Montrer l'Amour de Dieu présent

Père Olivier Soma

Une découverte bouleversante

A mon arrivée à Nairobi au Kenya, j'ai été bouleversé quand je suis entré pour la première fois dans les quartiers pauvres de Mathare. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi les gens pouvaient vivre dans un tel environnement où il n’y a aucune dignité. Un autre choc pour moi a été la contradiction entre les différentes parties de la ville. D’un côté vous avez les gratte-ciel, de belles et grandes maisons familiales, et de l’autre côté vous voyez des petits refuges faits avec des tôles aplaties, la saleté, des montagnes d’ordures qu’on ne ramasse jamais, etc. C'était un genre de pauvreté que je n'avais jamais vu.

Bidonville de NairobiJe ne pouvais pas comprendre non plus pourquoi il y avait tant d’incendies dans les quartiers pauvres : par après j’ai compris qu’on voulait par là chasser les gens. Les médias font toujours référence à ces incidents comme " mystérieux ". J’étais surpris de toujours voir beaucoup de gens dans la cour de la paroisse, du matin au soir. Parmi eux, il y avait des réfugiés qui venaient chercher de l’aide, des pauvres et des désespérés, des enfants du projet appelé Enfants de la rue, ou d’autres, fidèles à venir aux répétitions de la chorale ou à d’autres réunions.

J’ai constaté, du moins à Nairobi, qu’il y a une crise d'identité culturelle surtout parmi les jeunes. Ils sont grandement influencés par la culture américaine. La musique qu’ils aiment écouter et leur façon de s’habiller ressemblent beaucoup au style américain. J'ai été choqué de voir comment beaucoup de chefs de sectes utilisent la religion pour abuser et tromper les pauvres et les innocents. Voir tant de types différents d’Églises et de sectes était nouveau pour moi. J'ai été bouleversé par la violence dont j’ai été témoin ou par les actes de violence rapportés chaque jour dans les médias.

Avant de joindre ma communauté à Nairobi, j'ai appris le swahili à Kipalapala, en Tanzanie, dans un centre de la langue tenu par les Missionnaires d'Afrique. Cette expérience était pour moi un défi. Beaucoup de gens ne pouvaient pas comprendre qu’étant Africain je ne parlais pas swahili. C'était difficile de leur faire comprendre que dans ma région d'Afrique on ne parle pas le swahili. Quand j'ai commencé à parler, les gens m'ont dit que bien que je puisse m'exprimer, je parlais encore comme un « Mzungu » (un Européen). Bien qu'ils se moquaient de moi, ils m'ont aidé et encouragé dans l’étude de leur langue. Ce fut une grande joie pour moi quand j'ai commencé à comprendre les gens et à leur parler en swahili. Quand je suis arrivé à Nairobi, j'ai trouvé un swahili différent de celui de Tanzanie et j’ai dû m’ajuster. J'ai aussi appris une autre langue : le sheng. C'est un argot parlé surtout par les jeunes gens. Si je n’avais pas connu le sheng, je n'aurais pas pu être près de la jeunesse comme je l'ai été. Cela m'a aidé à être complètement à l'aise avec eux, que ce soit dans les réunions, les sessions, les promenades, ou au cours d’un simple bavardage.

Ma communauté des Missionnaires d'Afrique

Le curé de la paroisse est un canadien de 72 ans. Il remplit ce rôle depuis 14 ans. Un autre confrère a 60 ans et vient de Belgique. Il est venu dans la paroisse une première fois en 1982. Il aime visiter les malades, travailler avec les adultes qui se préparent à recevoir les sacrements (Baptême, Confirmation, Mariage). Il anime aussi, avec l'aide de quelques laïcs, la retraite ignacienne dans la vie courante pour les paroissiens. Il m'a encouragé dans mes activités auprès de la jeunesse.

Un troisième confrère est originaire de Hollande et a 62 ans. Il aime travailler avec les jeunes. Il visite des étudiants et des professeurs dans les écoles, primaires et secondaires. Il aime aussi visiter les gens dans les familles. Il a été d'un grand support pour moi quand je suis arrivé dans la paroisse. Il m'a présenté dans les écoles, m'a conduit en ville pour me la faire visiter. Les gens l'apprécient pour sa simplicité et son attention pour eux. Un quatrième confrère a 37 ans et est originaire du Ghana. Son premier engagement consiste à être animateur des vocations au Kenya. Il est aussi le conseiller des Missionnaires d'Afrique au Kenya.

