TÉMOIGNAGE D’ANSELME TARPAGA

En stage en Algérie de 2002 à 2004

Anselme Tarpaga

Vers l’Algérie…

Lorsque j’ai rencontré les Missionnaires d’Afrique pour la première fois, je brûlais du désir de porter la Bonne Nouvelle partout en Afrique où elle n’est pas encore connue. En ce moment, pour moi, « porter la Bonne Nouvelle » signifiait littéralement faire des chrétiens, parcourir les brousses, animer les communautés chrétiennes naissantes et administrer les sacrements… Et je ne m’arrêtais pas de lire et relire l’histoire des premiers missionnaires qui ont foulé le cœur de notre continent pour nous apporter la foi chrétienne. Leur courage, leurs souffrances, leurs succès et échecs parfois, ont beaucoup soutenu mon désir vocationnel.

Cependant, ce grain missionnaire semé dans mon cœur d’adolescent va grandir tout au long de mon cheminement. Les années de formation et les évènements contribueront beaucoup à cette croissance missionnaire.

Les premiers signes d’une mission en Algérie ou dans un milieu islamo-arabe date de mes temps d’études au collège. En ce moment, le monde entier était sous le choc de l’assassinat des religieux et religieuses en Algérie. Nous en avons alors profité pour demander à un des formateurs du noviciat, qui était aussi un ancien d’Algérie, de venir nous parler de la situation qui se vivait à l’époque dans ce pays. C’est après cette causerie que s’éveille en moi la conscience d’un islam terrifiant et capable de tuer au nom de la foi : une nouvelle découverte que je ne connaissais pas à travers les milliers de musulmans avec qui j’avais vécu jusque là.

Basilique Notre-Dame d'Afrique à Alger Mais, après la causerie, ce qui résonnait encore plus fort en moi était « la vie donnée », les martyrs de ces religieux et religieuses et le courage de ces chrétiens qui continuaient à y vivre et refusaient de quitter les lieux malgré la situation très alarmante. En effet, avec ces évènements, le rideau se levait sur un autre milieu géographique de la mission auquel je n’avais pas pensé avant : un milieu où des hommes et des femmes continuaient encore à mettre en péril leur vie au nom de l’Évangile. Et cela correspondait à ce que je cherchais, aux premières images de cette bande dessinée que j’avais lue pendant mon enfance sur les missionnaires…

Mais, jusque-là, je ne pense pas qu’il soit encore correct de parler de dialogue. Car bien que côtoyant des musulmans pendant de longues années, je les avais soupçonnés d’être dans l’erreur.

La conscience du dialogue, de l’ouverture et de la valorisation de l’autre comme croyant musulman et voulu ainsi par Dieu naîtra de mon contact avec les textes du concile Vatican II traitant des relations de l’Église avec les croyants des autres religions. C’était au premier cycle, lorsque je faisais mes études de philosophie. Et je me rappelle toujours de ce moment comme si c’était hier. Pour moi ces textes tombaient comme la solution à une question qui m’avait toujours hanté. Je me rappelle encore comment je jubilais après la classe et combien de fois j’ai lu et relu ce texte consolateur. A vrai dire, ce texte du Concile Vatican II me consolait et me mettait en harmonie avec mon milieu très pluriel en forme de religions et de croyances. Il me réconciliait aussi avec tous ces milliers de musulmans que j’ai connus dans ma famille, dans le quartier, à l’école et ailleurs et avec qui j’avais de très bonnes relations. En effet, pour moi, savoir que l’Église à laquelle j’appartiens estimait et valorisait tous les autres croyants qui m’entouraient était une grande joie.

Enfin, le dernier souvenir qui a été très important pour mon choix missionnaire en milieu arabo-musulman est extrêmement lié aux événements du 11 septembre. En effet, ces évènements coïncidaient avec mon voyage en Tanzanie où je devais commencer mon noviciat… Et inutile de dire combien j’étais sous le choc lorsque je regardais pour la première fois les horribles images des deux tours jumelles sur les écrans téléviseurs des aéroports et hôtels où j’étais en transit. Et, pire encore, je ne saurais comment vous décrire la peur qui me tenait au ventre lorsque je me suis rendu compte de l’origine de mon voisin pendant le vol qui nous acheminait d’Accra vers Addis-Abeba : un monsieur dans la quarantaine, longue barbe, habillé d’un boubou et portant une Chesh sur la tête… avec une allure très calme. Ainsi je tombais déjà dans une généralisation injustifiée et dans un sentiment de phobie arabo-musulmane.

