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UNE ŒUVRE DE JUSTICE
ET DE RÉCONCILIATION
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Sr Agnès Nakiguli assise à droite
Pourquoi t’es-tu spécialisée pour les malades mentaux ?
Les malades mentaux sont les victimes innocentes de traumatismes provenant de toutes sortes de causes; je sens en moi le désir de les soigner et de guérir leurs blessures.
Le défi est de leur rendre leur dignité pour qu’ils soient traités avec le respect dû à des personnes. Et soyons conscients que la maladie mentale peut nous affecter tous. Je donne ma voix aux malades mentaux pour que s’arrête la violence contre eux et que leur soif de dignité, de considération et de solidarité soit prise au sérieux. La transformation de la société prendra du temps, mais comme Église, nous devons donner notre contribution !
Qu’est-ce qui arrive au village, quand une personne montre les symptômes d’un trouble mental ?
Beaucoup de familles ressentent de la honte de vivre avec leurs membres malades mentaux. Ils ont tendance à les cacher dans la maison, à les isoler de la communauté villageoise. La maladie mentale est difficile à comprendre et ils ont peur d’être considérés comme des sorciers.
Qu’est-ce qui est prévu par les structures de santé publique ?
Aujourd’hui, la santé mentale est intégrée dans les services de soins primaires. Cela signifie qu’à tous les niveaux des structures de santé, les cas de santé mentale devraient recevoir la même attention que la malaria et le VIH/sida.
Quand nous allons dans les villages pour la conscientisation, nous nous rendons compte qu’il y a un grand manque d’information au sujet des troubles mentaux. C’est pour cela que nous enseignons aux gens comment reconnaître les signes de ces troubles dans leur communauté et comment réagir de façon appropriée quand des personnes en sont atteintes. Ils apprennent à amener ces malades à des services spécialisés d’un hôpital de référence ou bien à l’hôpital psychiatrique de Butabika à Kampala, où j’ai fait aussi ma formation.
Quels sont les traumas les plus fréquents ?
Les problèmes les plus communs sont l’épilepsie, le retard mental, mais aussi les conséquences de l’abus d’alcool ou de la drogue.
Dans quelle mesure la réintégration peut réussir ?
Les personnes avec des troubles mentaux ainsi que leurs familles et communautés ont besoin de beaucoup de soutien. Une fois qu’ils vont mieux après le traitement à l’hôpital, nous essayons de réintégrer les malades dans leurs familles. Nous encourageons les familles des malades à garder le contact avec le médecin pour suivre régulièrement la situation. Mais, pour que la réintégration réussisse vraiment, il faut conscientiser tout le village et aider les gens à surmonter préjugés et façons de discriminer les malades mentaux.
Sr Agnès avec ses collègues de travail
Qu’est-ce qui arrive si la famille ou le village rejette un malade malgré tous ces efforts ?
Le défi est vraiment énorme ! Il y a des malades à qui on refuse le droit d’une vie normale, le droit de participer aux activités quotidiennes du village comme la lessive, la cuisine, le travail au champ, un repas pris ensemble, et même de toucher les objets d’usage commun.
Dans certains cas, nous reprenons les malades à l’hôpital et nous-mêmes prenons soin d’eux, parfois à vie. D’autres se remettent assez bien pour s’engager dans une activité, souvent à l’aide d’une organisation non-gouvernementale, ce qui leur permet de retrouver une vie autonome.
Est-ce que toi, tu avais parfois peur des malades mentaux ?
Il faut toujours être aux aguets avec les malades mentaux ! Quand nous leur donnons les soins, il y a toujours le risque d’attraper un coup ou même d’être blessé. En tant qu’équipe, il faut travailler étroitement ensemble. Le pire c’est de voir un malade se suicider malgré tous nos efforts. C’est vraiment très triste !
Est-ce que la pauvreté est une des causes de la maladie mentale ?
J’hésite à dire « oui » ou « non ». Les causes des troubles mentaux ne dépendent pas de la richesse ou de la pauvreté d’une personne. De fait, il y a un nombre de facteurs internes et externes qui influencent la santé mentale.
Parmi les facteurs internes il y a l’hérédité, les substances chimiques, le développement de la personnalité et le vieillissement.
Les facteurs externes incluent des infections comme la malaria cérébrale, la méningite, la typhoïde, le VIH ; le trauma crânien suite à un accident ou à l’accouchement ; la consommation excessive et prolongée d’alcool et de drogue comme le bhangi, une drogue locale, le marijuana, la cocaïne ; une croissance anormale du cerveau ; la malnutrition ; une éducation déficiente des enfants, soit surprotégée soit négligée.
Il y a aussi des facteurs de stress psychosocial comme des expériences traumatisantes qui dérèglent notre affectivité, notre façon de penser et d’entrer en relation avec les autres. Elles peuvent provoquer un certain effondrement entraînant des troubles mentaux.
Dans cet apostolat, quel est le passage de nos Écritures qui t’inspire ?
Tout au début de nos Constitutions (Smnda) nous parlons « de ramener vers le Père l’humanité réconciliée ». (Const. 1). Surmonter la discrimination des malades mentaux dans notre société est une œuvre de réconciliation !
Dans la ligne des Actes capitulaires de 2011, je vois aussi mon engagement comme une œuvre de réconciliation : nos choix apostoliques, en réponse aux appels du monde doivent inclure le JPIC (Justice, Paix et Intégrité de la Création) et exprimer notre solidarité avec l’humanité toute entière. Avec ces paroles à l’esprit, je pars dans les villages pour la conscientisation sur la prévention des maladies mentales et pour la promotion de la santé mentale.
Quelles paroles du pape François te parlent dans ta mission ?
Le pape dit : « Si l’Église entière assume ce dynamisme missionnaire, elle doit parvenir à tous, sans exception. Mais qui devrait-elle privilégier ? Quand quelqu’un lit l’Évangile, il trouve une orientation très claire : pas tant les amis et voisins riches, mais surtout les pauvres et les infirmes, ceux qui sont souvent méprisés et oubliés, ‘ceux qui n’ont pas de quoi te le rendre’ (Lc 14, 14) » (Evangelii Gaudium 48). Les malades mentaux sont parmi ceux qui ne sont pas privilégiés, qui ne sont pas considérés dans notre société.
Une autre parole est : « Nous évangélisons aussi quand nous cherchons à affronter les différents défis qui peuvent se présenter (EG 61). »
Tu es nommée au Burkina Faso, dans un projet de soins psychiatriques.
Comment te sens-tu ?
D’un côté je ressens la joie et la paix ; de l’autre, il y a le défi de cet appel : on m’offre l’occasion d’aller et de collaborer avec le peuple du Burkina Faso afin que justice soit faite envers les malades mentaux de notre société.
Merci beaucoup, Agnès !