À la tête de la Cedeao, Bola Tinubu se veut intransigeant avec les putschistes
Nommé dimanche à la tête de l’organisation ouest-africaine, le nouveau président nigérian a fait de la défense de la démocratie une de ses priorités. Il promet notamment d’être inflexible sur le respect des calendriers électoraux au Mali, au Burkina Faso et en Guinée.
Le président nigérian Bola Tinubu lors de sa prestation de serment, le 29 mai 2023, à Abuja. © REUTERS/Temilade Adelaja
« Nous ne permettrons pas qu’il y ait coup d’État sur coup d’État ». Ce 9 juillet, à Bissau, Bola Tinubu a rapidement donné le ton après avoir été nommé président de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Tout juste investi à la tête du plus grand pays de l’organisation régionale, le chef de l’État nigérian a vigoureusement défendu la démocratie et s’est montré très clair : il fera preuve de la plus grande fermeté avec les militaires putschistes qui dirigent le Mali, le Burkina Faso et la Guinée.
« Nous n’avons pas investi dans nos armées, leurs uniformes, leur formation, leurs bottes pour qu’ils se braquent contre les populations, a poursuivi Tinubu (…) Nous avons investi sur eux pour défendre la souveraineté de leur pays, maintenant ils aspirent à mettre en place leur gouvernement. Nous devons réagir, nous ne pouvons pas rester comme des chiens sans crocs à la Cedeao. Nous devons mordre comme il le faut. »
Prenant la parole à l’issue de la conférence du 9 juillet, le président de la Commission de la Cedeao, Oumar Alieu Touray, a indiqué que « des sanctions majeures » pourraient s’appliquer aux pays en transition qui ne respecteraient pas leur calendrier électoral. Il les a exhortés à rester « fidèles à l’échéancier de transition de 24 mois de manière transparente et inclusive avec toutes les parties prenantes ».
Sans gouvernement
Bola Tinubu, lui, a déclaré vouloir envoyer un « signal d’avertissement » aux putschistes. Mais malgré ses propos offensifs, la stratégie du nouveau président de la Cedeao reste floue. Plus de quarante jours après son investiture, Tinubu n’a toujours pas nommé les ministres qui formeront son gouvernement et n’a donc personne pour s’atteler à ces brûlants dossiers régionaux.
En attendant, le président nigérian cultive déjà certaines alliances, notamment avec Paris, où il a séjourné avant son investiture. « La France reste un partenaire privilégié de la Cedeao et Tinubu est ouvert à une telle collaboration », indique notre source. Selon elle, le Nigeria de Tinubu aurait pour ambition de rapprocher la France et le Mali, dont les relations se sont fortement dégradées, jusqu’à atteindre le point de rupture avec le départ de la force française Barkhane, en 2022.
Médiations nigérianes
Voilà plusieurs semaines que Bola Tinubu peaufine sa stratégie régionale. Le 13 juin, à Abuja, il avait rencontré le médiateur de la Cedeao pour le Mali et ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, afin qu’il lui fasse un compte rendu sur le référendum constitutionnel qui se préparait au Mali.
« Le Nigeria a toujours fait figure d’activiste prodémocratie dans la région », souligne un observateur proche du pouvoir, citant notamment le rôle de l’ancien président Olusegun Obasanjo, qui s’est impliqué dans plusieurs médiations sur le continent, comme après le coup d’État de 2003 dans l’archipel de São Tomé-et-Príncipe, ou pour tenter d’apaiser les tensions entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro en 2017, en Côte d’Ivoire.
En 2020, le prédécesseur de Bola Tinubu, Muhammadu Buhari, s’était lui fermement opposé au coup d’État qui avait entraîné la chute d’Ibrahim Boubacar Keita au Mali. Qualifiant ce putsch de « grand revers pour la diplomatie régionale avec de graves conséquences pour la paix et la sécurité », il avait appelé les autorités maliennes à « agir de manière responsable » pour garantir le rétablissement de l’ordre constitutionnel.
« ADN antimilitaire »
S’érigeant contre la dictature militaire dans son pays au début des années 1990, puis arrêté et contraint à l’exil au Bénin, Bola Tinubu est perçu comme un fervent défenseur de la démocratie par une partie de l’opinion publique nigériane. « C’est dans son ADN d’être antimilitaire », raconte l’observateur cité plus haut.
Pour Tinubu, la mission de l’armée n’est pas de « violer les principes républicains » mais d’assurer la sécurité de la population. Déjà en proie à de nombreux défis sécuritaires, le Nigeria veut se protéger de la descente des groupes jihadistes vers le golfe de Guinée et n’entend pas laisser l’instabilité gagner l’Afrique de l’Ouest. « Sur le plan sécuritaire, il va être intraitable », conclut notre observateur, qui le décrit comme « téméraire » et capable de tout.