Une chose que j'ai aimé dans la communauté était le souci que nous avions les uns pour les autres. J'ai été touché de la façon dont un confrère mettait la table, réchauffait la nourriture pour un autre qui était en retard pour le repas, particulièrement le soir.

Répondre aux besoins des jeunes

Olivier chez les jeunesA mon arrivée, on m’a conseillé de prendre mon temps et de chercher les activités pastorales que je pourrais faire. Ce que j’ai fait. Je ne voulais pas être complètement impliqué dans des activités déjà bien établies. J’ai passé mon temps de découverte principalement parmi la jeunesse qui m'a aidé à m’intégrer dans ce milieu. Mon intérêt à les connaître individuellement (leurs noms, leurs adresses, et leur manière de vivre) et aussi à apprendre leur langue (sheng) m'a aidé à gagner petit à petit leur confiance. D’une attitude discrète et réservée, ils en sont venus à s'ouvrir et à partager avec moi leur amour de l'Église, mais en même temps leur désarroi de se sentir abandonnés et d’être comme des chrétiens de seconde classe dans l'Église. Ils ne se sentent pas impliqués dans les activités de l’Église et leurs besoins sociaux, spirituels et psychologiques ne sont pas satisfaits. C'est de là qu’a commencé à grandir mon intérêt pour l'apostolat auprès de la jeunesse.

Nous avions plusieurs activités ensemble telles que sessions, récollections, messes des jeunes, sorties, visites chez les personnes âgées et les orphelins du Sida, pique-niques, exercices de nettoyage, festivals culturels, sport, diffusion de films vidéo, etc. Tout cela en vue de répondre à quelques-uns de leurs besoins.

Un choc pour moi

Ce fut un choc pour moi quand j'ai découvert que la jeunesse des quartiers pauvres n'avait pratiquement pas de relations avec celle des quartiers riches de l’Est. Je venais de trouver mon principal objectif au milieu la jeunesse : réunir des jeunes d'origine sociale différente. Je les ai aidés à mieux se connaître, à respecter la dignité de l'un et l'autre et à s’aimer les uns les autres en tant que jeunes d’une même paroisse, aimés par le même Dieu. C'était un défi, mais je pensais que cela en valait la peine. Ma présence parmi les gens dans les quartiers pauvres a beaucoup été appréciée si j’en crois ce qu'ils me disaient et comment ils répondaient quand j'étais avec eux. Beaucoup de jeunes m'ont dit : « Olivier, tu sais que tu as fait quelque chose… tu nous as donné espoir et courage pour faire face à vie. »

La plupart de mes activités auprès de la jeunesse étaient de ma propre initiative. Cependant, j’informais et partageais mes projets au cours des conseils de l'équipe pastorale qui se tenaient chaque mardi de 9h00 à 11h00. Je mettais en œuvre un projet uniquement quand il n’y avait aucune objection valable. C’est aussi au cours de ces conseils que mes activités ont été évaluées. Ce conseil était formé des assistants sociaux, du secrétaire, des prêtres et de moi-même, et des Sœurs impliquées dans le travail pastoral de la paroisse.

Je ne peux pas dire que j'étais responsable de la jeunesse de la paroisse. Officiellement, c’était mon confrère Riny, mais, la plupart du temps, c’est John, un autre confrère, qui prenait sur lui cette responsabilité. Je me sentais mal à l’aise dans cette situation embrouillée où vous ne savez pas qui est vraiment responsable. Je me définirais donc comme un animateur et un coordinateur parmi la jeunesse.

Les activités ne manquaient pas

J'ai aussi visité les écoles primaires deux fois par semaine en collaboration avec Riny. J'ai aussi enseigné le français quatre heures par semaine au centre paroissial. Ce n'était pas une école officielle, mais le but étaient de donner les bases de la langue française à ceux qui m’avaient demandé ce service. Il y avait des adultes parmi les étudiants, mais la plupart d'entre eux étaient des jeunes qui avaient terminé leurs études secondaires. C'était une façon de les tenir occupés avec quelque chose qui les intéressait.

J'ai donné le catéchisme sur une base régulière dans un lycée pour filles. De temps en temps, j’étais avec les catéchumènes adultes à la paroisse. À quelques occasions j'ai animé des rencontres de prière, surtout dans les écoles. J'ai eu des activités avec les Jeunes Étudiants Chrétiens (Y.C.S), des récollections et des pique-niques, et ils ont bien aimé et apprécié ma présence parmi eux.