Tout ce qui concernait un peu l’homme arabo-musulman se trouvait lié à un sentiment de peur, de haine et diabolisation…et à partir de là je sentais en moi un refus de cette image. Je trouvais qu’on exagérait un peu et qu’ils ne sont pas que ça ! Alors pourquoi ne pas essayer une aventure missionnaire en pays arabo-musulman ?

Ma vie d’étranger dans le milieu algéro-musulman

Des valeurs qui séduisent…

La société algérienne est profondément religieuse, en ce sens que Dieu est mis au centre de tout. Ce sens religieux des Algériens s’exprime surtout à travers beaucoup d’expressions où figure le nom de Dieu : Allah ! Ainsi le futur est presque inabordable sans la volonté de Dieu, sans son consentement : « Inch Allah ! » comme ils aiment bien le dire. Il en va de même pour tout projet qu’on conçoit et dont on espère voir la réalisation un jour. On peut faire une litanie de beaucoup d’autres expressions exprimant cette omniprésence de Dieu dans la vie d’un Algérien.

En plus, comme partout où se trouvent des musulmans, la place accordée à la prière communautaire est très importante. Mais ici à Ghardaia et plus qu’ailleurs, la prière rythme les activités de la journée comme dans un grand monastère.

De la société j’ai beaucoup appris sur le sens de la solidarité, de la simplicité et de l’harmonie entre le binôme commerce / Dieu, ou argent / religion ! Ces religieux du désert ont vraiment un grand sens de l’organisation et se montrent très bons gestionnaires du matériel.

J’ai trouvé aussi chez beaucoup d’Algériens une piété très édifiante pour moi. J’ai toujours apprécié et admiré ces musulmans qui, avec simplicité mais fermeté, s’exercent à appliquer la volonté de Dieu dans leur vie, cette volonté divine qu’ils trouvent dans leurs livres sacrés, le Coran et les hadiths. Cela n’est pas à confondre avec l’extrémisme qui nie l’autre croyant et exclut toute autre mode de pensée que celles prescrites dans ses valeurs religieuses à lui. Et toutes les fois que je rencontre ces visages pieux et croyant, je me sens interpellé à poursuivre ma quête de Dieu et à faire sa volonté dans ma vie.

Lorsqu’on aborde les Algériens pour la première fois, ils peuvent paraître trop secs ou durs de caractère. Mais au fond, et cela on le découvre avec le temps, ce sont des gens très gentils et accueillants. Comme me le disait le papa d’une amie, « Nous les Algériens, nous sommes comme les dattes : on se casse les dents lorsqu’on se précipite pour nous manger !»

La langue : porte d’entrée dans la culture de l’autre…

Anselme étudie l'arabeDès mon arrivée dans la Province, comme il est de coutume chez les Pères Blancs, la première recommandation qui m’a été faite fut celle de l’apprentissage de la langue. Ainsi, après un mois de séjour dans ma communauté, je me suis vite attelé à la nouvelle tâche qui était désormais la mienne… Pour les cours, j’étais avec un autre confrère, José Maria Cantal. Il était très sympa et nous avons fait bonne classe ensemble.

J’ai beaucoup aimé apprendre l’arabe bien que ce soit une langue difficile. Et mon désir de communiquer avec les gens me permettait de considérer moins les sacrifices et les difficultés. Les premières lectures et les premières paroles étaient pour moi des moments extrêmes de joies et d’encouragements.

L’apprentissage de la langue a été aussi un moyen d’entrer dans une autre culture avec toute sa richesse historique et présente : apprendre à écrire de la droite vers la gauche, ouvrir un livre à partir de la droite… Ces petits gestes, qui semblent insignifiants, disent pourtant beaucoup sur la différence culturelle qui séparent l’occident et l’orient. Et en faisant cela, je ne pouvais pas m’empêcher de considérer le grand fossé que je franchissais en partant d’une culture occidentale, qui m’a façonné l’esprit à travers mes études, vers une culture orientale dans laquelle baignaient toutes ces personnes que j’allais rencontrer et aimer. D’un côté, ces petits gestes m’ont préparé à subir moins les chocs culturels.

