Texte pris sur le site de "Jeune Afrique"

Niger : malgré son repli, Boko Haram continue de traumatiser la population

 

À Diffa, dans le sud-est du Niger, les habitants vivent dans la peur permanente. La libération de Damasak, de l’autre côté de la frontière, n’y change pas grand-chose. Reportage.

Au poste-frontière entre Diffa (Niger, à 7 km) et Damasak (Nigeria, à 30 km), la cahute de garde, côté nigérian, est vide, la barrière levée en permanence. Les gardes-frontières ont déserté les lieux. Depuis la prise de Damasak par Boko Haram, il y a un an, personne ne s’aventure ici… sauf les militaires nigériens. Ce sont eux qui, dans le cadre de la Force multinationale mixte (FMM), ont repris la ville au groupe jihadiste, le 27 juillet.

Chaque jour, un incessant chassé-croisé de blindés et d’automitrailleuses franchit la rivière. « Allah yakiyaye ! Que Dieu vous protège ! » leur lancent les villageois le long de la route inondée qui serpente entre les rizières.

Vers la fin de l’horreur

Il y a quelque temps, sur ce même pont dit de Doutsi, les jihadistes égorgeaient les habitants du coin, complices de l’armée, avant de jeter leurs corps dans la rivière Komadougou Yobé. « On les repêchait le matin, raconte un soldat. Ça semait la terreur jusque dans nos rangs. En gros, on savait ce qui nous attendait s’ils mettaient la main sur nous. » La peur, c’est d’abord ce que cherche à répandre Boko Haram. C’est peut-être ce qui explique la longue et minutieuse préparation de l’offensive fulgurante sur Damasak depuis la base militaire de Diffa.

Dans la salle d’état-major trône une immense carte de la région, avec des petits points censés représenter les bases ennemies. « Le problème avec Boko Haram, c’est qu’ils se dispersent, voyagent léger et rapidement. Ils tuent et disparaissent aussitôt dans la nature », précise le colonel Hamadou Djibo, chef des opérations. À Damasak, l’armée nigérienne a trouvé une petite cité vidée de sa population, aux murs remplis d’inscriptions en arabe attribuées à Boko Haram.

Mais derrière chaque volet qui claquait se dissimulait un combattant armé d’une kalachnikov. Une trentaine d’entre eux seraient morts, selon l’état-major. « En reprenant Damasak, nous avons coupé l’un des bras de Boko Haram qui menaçait Diffa, estime le colonel-major Oumarou Namata. Notre objectif, à présent, c’est de sécuriser la région en ratissant jusqu’au lac Tchad, où se cache le gros des terroristes. » Pour y arriver, l’état-major impose à ses hommes une discipline de fer, car les terroristes s’infiltrent dans la moindre faille.

Une peur constante

À Diffa, ville de transit autrefois vivante et commerçante, Boko Haram est nulle part et partout à la fois. En 2015, les attaques-suicides s’y sont succédé, et la paranoïa s’est installée durablement : la ville s’est barricadée derrière d’interminables check-points. « Une fois, on a même découvert des kalachnikovs entièrement démontées et cachées dans le ventre de gros poissons sur les palettes d’un camion en provenance du Nigeria », raconte un commerçant.

Depuis la mise en place de l’état d’urgence, Diffa est tous les soirs sous couvre-feu à partir de 19 heures. Et si les militaires quadrillent la ville de long en large, personne n’est vraiment à l’abri d’une attaque-suicide. « Tout le monde craint un peu son voisin, explique Walli, un habitant. C’est ça le problème, ils se fondent dans la masse. Un garçon qui vous regarde passer le long de la route est peut-être en train de renseigner les terroristes. »

À 20 km de la ville, les ouvriers chinois qui goudronnent la route vers le Tchad se terrent chaque soir, après le travail, derrière l’enceinte du PK50, forteresse géante construite au milieu de nulle part et entourée de miradors.

Le long des 200 km de frontière avec le Nigeria, la population vit dans la peur. « Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique], ils vous prennent en otage, mais avec un peu de chance, au bout de deux ou trois ans, ils vous relâchent. Alors que Boko Haram, ils vous tuent direct », résume Aziz, un chef d’entreprise de Niamey qui ne sort de son hôtel à Diffa que sous escorte. Depuis l’attaque de Boko Haram à Bosso, près du lac Tchad, le 3 juin, 60 000 déplacés se sont entassés le long de la route numéro 1 en provenance de l’est pour « fuir les égorgements massifs ».