J'ai contribué grandement à soutenir les groupes de jeunes dans le S.C.C en les visitant, en ayant plusieurs activités avec eux et en les encourageant à se visiter l'un l'autre. Je me suis senti à l’aise et comblé dans les nombreuses activités apostoliques où je me suis impliqué. La plupart d'entre elles étaient mon choix et mon intérêt. Elles rejoignaient le projet apostolique des Missionnaires d’Afrique et aussi, en quelque sorte, celui du diocèse. Elles correspondaient aussi à la conception de la Mission qui est d’être près des plus nécessiteux (ce besoin peut être spirituel, social, économique, politique ou psychologique) et de briser les barrières entre les gens.

Impact du stage sur ma vie de foi

Ma foi remise en question

La foi des pauvres et des gens ordinaires m’a fait remettre en question ma propre foi et l'a aidé à grandir. Le fait de partager mes raisons d’espérer et de croire et aussi d’écouter le témoignage d'autres personnes m'a aidé dans ma foi. J'ai appris à insérer ma vie quotidienne dans ma prière personnelle et communautaire.

Olivier Soma prêtreJ'ai participé à la vie liturgique de la communauté chrétienne en distribuant la Communion le dimanche à l'église, en lançant la messe des jeunes, entièrement animée par eux, une fois par mois, en participant à la préparation de pièces de théâtre avant qu'elles soient présentées dans l'église. Je me suis aussi engagé dans les comités d’organisation et de préparation des grands événements comme Pâques, Noël, et d’autres rassemblements liturgiques ou sociaux de la paroisse.

Le fait de préparer des gens pour le Baptême et la Confirmation, surtout chez les Filles Pangani, m'a aidé à réfléchir sur mon propre Baptême, et la Confirmation que j'ai reçus il y a bien des années.

Je me suis senti bien à l’aise avec mon accompagnateur spirituel. J’ai vu en lui quelqu'un qui sait écouter. Il m'a aidé à regarder et à lire les événements de ma vie avec un regard différent. Je le rencontrais régulièrement. Il m’a soutenu et encouragé dans les périodes de frustration, de déception et d’échec. Il a aussi partagé mes joies et mes succès.

Ma manière de vivre l'Évangile bouleversée

Quartier insalubreMa façon de comprendre et de vivre l'Évangile était de donner la priorité en tout aux habitants des quartiers pauvres : être avec eux, faire l’expérience du genre de vie qu’ils vivent, tel l’insécurité, l'odeur insupportable des eaux des égouts ouverts, le surpeuplement dans les maisons familiales, les montagnes d’ordures non ramassées, etc. Les jours de fête comme Noël et le Nouvel An, beaucoup de familles m'invitaient chez elles. Mais je prenais soin de m’assurer que les familles et amis des quartiers pauvres n'étaient pas laissés de côté.

Les activités pastorales, comme visiter les S.C.C, les groupes de jeunes et les réunions avaient lieu le soir. Plusieurs fois je suis revenu à la maison après 21 heures. À cause de l'insécurité, mes confrères m’ont demandé d’essayer de rentrer plus tôt à la maison. C'était difficile d’aller dans ce sens parce que les réunions ne se terminaient jamais avant 20h30 et de là à ce que je rentre à la maison à pied, il était déjà 21 heures passées.

Le dévouement des laïcs m’impressionne

J'ai été principalement marqué par le dévouement des laïcs dans leur S.C.C, dans leur engagement pour Justice et Paix, dans l’animation liturgique de la paroisse, et dans les différents « huduma » (ministères, services). J’ai été frappé par les ouvriers de la santé qui traversent toutes sortes d'épreuves et de défis en essayant de prendre soin des malades. Je qualifierais la communauté chrétienne dans laquelle je vivais de très vivante et active.