Une diversité pas toujours évidente à gérer

Le milieu algérien est un milieu très diversifié, voire même mélangé à tout point de vue. Et c’est cette diversité qui m’a le plus frappé, surtout au moment où je faisais mes premiers pas dans ce pays. D’un côté, nous avons des femmes bien moulées dans des pantalons gins avec des cheveux au vent et de l’autre côté, nous avons des femmes qui ne laissent apparaître qu’un seul œil ou au tout maximum deux… Nous avons également des hommes barbus jusqu’au niveau de la poitrine, habillés en boubou plus un Sirwal sauté au niveau de la cheville, à côté des « bons messieurs » aux cravates plus vestes… Cette diversité s’étend même à l’islam vécu dans le quotidien : divergence entre malékites et ibadites, surtout ici à Ghardaia où je me trouve en stage… ou encore divergence entre les communautés soufi et l’islam général…

Vie communautaire

Communauté avec feu Mgr Michel Gagnon en arrière à droiteLorsque je suis arrivé dans ma communauté, il y avait 4 confrères : Mgr Michel Gagnon, Félix Tellechea, Miguel Larburu et Diégo Sarrio. Ainsi la communauté était formée de 3 espagnols (ou 2 basques+ un espagnol !!!), d’un canadien et de moi-même en provenance du Burkina Faso. La plupart de mes confrères ont un grand chapeau : évêque, vicaire général, un autre était économe diocésain et est actuellement Directeur national pour l’enfance missionnaire…Malgré ces gros titres, ils se sont toujours comportés en tant que confrères à mon égard et ont beaucoup facilité mon intégration dans la vie de la communauté.

Tout récemment, la communauté a connu de nouveaux arrivés : Dieudonné Makiala du Congo, et John MacWilliam, qui était au Nord.

Pendant tout mon séjour, je me suis senti comme acteur à part entière de la vie communautaire. J’ai pris ma part dans toutes les responsabilités partagées de la maison : cuisine, accueil, animation de la liturgie, préparation de l’homélie et de la récollection mensuelle. Car pour moi la communauté est avant tout un lieu de don et de recevoir, un lieu de partage fraternel, partage de nos forces et savoir-faire pour rendre la vie communautaire plus agréable et variée en couleurs…

Mon réel travail d’équipe avec ma communauté a commencé lors de cette initiative que j’ai lancée pour l’organisation d’une colonie de vacances. Bien que je sois le concepteur ça été pour moi une bonne occasion de me lancer vraiment en travail d’équipe avec mes confrères qui ont d’abord accepté l’initiative et qui y ont pris également une part très importante aussi bien dans la préparation que dans la réalisation du projet.

Et le moment le plus fort où je me suis réellement senti en communion avec mes confrères fut le temps d’élaboration de notre projet communautaire. Ça été une occasion de nous rappeler notre vocation missionnaire et de tracer notre vision apostolique communautaire. Pour moi ce fut une belle expérience.

En outre, la prière a toujours pris une place très importante dans notre vie communautaire : en plus de nos temps d’oraison individuelle, la célébration eucharistique et la prière du bréviaire rythmaient la journée en 3 moments de prières communautaires intenses. Lors d’une de nos dernières recollections, on était unanime à dire que le partage sur nos rencontres à l’extérieur devenait de plus en plus rare…Et nous avons décidé d’insérer dans notre prière du soir un temps réservé à cet effet. Ainsi, la prière communautaire devient un lieu privilégié où nous apportons les joies et les peines de nos rencontres…L’autre peut être aussi lent à sortir ce qu’il a vécu, et dans ce cas il serait bien aussi de lui poser de petites questions telles, « Alors ! Comment ça s’est passé ? » Etc.

Relations diverses

Mes relations commencent d’abord au sein de la communauté chrétienne qui m’a accueilli et dont je partage la mission. Comme je l’ai déjà fait savoir dans la première partie de mon travail, nous sommes une micro communauté. Cette pauvreté nous offre beaucoup d’avantages comme la convivialité et une très grande proximité fraternelle. Comme une famille nous célébrons ensemble les grands événements heureux telles les fêtes religieuses, les retrouvailles, les anniversaires, etc. Ici, comme à Ouargla où j’ai passé 5 mois d’apprentissage de la langue, je me suis toujours senti à l’aise avec les autres membres de notre Église… Il m’est arrivé aussi de rendre visite à l’un ou l’autre laïc ; et je me suis toujours senti accueilli.

En dehors de cette communauté chrétienne, je me suis inséré également dans le réseau des amis de la maison. Un réseau constitué majoritairement d’amis des confrères qui ont été ici avant nous ou d’anciens élèves des Pères et des Sœurs… Pour beaucoup c’était de la nouveauté de voir un Père Blanc noir, de surcroît subsaharien ! Certains se sont mis vite à l’évidence, mais pour d’autres les choses ont pris du temps et ont fait leurs chemins doucement et progressivement. Aujourd’hui, je me sens bien reconnu et accepté dans ce réseau d’amis. Certains de ces amis nous invitent chez eux pour le repas ou à l’occasion d’évènements importants. Avec certains nous avons de vraies relations profondes, des relations de famille à famille et avec qui l’expression arabe « darna darkoum » (« notre maison est aussi la vôtre ») tient bien !

