José Maria Cantal Rivas

Mon deuxième mandat, comme Provincial des Pères Blancs du Maghreb, approche de sa fin. Un autre confrère vous aidera (à sa manière !) à envisager avec bonheur la vie de disciples de Jésus en lien étroit avec les disciples de l’Islam.

Je réalise, chaque jour un peu plus, l’importance de notre vie (la vôtre et la mienne) et de la joie contagieuse qui se dégage lorsque, chrétiens et musulmans, construisent ensemble. Sous des formes variées vous allez constater, en lisant ce numéro du RELAIS PERES BLANCS MAGHREB, que la créativité, la simplicité et la persévérance, se conjuguent très bien avec l’accent de l’Afrique du Nord !

Cela est d’autant plus important à dire, au moment où beaucoup d’autres semblent ne pas y croire ou, même, s’efforcent de détruire. De manière violente et par la terreur ou bien de manière subtile avec des idéologies et des législations d’exclusion, ils sont nombreux (un peu trop à mon goût !) à s’y adonner avec acharnement.

Dans nos pages, vous allez trouver des arguments pour construire, des projets achevés ou en cours de réalisation, une présence auprès des oubliés ou de ceux qui se préparent à donner toute leur vie au « projet d’être père blanc », une spiritualité de la communion et des lectures pour aller plus loin… Les manières sont différentes mais la vérité de fond ne change pas : quelle joie en grandissant spirituellement grâce
à la diversité !

En retrouvant la photo ci-contre (prise lors de la prière finale à l’Ecole de la Différence 2014) je me suis rappelé toutes les fois où au Maghreb les échanges spirituels n’ont pas conduit à une impasse, mais à un surplus de paix et de dynamisme. Cette joie personne ne doit pouvoir nous la ravir. Ce n’est pas le plus fort, le plus méchant, qui a raison (même s’il semble « vaincre »), mais celui qui laisse derrière lui une voie faite de compassion, de justice, de vérité et de lumière. Nous sommes au milieu du carême qui conduira à la victoire de la nuit pascale. Qui auraitdit, en son temps, que le pauvre crucifié du Golgotha, méprisé et mis à mort, pourrait un jour, inspirer tant d’amour et de vie ? Rien n’est petit quand on aime. Et rien ne vaut autant que la joie partagée.  Essayez  et  n’oubliez  pas :  C’est Jésus qui l’a dit !

José Maria Cantal Rivas

Provincial

 

Spiritualité

En la fête de saint Jean 2014, date anniversaire  et commémoration du 20e anniversaire de la mort des quatre Pères Blancs de Tizi Ouzou, José Maria Cantal prêche durant la messe sur l’attitude du disciple de Jésus en      milieu algérien. Les textes du jour étaient 1Jn 1, 1-4; Ps 96; Jn 20, 2-8.

 

Chers frères et sœurs. L’évangile de ce matin nous parle d’une tombe, d’une tristesse immense et d’un témoignage qui est rendu des années après. Nous aussi, nous allons nous réunir ce matin autour d’une tombe et nous allons partager nos peines, mais aussi notre foi dans la victoire finale de la Vie. Quatre éléments de la vie de mes confrères, assassinés il y a 20 ans, pourraient nous aider, que nous soyons musulmans ou chrétiens, à vivre en paix dans un monde violent :

Aimer Jésus :

J e n’ai pas peur de commencer en citant cet amour pour Jésus comme étant un élément qui pourrait nous inspirer. Pour les musulmans Jésus (A l Masih ibn Miryam ) est un être plein de compassion, doué d’un sens aiguë de la valeur des personnes qu’il rencontre et qui est prêt à dire la vérité au prix d’être incompris. Certain savants musulmans l’appellent « khâtim al-qadâsa » (plénitude de la sainteté). Et dans le livre saint de l’Islam (19,32) Jésus dit : « Dieu ne m’a pas créé ni violent ni malheureux ». Pour les chrétiens, Jésus est une Parole venant de Dieu et qui change les cœurs avec une telle force que nous n’avons pas peur de nous mettre à genou devant Lui ; Il est notre chemin, notre vérité et notre vie. Ses paroles, mais aussi ses gestes, ses fréquentations, sa défense des pauvres, son soucis de justice, sa passion pour purifier le culte rendu à Dieu, font de Lui, un modèle à imiter et un ami fidèle à qui confier nos soucis et nos peines.

« Venez à moi vous tous qui peinez… Apprenez de moi, car je sui doux et humble de cœur et vous trouverez le repos » dit Jésus dans l’évangile (Mt 11, 28-29). Aimer Jésus, change nos coeurs, chrétiens et musulmans, parce que nous voyons que cet amour ne peut s’accompagner ni de trahisons, ni d’hypocrisie, ni de fausses piétés, ni de mépris envers personne.

