Burkina Faso

Charles Sarti

Un missionnaire
évangélisé par un païen

Hivernage 1970. Basé à Toma, au Burkina Faso, je vais parcourir la région de Zaba. Sur le bord de la route Tougan-Zaba-Dedougou, un petit village marka : Nyimpiri, où j’ai laissé ma 2 CV. Continuant à bicyclette, je me suis enfoncé dans la brousse et en trois jours, j’ai visité trois villages : Yé, Zultenga et Bondaotenga.

Au retour, alors que je suis à moins d’un kilomètre de l’endroit où j’ai laissé ma voiture, un homme, assis à l’ombre d’un arbre, bricole son vélo. Je m’arrête pour lui demander s’il a besoin d’un coup de main. Comme c’est un mooréphone, la conversation s’engage facilement. Ce brave homme vient de Sarakongo (145 kms environ) et va à Yako (encore 120 kms).

Voilà plus d’une heure qu’il est cloué là, s’efforçant, en vain, de réparer son engin. Le pignon de la roue arrière s’est tordu et l’axe est bloqué : c’est irréparable. Pas d’autre solution que de changer la pièce.

En brousse, il n’y a pas de boutique, pas de garage, si ce n’est les jours de marché : celui de Yé (à 15 kms), de Gassan (plus de 20 kms), et ils ont lieu tous les cinq jours. Que faire ? Car il n’est pas seul : sur son porte-bagage, il transporte un enfant de deux ans environ, installé dans une sorte de corbeille en osier et en peau. S’il avait été seul, je l’aurais laissé se débrouiller : il serait allé demander l’hospitalité à Nyimpiri, quitte à attendre un marché pendant deux ou trois jours. Mais le bambin...

Je pense au bon Samaritain de la parabole. Je lui propose donc de prendre mon vélo et sa roue à réparer. Qu’il aille jusqu’à Toma (pas plus de 30 kms par les pistes de brousse) où il m’attendra jusqu’au lendemain midi. Car j’ai encore un village à visiter sur la grand-route : Dumbasso.

En échange, je prends la vieille carcasse de son vélo que je lui ramènerai. Certes, ce brave homme m’est totalement inconnu ; et si, dans son élan, il continuait au-delà de Toma ? Je prends le risque, en me disant que si j’étais à sa place, je serais heureux que l’on me dépanne. Jésus n’a-t-il pas dit : “Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils fassent pour vous.”

D’ailleurs, lui aussi a des pensées semblables : il m’offre sa carte d’identité en gage. Je la refuse, au cas où il serait contrôlé en arrivant à Toma. Je remarque seulement qu’il a un nom coutumier, ce qui signifie qu’en principe, il n’est ni chrétien ni musulman.

Chacun continue son chemin : lui vers l’est, moi vers le nord. En moi-même, ce soir-là et même le lendemain matin, je me disais : “Ce type a eu de la veine : quelle chance que je sois passé par là et en fin de parcours.” De retour à Toma, sans doute me guettait-il, car j’avais à peine déchargé ma voiture, qu’il était là, rayonnant. En guise de remerciement, il me dit tout simplement : “Ad Wênnaam nonga mam.” (Ah vraiment, Dieu m’aime !).

Ce que moi, missionnaire, j’avais appelé “de la veine, de la chance”, ce païen y avait découvert un signe personnel de l’amour de Dieu pour lui. Je n’ai jamais oublié cette leçon.

Charles Sarti