Il y’a aussi les relations qui se sont noués sur les champs d’apostolat.

Personnel de l'orphelinatA l’hôpital où j’ai été parachuté comme sur Mars, (je veux dire sans y connaître personne auparavant), je vois grandir avec le temps mes relations avec le personnel médecins, infirmiers et femmes de ménages. Malgré le travail, beaucoup trouvent du temps pour me parler, s’enquérir de mes nouvelles, de ce que je fais. Avec certains des ponts de confiance se sont établis : ils me confient des sentiments personnels et me partagent leurs vies. Je suis toujours accepté pour manger avec l’équipe médicale quand je veux. Hormis le personnel médical, je ne saurais passer sous silence les bonnes paroles de reconnaissance et de gratuité reçues de parents d’enfants. Beaucoup m’ont dit merci et se montrent moins surpris de savoir que je suis un Père Blanc car, disent-ils, « les Pères Blancs ont toujours fait du bien ! »

Pour d’autres, je suis un vrai croyant car je fais ce que le coran recommande aux musulmans de faire, à savoir rendre visite aux malades. Je ne veux pas passer aussi sous silence les gestes de ces nombreux parents qui bravent les douleurs de la souffrance pour m’offrir un paquet de biscuits, des bananes ou un bouquet de fleurs de rose à cause , disent-ils, de ma gentillesse ! C’est vrai, avec les malades ce sont souvent des relations temporaires qui durent le temps de la maladie, mais ce sont des relations profondes et marquantes où quelque chose reste…Et avec les parents on s’en souvient toujours lorsqu’on se retrouve dans le courant de la vie sociale sur la place du marché ou ailleurs.

Mes relations, c’est aussi avec mes élèves. Avec certains d’entre eux les relations sont très conviviales et dépassent les règles de grammaire et d’orthographe que nous étudions ensemble…. Et lors de la fête de Noël passée, un groupe d’entre eux nous ont visités et nous ont adressé de belles formules de vœux.

Mes relations, c’est aussi les migrants subsahariens que je rencontre souvent et avec qui je parle le bambara que je comprends grâce à mon Jula. Certains d’entre eux m’appellent « parent ». Et après tout, il est vraiment ce sentiment qui nous lie sur cette terre étrangère où nous nous trouvons.

Activités apostoliques

Avant d’aborder mon expérience apostolique, je trouve important de vous décrire brièvement la mission et l’apostolat de l’Église qui m’accueille.

La mission de l’Église au Sahara

L’Église au Sahara, comme toute l’Église algérienne d’ailleurs, se veut tout d’abord comme une Église pour les musulmans ! Ainsi, par sa nature apostolique, elle se veut solidaire d’un peuple dont la foi et la culture sont tout à fait autres que la sienne. En prenant une telle option apostolique, elle se définit donc comme une Église totalement missionnaire et travaille à rejoindre les personnes là où elles sont, afin d’être présente à leur vie et d’être à leur écoute.

Pour vivre cette solidarité avec le saharien d’aujourd’hui, notre Église a choisi de se situer sur les lieux où l’on souffre, les lieux où l’on est à la recherche d’un nouveau sens religieux, et les lieux où se joue le développement du pays.

Les lieux où l’on souffre signifie ces lieux où l’humain est blessé dans sa chair, son esprit et voire même dans sa dignité. Il s’agit plus concrètement dès hôpitaux et des centres pour handicapés où certains d’entre nous travaillent côte à côte avec des Algériens. C’est aussi une proximité auprès des plus vulnérables, comme les immigrés clandestins qui vivent souvent dans des conditions difficiles et insupportables. On peut citer ici également les nombreuses aides fournies par la Caritas auprès des associations qui travaillent dans des milieux défavorisés ou en période de catastrophes comme ce fut le cas tout récemment avec les séismes qui ont secoué la ville d’Alger.

Les lieux où se jouent le développement et l’avenir du pays signifient surtout les lieux d’éducation et de formation. Ainsi, par la prise en charge des cours de soutien et l’ouverture des bibliothèques, notre Église participe à sa manière au développement du pays en offrant à la jeunesse des moyens de formation…

Enfin, l’Église, ici, vit également un engagement au plan spirituel, surtout auprès des chrétiens algériens, des étudiants subsahariens et des cheminant, c’est-à-dire des Algériens en quête d’un discernement pour trouver une voie spirituelle qui leur convienne.