Servir tous les Algériens :

Mes confrères aimaient cette terre algérienne ; non seulement ils avaient fait le choix de vivre ici (le P. Deckers en choisissant la nationalité algérienne avait dû renoncer à sa nationalité d’origine car il n’y a pas de double nationalité en Belgique !) mais aussi ils avaient choisi d’apprendre ses langues et, à une époque où beaucoup de monde quittait le pays, ils ont choisi de rester et de croire à l’avenir du peuple algérien. Ils étaient, qui écrivain public ou accompagnateur spirituel, qui étudiant à la fac ou supporteur de la JSK (Jeunesse Sportive de la Kabylie), ils étaient au service de ceux qui avaient besoin d’être écoutés, ou de quelqu’un qui arrange leur pension de vieillesse. Ils auraient pu choisir de ne servir que les personnes qui avaient la même religion qu’eux. Mais en faisant le choix (difficile et incompris encore de nos jours) d’aimer et de servir tous ceux qui vivent en Algérie, ils ont cultivé avec beaucoup d’autres, l’unité, la fraternité et la justice. Eux ils l’avaient fait en tant que chrétiens, mais tous les musulmans qui leur faisaient confiance, tous les musulmans (que nous n’oublierons jamais !) qui ont fermés leurs boutiques le jour de l’enterrement des quatre Pères Blancs, pour les accompagner jusqu’au cimetière, ces musulmans ont aussi fait le choix de donner leur part de dignité à tous les Algériens, à tous ceux qui habitent notre nation, bénie et mille fois endeuillée. Ces musulmans auraient pu se dire : « Ils ne sont pas des nôtres, ce sont des Roumis, des étrangers ». Mais ils ont fait le choix de leur rendre un dernier service, celui d’une sépulture digne, en criant dans les rues de Tizi-Ouzou : « Ils étaient des hommes de Dieu ». Cette manière de faire peut nous inspirer encore aujourd’hui, musulmans et chrétiens. Parce que si nous aimons seulement ceux qui nous ressemblent… les païens font déjà cela ; à quoi bon des religions célestes si elles font comme les autres ?

Etre disciple bien aimé de Dieu :

Dans le 4ème  évangile il y a un personnage qui ne porte pas de nom. Il est souvent désigné comme « le disciple bien aimé ». Une noble tradition dit que c’était le plus jeune de tous les disciples de Jésus et qui a vécu jusqu’à devenir presque centenaire. Que ce soit lui ou pas, ce qui est utile pour nous, que nous soyons chrétiens ou musulmans, est de savoir que chacun de nous par la compassion qu’il a envers les autres, par la confiance qu’il fait à la miséricorde divine (ce Dieu qui envoie la pluie sur les terres des bons et des pécheurs, et qui fait briller le soleil sur les croyants et les infidèles), chacun de nous par la capacité qu’il a de reconnaître qu’il peut se tromper et que Dieu seul est Juge des vivants et des morts, par tout cela chacun de nous peux devenir « disciple bien aimé de Dieu ». Dans notre monde on se pose souvent la question (il suffit de lire la presse nationale ces derniers jours) cherchant à savoir c’est quoi un bon croyant, un croyant vrai, quelqu’un qui plait à Dieu et qui accomplit, non pas les détails de la Loi religieuse, mais le cœur, l’essentiel. Chacun de nous a la possibilité de chercher à devenir proche de l’essentiel de sa foi. Chacun de nous, chrétien ou musulman, nous pouvons apprendre les uns des autres, rivalisant, non pas dans des discours d’exclusion, mais dans les bonnes œuvres, en acceptant que dans nos vies nous avons un Seigneur qui, Lui aussi, aime les autres. Les 4 Pères Blancs dont nous faisons mémoire aujourd’hui ont découvert tant de personnes bonnes et Algérie qu’ils pensaient que, s’ils s’éloignaient d’elles, ils seraient malheureux. Pour être des bons disciples dans leur foi, ils avaient besoin de tout ce qu’ils apprenaient grâce à la foi de l’autre.

Et un 4ème point pour conclure :

Je reviens à la parole de Dieu que nous avons lue dans la première lecture. Des années plus tard, loin des événements liés à la tombe vide de Jésus, le disciple bien aimé écrit pour dire que toute sa vie il a été témoin de ce qu’il a vu et de ce qu’il a vécu concrètement. Et nous, à une époque où les actes de violence entre religions et communautés ethniques augmentent, c’est à nous de témoigner que nous avons vécu ensemble, chrétiens et musulmans de Tizi-Ouzou et de toute l’Algérie, témoigner des choses magnifiques et très belles. Alors que les autres se demandent s’il est possible d’aimer Dieu et de rester ouvert à la différence nous donnons le témoignage que l’amour est plus fort que la haine, que l’autre m’aide à être moi-même, que le soucis de tous dilate nos cœurs et nous humanise, que l’attache- ment à sa religion ne produit pas uniquement le fanatisme, mais également la compassion, la patience, l’espérance, le sens de la justice. Et non seulement nous sommes témoins de cela, mais nous voulons le dire, le partager, parce que cette expérience qui est un ca- deau de Dieu nous rend heureux. Et nous voudrions que tous, chrétiens et musulmans, soient en communion avec nous et avec Dieu, c’est pour cela que nous sommes ici, c’est pour cela que je vous ai dit toutes ces choses que, je l’espère, vous partagez avec moi, afin que notre joie soit parfaite.

José Maria Cantal

Père Blanc

Alger, Algérie