celles sur ses « pieds plats », ou ses « grosses fesses », de la part d’autres enfants mais aussi de professeurs. « Pour moi, ça a été un moteur. Je me répétais : “Je vais vous montrer que je peux y arriver.” » Mais à l’adolescence, il oscille toujours entre désir et doute. « Est-ce que je peux être crédible dans un rôle de prince, avec ma couleur de peau ? »
Refus de l’autocensure
La réponse, il la trouve en traversant l’Atlantique pour participer à un stage à New York au sein de la compagnie Alvin Ailey, principalement composée de danseurs africains-américains. « À un moment, j’ai eu besoin d’être entouré de gens qui me ressemblaient, ça m’a fait beaucoup de bien. Et ça m’a aidé à formuler mon rêve : oui, je voulais être danseur classique et entrer à l’opéra. Je refusais de m’autocensurer à cause de mon métissage. Il fait partie de moi, et c’est aussi ce qui me rend unique. »
Les Étoiles de l’Opéra de Paris Marc Moreau, Hannah O'Neill et Guillaume Diop, le 30 mars 2023. © Éric Dessons/JDD/Sipa
Mais, quand il rend visite avec sa famille aux aïeuls qui vivent au Sénégal, on ne parle pas tellement de ce qu’il fait, en dehors des études classiques. Du moins, jusqu’à récemment : « Tu passes à la télévision, c’est fou ! » s’exclame sa grand-mère après avoir vu la nomination de son petit-fils. « J’ai senti de la fierté dans sa voix, elle comprend que ce que je vis est quelque chose de grand, d’important », réagit-il, non sans une pointe d’émotion.
Avant d’avoir une chance d’être nommé étoile, il aurait dû passer encore quelques concours pour monter en grade à l’Opéra. Il n’était officiellement qu’un remplaçant des premiers rôles, mais il s’est retrouvé, après une série de hasards, à les interpréter un à un, dans Roméo et Juliette, Don Quichotte, Le Bayader, Le Lac des cygnes… La nomination ajoute à son travail une responsabilité, davantage de pression, un devoir d’exemplarité, énumère le jeune homme, mais aussi plus de confort : « Quand on est remplaçant, on a très peu de temps pour se préparer et on travaille en parallèle les mouvements d’ensemble du ballet. »
Son prochain rôle, c’est celui du soliste bleu dans Le Chant du compagnon errant, de Maurice Béjart. « Je danse un adolescent rêveur qui est à la recherche d’un guide et qui rencontre un autre soliste, le personnage rouge, qui va incarner ce rôle. Ce ballet est un peu la métaphore du passage de l’enfance à l’âge adulte », et peut-être, aussi, la pièce idéale pour prendre ses fonctions d’étoile. Dans la cour des grands.