Mes insertions apostoliques

Pendant la première année, je n’ai eu aucun un engagement proprement dit. Ce fut un temps d’inactivité où j’étais à la maison, souvent chargé de l’accueil ou d’autres services communautaires. Ce fut aussi un temps où j’ai appris à observer ceux qui se trouvaient sur le terrain avant moi. Pendant ce temps, j’ai appris également à connaître les amis de la maison qui sont en quelque sorte nos paroissiens !

À l’intérieur de nos murs

Je participe aux activités du CCDS en donnant des cours de français et d’anglais aux élèves de terminal. Ces cours ont lieu le lundi et jeudi soir pendant quatre heures et demie de temps. C’est un lieu privilégié de contact avec la jeunesse algérienne où, par delà les cours, nous échangeons sur nos cultures, nos espérances, nos joies et nos peurs. Ces jeunes, qui connaissent mieux l’Europe que l’Afrique, sont souvent heureux de voir un Africain heureux dans sa peau et son identité. Beaucoup d’entre eux découvrent également pour la première fois qu’il y a des chrétiens en Afrique !

Nous avons également une grande bibliothèque, mais comme elle consomme déjà assez de personnes, je n’ai pas d’engagement permanent là-bas. Cependant, il m’arrive de donner des coups de mains pour telle ou telle question précise…Toujours en ce qui concerne les bibliothèques, je veux souligner le temps d’apprentissage de langue passé à Ouargla. Pendant ce temps, j’ai eu aussi à prendre part dans les services de la communauté, dont la bibliothèque où je participais activement à l’accueil des étudiants. J’ai beaucoup aimé les aider dans leur recherches et à les orienter. Et un jour, à un étudiant qui me demandait : « Pourquoi êtes-vous si gentil avec nous ? », j’ai répondu : « C’est parce que nous vous aimons ! »

A l’extérieur de nos murs

Anselme avec un orphelin1) J’ai pu m’insérer dans le service de la pédiatrie de l’hôpital de Ghardaia. En effet, ce service a été initié par Paolo, un confrère aîné stagiaire, qui était là deux ans avant moi. La communauté avait gardé les liens et m’a fait rentrer en contact avec les personnes concernées. Alors, qu’est-ce je fais à l’hôpital ? C’est très simple : j’offre aux enfants autres choses que des aiguilles ou des bouteilles d’eau à perfusion. Sans aucune formation, je me suis ainsi improvisé en animateur psychopédagogue et je propose aux enfants des jeux d’éducation sensorielle, la peinture, le barbouillage, des dessins à colorer et des petits jouets que je trouvais sur les places du marché. Aussi, selon l’état de l’enfant, on peut faire certains jeux de société ou de petites activités manuelles qui permettent à l’enfant de libérer un peu son savoir faire. Et s’il le faut, je n’hésite pas à faire jouer aussi certains membres du personnel afin de les aider à garder le moral haut ; en plus, ça renforce les relations !

Bref, cet apostolat à l’hôpital m’a donné d’être en contact avec un milieu plus féminin, à savoir les infirmières et les mères des enfants. Et puisqu’en milieu arabo-musulman tous les interdits semblent tournés autour de la femme, alors il fallait bien ménager le comportement pour choquer le moins possible et être discret quand il le faut…Ce fut aussi une expérience de compassion avec les parents qui souvent souffrent plus que leurs enfants. Souvent, ensemble on garde le silence…

Ami des orphelinsJe n’oublie pas aussi cette crèche d’anges qui se trouve à l’hôpital. Une crèche qui m’a permis de méditer concrètement le mystère de l’incarnation que nous fêtons à Noël. En effet, pour moi la vraie crèche de Noël était dans cette pouponnière. Ces enfants abandonnés, c’est l’Emmanuel, Dieu fait homme qui se réfugie dans les grottes de l’hôpital par manque de place dans la société dite de bonne valeur et d’honneur ! Nos cœurs ne sont pas moins durs que ceux qui ont refusé d’accueillir Marie enceinte il y’a 2000 ans.

A ces enfants dont le regard innocent et le sourire généreux et contagieux m’ont plusieurs fois apaisé je dis un grand merci. Merci également pour la paix qu’ils communiquent dans leurs fragilités…Par ailleurs cette expérience m’a permis également d’être témoin de la lutte des médecins et infirmiers algériens pour sauver la vie. Plusieurs fois j’ai admiré leurs dévouements auprès des malades et l’intérêt qu’ils portent à ce que je fais. Cela prouve en effet qu’il s’intéresse aussi bien à la guérison physique de l’enfant qu’à son épanouissement psychologique.