« Ils ne ferment pas l’œil de la nuit, tous font des cauchemars, rapporte Djamal Zamoum, chef de mission au HCR. Plus que la faim ou les maladies, quand le soleil se couche, c’est le retour de Boko Haram qu’ils craignent. » Beaucoup d’entre eux se sont regroupés sur le site de Garin Wanzam, à 40 km de Diffa, qui abrite désormais 14 873 personnes, selon le dernier recensement de la Commission nationale d’éligibilité au statut de réfugié. Les plus chanceux rejoindront le camp de Sayam Forage, a priori mieux protégé par l’armée.

Des attaques à la ganja

Les anciens habitants de Bosso ont gardé en mémoire le visage de certains « enfants du marabout », comme on surnomme les combattants de Boko Haram. « On ne s’y attendait pas, on ne pensait pas qu’un tel carnage puisse arriver au Niger », raconte calmement Issiakou Shioaram, lui-même marabout tidjane, donc jugé déviant de l’orthodoxie sunnite par la secte islamiste. Ce Nigérian de 46 ans a fui pour la septième fois en cinq ans les exactions des hommes d’Abubakar Shekau. Pour lui, « BH » comme il dit, « c’est un serpent qui mord avant qu’on ait eu le temps de prendre un bâton pour le frapper ».

Mais, cette fois, ce réfugié originaire de la région de Maiduguri a été marqué par un détail : « J’ai vu des ombres dans la panique, celles d’enfants de 10 ou 12 ans avec des couteaux, des kalachnikovs, frappant, tirant sur tout ce qui bougeait. » Aux alentours, les villageois ont retrouvé des restes de feux, avec des mégots étranges dans les cendres. « Ils fument de la ganja avant d’attaquer », dit l’un des réfugiés.

Tous savent d’où viennent ces enfants. La plupart ont été enrôlés discrètement via des prédicateurs locaux dans les villages de la région, de part et d’autre de la frontière. « Ça commence par de l’endoctrinement. Un jour, un homme barbu vient au village pour expliquer aux jeunes le “vrai islam”. Et puis un matin, tu te réveilles, et ton fils a disparu », explique Moustapha Mallam, un déplacé nigérien de 36 ans.

Traquer Sheckau pour mettre fin aux enlèvements

Quel est le mode opératoire des terroristes ? « Ils arrivent souvent la nuit, poursuit Moustapha. En général, ils tuent d’abord puis font des prisonniers, qu’ils attachent par les pieds et les mains pour éviter qu’ils n’aillent prévenir les secours. Et, pendant ce temps, ils pillent tout ce qu’ils trouvent, ils cassent tout sur leur passage. Certains prisonniers ont pu rester dix jours attachés comme ça ! » Les attaques se font le plus souvent à moto.

« Pour pouvoir dissocier les habitants des combattants de Boko Haram, nous avons donc interdit les deux-roues dans toute la région », explique le colonel-major Oumarou Namata. Depuis, des villages ont déjà été attaqués à cheval. En général, les éléments de Boko Haram font une incursion rapide et repartent se cacher dans la brousse.

Depuis février 2015, 163 incidents, la plupart avec mort d’hommes, ont été répertoriés dans la région de Diffa, selon une source onusienne. Le dernier en date a eu lieu le 30 juillet et aurait fait 24 victimes civiles, « toutes égorgées » selon cette même source, dans le village de Gaduraa. Djamal Zamoum, du HCR, ne comprend pas très bien : « Pourquoi s’en prennent-ils aux populations civiles ? Ils veulent vider la région du lac Tchad de sa population, mais dans quel but ? »

Face aux risques d’une pénétration durable de Boko Haram dans cette région autrefois paisible et dynamique, et devant l’afflux toujours plus important de réfugiés aux alentours de Diffa (241 000, selon les derniers chiffres du HCR), le mot d’ordre de l’armée nigérienne et de la FMM est « gama aiki » – finir le travail. « Traquer Abubakar Shekau, tel est l’objectif, quitte à le tuer lors d’une opération secrète comme celle qui fut organisée au Pakistan contre Ben Laden », confie un capitaine nigérien.

Pour l’instant, le leader de Boko Haram, que l’on a dit mort puis grièvement blessé, se terre. Shekau, « l’homme invisible », porte d’ailleurs un autre surnom, « Damasak ». De bon augure si son destin est lié à celui de la ville libérée du joug de Boko Haram…