À propos des Conseils Évangéliques

La pauvreté

Dans la paroisse, il y a beaucoup de situations de pauvreté ou laissez-moi appeler cela la misère. Comme allocation, je recevais à peu près 45 dollars par mois. J'ai utilisé cet argent pour mes besoins personnels. Beaucoup de cet argent a aussi été partagé avec les nécessiteux, surtout avec les jeunes qui connaissent toutes sortes de problèmes. Mon allocation était suffisante pour mener un style de vie simple dans une ville comme Nairobi où le coût de la vie est pourtant très cher. Pendant les trois premiers mois, J'ai utilisé mon argent personnel pour mes dépenses de transport. Avec l'augmentation du nombre de mes activités je n’ai pas pu continuer ainsi. J’en ai parlé et j'ai commencé à recevoir de l'argent pour mon transport. Mon travail apostolique se faisait surtout à pied ou en utilisant les moyens de transport public avec tous leurs inconvénients. Je n’avais pas un moyen de transport à ma disposition et la communauté n'a rien fait pour changer cette situation. Le manque d’un moyen de transport n'a pas paralysé mon travail apostolique dans son ensemble. Cependant c'était un handicap dans certaines circonstances et cela m'a causé frustration et déception. J'ai aussi éprouvé ma propre pauvreté devant les nécessiteux que je ne pouvais pas aider ou assister.

La chasteté

J'avais de bonnes relations avec les personnes des deux sexes. J'étais capable d'être complètement l’aise avec les hommes et les femmes dans mes nombreuses activités. Il y avait autant de garçons que de filles parmi les jeunes qui venaient parler de leur vie avec moi. J'étais capable d'authentique compassion envers les femmes, sans peur ni préjugé. J'ai aimé la liberté que donne le célibat. Cependant il n'a pas été sans défis. Ma présence dans le club de “ Ceux qui attendent le Vrai Amour ”, un groupe de jeunes qui encouragent la chasteté, m’a sans nul doute encouragé moi aussi. Avec l'expérience que j'ai eue, je veux encore croire que l'Amour de Dieu continuera à me satisfaire.

L'obéissance

En général, je me suis senti encouragé et aidé dans mon apostolat par mes confrères et par les responsables laïcs. J'ai quand même connu des difficultés. J'ai quelquefois éprouvé de la frustration quand des projets d'activités, surtout avec la jeunesse, devaient changer à la dernière minute pour se conformer à l'idée d'un confrère.

Le manque de coopération des enseignants dans certaines activités que nous organisions pour les écoles était aussi décevant. J’avais l’habitude de partager et de parler des projets que je voulais entreprendre avec les responsables concernés. J'ai fait l’expérience de l'obéissance toutes les fois que j'ai dû laisser de côté mes propres idées en acceptant le point de vue de des autres. Dans mes activités, je faisais aussi attention à chercher la Volonté de Dieu et non ma propre volonté et gloire.

Ma vocation : être tout à tous

Le stage m'a aidé à grandir dans ma vie personnelle. J'ai appris à mieux me connaître, ou plutôt à contester ou à confirmer ce que je savais déjà au sujet de moi-même. Je suis maintenant convaincu que je suis capable de m'adapter facilement à un nouvel environnement, de commencer de nouvelles relations et d’aimer les gens qui vivent dans ce nouveau milieu. J'ai aussi appris à me laisser aimer par les gens vers qui j’étais envoyé. J’ai surpassé quelques-unes de mes peurs en parlant en public. Je suis plus spontané dans mes contacts avec les personnes qui ne me sont pas familières. J'ai appris à faire le premier pas, à prendre des initiatives, à aller vers les gens par qui je ne suis pas naturellement attiré, et à donner de mon temps pour les autres.

Ce stage de deux ans m’a démontré que j'ai quelque chose à offrir à ceux et celles vers qui je suis envoyé. En même temps, j'ai quelque chose à recevoir d'eux.

Première messe d'OlivierPour moi, la Mission consiste à montrer l'Amour de Dieu présent dans toute situation. La plupart des jeunes que j’ai fréquentés vivaient dans un milieu d'extrême pauvreté, de chômage, de maladies, et dans un état désespéré : ils ont besoin de savoir que Dieu les aime. Je me dois d’être « tout à touts ». Bien que j’aie passé la plupart de mon temps avec les jeunes, j'ai aussi essayé d'être près des malades, des vieux, des « enfants » de la rue, des gens souffrant d’une maladie mentale, etc. La pauvreté, dans ses nombreuses formes, que je côtoyais n’a jamais cessé de me bouleverser. J'aimais beaucoup les gens mais je pense que je n'accepterai jamais comme normales les conditions inhumaines que vivent la plupart d’entre eux.

Olivier Tienana SOMA
Nairobi, mars 2001

Après trois ans d’études théologiques, le Père Olivier Soma a été ordonné prêtre dans le diocèse de Banfora en juillet 2004. Il est maintenant au Rwanda.