2) Par ailleurs, après beaucoup de péripéties et un long moment d’attente j’ai pu commencer des activités aux centres des handicapés de Beni Isguen. Là aussi, j’essaye de collaborer avec les moniteurs et la psychologue pour offrir des jeux éducatifs aux handicapés mentaux. J’insiste davantage sur des jeux de plein air afin de leur permettre de développer leurs potentialités physiques. Et avec la psychologue on est en train de sensibiliser les autres monitrices sur l’importance de l’apprentissage par le jeu. Et cela marche très bien car elles se montrent très réceptives à nos propositions. Au-delà du « boulot-boulot », le milieu s’avère aussi très intéressant et accueillant : c’est le seul endroit, à part l’hôpital, où je mange avec des femmes mozabites dans une atmosphère très relaxe et amicale.

3) Enfin j’ai gardé comme souci pastoral ma proximité avec les émigrés. Ce sont en général des jeunes venants des pays d’Afrique subsaharienne avec l’intention de traverser l’Algérie, puis le Maroc et de rejoindre l’Espagne par Gibraltar ou encore l’Italie par la Libye. Une fois en Algérie ils fonts le métiers de cordonniers et jardiniers (surtout ici à Ghardaia ou à Ouargla)…Les plus fortunés arrivent à avoir une place dans les foyers déjà existants. Les autres restent sur les places ou dans les oueds (rivières) et subissent les rafles de la police ou de la gendarmerie. Ce grand mouvement d’exode pour une aventure risquée s’explique sans doute par la situation actuelle du marasme économique et politique qui paralyse et affaiblit nos pays d’Afrique subsahariens. Ainsi, dans mon contact avec ces émigrés j’ai rencontré des personnes qui ont quitté leur pays à cause de la guerre, de la famine ou de la pauvreté… Pendant tout mon séjour, j’ai cherché à être à leur écoute en les accueillant ou en les rendant visite sur leur lieu de travail ou dans les foyers où ils vivent dans des conditions qui sont souvent peu enviables. Parmi eux, je me suis fait aussi beaucoup d’amis et j’ai souvent partagé leur métier de cordonnier sur la place du marché…

L’impact du stage sur ma vie

Tout d’abord en ce qui concerne ma vie de foi : j’ai appris à vivre ma foi humblement et discrètement, mais aussi dans la vérité. J’ai expérimenté et goûté à la vie de Nazareth où le Christ s’est affairé à la vie quotidienne comme tout le monde. J’ai appris à semer le Royaume de Dieu à travers des petites choses de chaque jour. Cette manière de vivre la foi simplement donne une liberté intérieure pour plus de place à Dieu dans ma vie et cela rejoint aussi l’un des principes de saint Ignace qui vise à nous faire découvrir Dieu en toute chose et à chaque instant.

J’ai été également au contact d’une Église qui a très peu à faire avec la foule comme c’est le cas dans beaucoup d’Églises que j’ai connues auparavant. Les rencontres avec les personnes sont importantes. Et cela m’a aidé à revisiter ces moments forts de Jésus où il rencontre des individus, des personnes uniques à qui il accorde toute leur importance. Comme Jésus et la syro-phénicienne, beaucoup de ces rencontres m’ont transformé et ont élargi ma vision de l’Etre, de Dieu et de la personne.

Pendant ce temps de stage, j’ai apprécié plus que jamais l’importance de la prière personnelle dans la vie du missionnaire. Elle est en effet le lieu où je reçois mon envoi quotidien en mission et le lieu également où je l’évalue. Personnellement, ça m’a beaucoup aidé : plusieurs fois la prière a été pour moi à la fois un lieu et un temps où je me décharge sur le Christ…Et plusieurs fois j’en ressors relaxé et reposé. C’est comme si la batterie était rechargée pour ma prochaine descente dans le monde…

En outre, bien qu’ayant connu des musulmans pendant toute ma vie, j’ai trouvé extraordinaire ma rencontre avec les arabo-musulmans : Au contraire des musulmans de chez nous, j’ai appris avec eux que l’Islam n’est pas seulement une religion, mais aussi une culture, une civilisation voire même toute une manière de vivre avec ses us et coutumes. J’ai admiré leur simplicité dans la pratique religieuse et leur souci de préserver leur identité culturelle. Ce qui m’a aussi aidé à chercher l’essentiel pour moi-même et à y tenir.

Enfin, je peux dire aussi que ce temps de stage m’a permis de casser les verrous de la peur et des préjugés pour aimer davantage l’autre. En effet, comme beaucoup d’autres, j’ai été aussi victime des médias qui nous ont tant parlé des années horribles qu’a connu le pays. Ce qui en fait n’étaient pas des mensonges. Car après mon arrivée, ça a continué encore… Mais à force de rabâcher ça et de ne montrer que ce côté du pays, on finit par créer des psychoses ! Mais Dieu merci, j’ai découvert que les Algériens sont comme les hommes et les femmes de partout, gentils et très accueillants. D’ailleurs, souvent je me suis trouvé en communion de partage et de joies profondes avec certains au point que j’ai été amené à oublier tous ce qui en eux me rendait méfiant à leur égard. L’amour a détrôné la peur, la lumière pascale a chassé les ténèbres. Que Dieu en soit glorifié !

J’ai grandi

A la fin de mon noviciat, beaucoup de remarques m’ont été faites pour m’aider à grandir dans mon cheminement vocationnel. Et pendant ce temps de stage j’ai essayé d’en tenir compte.

D’abord en ce qui concerne mon caractère, j’ai essayé d’être le moins colérique possible, ou du moins, je l’ai moins exprimé ! J’ai appris également à m’exprimer calmement lorsque je me suis senti blessé. Sans être violent dans mes propos et sans trop écraser l’autre non plus.

On m’avait fait la remarque d’être trop rapide dans l’action…je crois que j’ai beaucoup temporiser ici. Et j’ai essayé à tout moment d’informer et de laisser le temps couler un peu avant d’agir. Et j’aime aussi que quand j’informe ou communique quelque chose, que l’autre ait également le courage de me dire ce qu’il en pense. Je trouve dommage qu’on ne réagisse qu’après que j’ai agi.

Par ailleurs, pour l’avenir, je crois que je dois accorder un peu d’importance à l’expression de mes sentiments et à les communiquer. Cela me soulagera et permettra aussi aux autres de communier à mon état d’âme.

Enfin je crois qu’il me faudra m’accorder un peu de repos quand il le faut. Cela permet d’être moins lourd et efficace dans l’apostolat.

Anselme avec le Père Édouard Duclos de OuagadougouVoilà, des progrès ont été faits mais tout n’est pas encore gagné. Je suis toujours en devenir vers le Christ et ma personnalité, je la construis dans ce processus qui me permet de me réaliser davantage jour après jour. Je rends grâce à Dieu pour mes richesses et je lui offre mes pauvretés. Et comme dit saint Paul : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort… ! »

Les conseils évangéliques

La pauvreté :

Dès mon arrivée, j’ai eu le nécessaire pour mon séjour. Le milieu avait quand à lui un niveau de vie plus élevé que je ne m’y attendais ; mais, pour moi, l’essentiel c’était de m’ajuster selon la majorité des pauvres. Cela ne s’est pas fait d’un jour à un autre, je l’ai appris au fur à mesure que je restais plus dans le pays et m’intéressais à la vie des gens.

Mais je crois que la pauvreté évangélique, bien qu’elle s’incarne dans mon attitude envers le matériel, transcende celui-ci. Surtout lorsqu’on est appelé à vivre en communauté ou d’une façon générale, dans le milieu culturel qui m’accueille pour ma vie missionnaire. Ainsi, la pauvreté est le dépouillement quotidien qu’on fait pour abandonner ses points de vue, son opinion, ses références culturelles et sa façon de faire afin de vivre pleinement inculturé dans la société qui m’accueille ou dans la communauté qui m’accueille. Je crois également à ce que Régis Chaix disait lorsqu’il parlait de la pauvreté en communauté ; en effet, selon lui, il s’agit aussi d’« accepter l’autre avec ses qualités sans jalousie, avec ses défauts, et chercher la communion, le travail décidé et programmé en commun.»

La chasteté :

Vivant dans un milieu religieux où le mariage est considéré comme la moitié de la religion, il m’est arrivé plus d’une fois de justifier mon choix de vie à mes amis. Et la plupart du temps je leurs réponds comme suit : « Si je fais un tel choix de vie c’est parce que je veux imiter notre prophète, le messie, qui a vécu célibataire et chaste toute sa vie. Et cela pour le Royaume de Dieu et la Face de Dieu. » Une fois, à un autre j’ai répondu : « Chez vous il faut vous purifier avant la prière pour mille raisons que vous connaissez bien. Mais nous, en tant qu’imams de notre religion, nous voulons rester purs à tout moment, pas seulement pendant la prière, mais aussi à tout instant de notre vie. Car c’est à chaque instant que nous voulons adorer la Face de Dieu dans une vie sans partage et avec respect. »

Une autre fois encore, après avoir dit tout ce qu’elle avait à dire, quelqu’un conclût en me disant ceci : « Je me demande d’ailleurs si tu penses à ces choses-là ? » (Ces choses-là, bien entendu, femme, sexe, plaisir…). Et moi, de penser en moi-même : « Si et seulement si tu savais le don de Dieu ! » Bref, je disais cela en moi-même en riant : c’était juste pour dire que je ne suis pas un ange mais un homme comme tout le monde. Et tout en rendant grâce à Dieu pour ma sexualité, je me sens toujours appelé au combat quotidien pour la chasteté en vue du Royaume de Dieu. Comme me demandait encore quelqu’un, « c’est pas difficile ? » Oui, ça peut l’être ! Mais, Inch Allah, quand on garde les yeux fixés sur Jésus, modèle suprême de la chasteté, on y arrivera doucement mais sûrement comme tant d’autres l’ont fait.

Enfin, ici les gens aiment nous appeler « marabouts », hommes saints, en jouant sur la racine du mot « RBT », qui veut dire entre autre « lier, attacher ». Ainsi je crois que la chasteté c’est cette façon de vivre qui m’attache à Dieu. Autrement dit, un choix de vie dans lequel je me sens intimement lié à Dieu. Et pour l’avenir, je compte toujours avancer dans ce lien intime avec Dieu tout en comptant sur sa grâce qui sanctifiera mes efforts quotidiens.

L’obéissance :

C’est vrai, j’ai vécu dans une communauté avec des confrères qui ont de hautes responsabilités. Mais les projets ont toujours été décidés en communauté dans un esprit de dialogue. Il y a eu également un climat favorable pour que je puisse exprimer mes points de vue par rapport à une question donnée…quitte à ce qu’après on le considère ou pas !

Bien que je n’aie jamais reçu un ordre magistral ou manu militari, j’ai obéi et je demeure convaincu que l’obéissance dans le dialogue est très précieuse pour la vie en communauté. Et avant tout, j’essaye d’ordonner mon obéissance à celle du Christ qui « s’est fait obéissant jusqu’à la mort et de la mort à la croix. » Mais ce qui est intéressant c’est la finalité de cette obéissance, la Résurrection, qui me fait grandir en Dieu.

Témoin des merveilles de Dieu

Ce temps de stage fait désormais parti des moments inoubliables de ma vie. Un moment important où j’ai goûté à la joie d’être apôtre, c'est-à-dire appelé et envoyé au monde. J’ai été témoin des merveilles de Dieu chez les gens auprès de qui j’ai été envoyé. J’ai goûté aussi à la joie de la relation et jamais dans ma vie je n’ai reçu autant de compliments qu’ici en Algérie : « Tu as une tête noire, mais ton cœur est blanc ! » comme me le disait un vieux. « Tu es mon fils, tu es chez toi », me disait une autre, « Tu es bon et gentil, cela me suffit ! Peu importe ta croyance… », « Tu es un homme de Dieu toi ! Ça se voit ! »…, et j’en passe. Je rends grâce à Dieu pour les merveilles qu’il a accomplies à travers ma communauté et ma pauvre personne.

Cette expérience m’a fait découvrir des qualités comme celle de l’écoute et d’approche des enfants. Elle a creusé en moi aussi un goût d’une connaissance profonde de l’islam, de sa langue sacrée et du Coran. Bref, pour tout dire je suis devenu un amoureux du monde arabo-musulman !

Conclusion

Pour conclure, je commence avec ce passage de mon journal du 13 septembre 2002, c'est-à-dire au tout début de mon stage. En effet, après une journée de promenade dans la ville, j’écrivais ceci : « Ces jours-ci, il m’arrive de me penser fou ! De m’interroger sur le réalisme de mon projet missionnaire ici au M’zab. Serais-je capable de faire avancer le Royaume de Dieu d’un seul 1/100000000… de mm ? » Aujourd’hui, je pense que je peux répondre « oui ! », mais à condition que je reconnaisse que Dieu lui-même est missionnaire et qu’il a déjà atteint les peuples avant moi. En effet, je suis convaincu que la mission est toute d’abord l’œuvre du Père. Elle prend sa source dans une relation personnelle vécue avec Dieu. C’est dans cette relation avec Dieu que je reçois mon envoi pour aller témoigner de l’amour de Dieu pour tout homme et toute femme. La mission est la valorisation et le respect de l’homme créé à l’image de Dieu et toujours appelé à se réaliser pleinement. Et Dieu me fait grâce de participer à cette mission à travers des petites relations quotidiennes comme le Christ en a eu il y a de cela 2000 ans.

Anselme poursuit maintenant ses études théologiques au Kenya.