Pas de lutte contre la pauvreté sans soutien aux agriculteurs. Dans son prochain Rapport mondial annuel sur le développement du monde, qui doit être rendu public en septembre, la Banque mondiale encourage les gouvernements des pays pauvres à encadrer et à soutenir leurs paysanneries. La Banque mondiale prend ainsi à contre-pied la doctrine néo-libérale "d'ajustement structurel" quelle a défendue pendant des dizaines d’année. Pour la première fois depuis 1982, ce rapport, qui devrait orienter la nouvelle stratégie de la Banque mondiale, se concentre sur l'agriculture. Délaissée par les politiques de lutte contre la pauvreté, l'aide au secteur agricole redevient un enjeu majeur. La Banque mondiale commence par un constat que nos lecteurs connaissent bien : "Il est frappant de voir que les trois quarts des pauvres des pays en développement sont des ruraux : 2,1 milliards d'individus vivent en dessous du seuil de pauvreté de 2 dollars par jour, soit un tiers de l'humanité (...). Bien que l'agriculture ne soit pas le seul instrument capable de les sortir de la pauvreté, c'est une source hautement efficace de croissance pour y parvenir." Suit un diagnostic qui sonne comme l'aveu des erreurs passées : "Malgré cela, la puissance de l'agriculture pour le développement a trop souvent été sous-utilisée. Avec la domination de l'industrialisation dans le débat politique, le développement par l'agriculture n'a souvent même pas été considéré comme une option. Les pays en développement connaissent très fréquemment un sous-investissement et un mal-investissement dans l'agriculture, de même que des travers politiques qui jouent à l'encontre de l'agriculture et des populations rurales pauvres. Et les bailleurs de fonds ont tourné le dos à l'agriculture. Cet abandon de l'agriculture a eu des coûts élevés pour la croissance, le bien-être et l'environnement." D’après le quotidien français Le Monde du 20 avril 2007, le Français Michel Griffon, responsable de l'agriculture et du développement durable au sein de l'Agence nationale de la recherche, se réjouit d'un tel revirement, "qui devrait orienter l'action de la Banque mondiale pour vingt ans". "C'est le document que nous attendions de la Banque mondiale depuis plus de vingt ans, depuis que les politiques d'ajustement structurel ont balayé les politiques publiques agricoles antérieures sans les remplacer", applaudit-il. Constatant que la part de l'agriculture dans les dépenses publiques a reculé entre 1980 et 2004, que ce soit en Afrique (de 6,4 % à 5 %), en Amérique Latine (de 14,8 à 7,4 %), ou en Asie (de 8 à 2,7 %), le texte de la Banque mondiale insiste sur la nécessité de relancer ces aides. "La croissance agricole, bien que conduite par le secteur privé et le marché, est très dépendante du soutien du secteur public. C'est pourtant dans les pays où l'agriculture est la plus vitale que les Etats tendent à être les plus faibles. (...) La mise en place de politiques de développement agricole réclame de solides stratégies nationales et une administration publique œuvrant en faveur d'une distribution et d'une responsabilité financière efficaces (...)." Vincent Ribier, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, a participé à une réunion d'experts sur le rapport au Quai d'Orsay le 6 avril dernier. Impressionné par ce changement de ton, il a confié au journal Le Monde : "Les politiques néo-libérales d'ajustement structurel défendues par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont eu un impact très direct et très négatif sur le monde rural dans les pays pauvres." Selon cet économiste, la Banque mondiale s'apprête à sceller pour la première fois dans un rapport international majeur "la fin du consensus de Washington", qui résume depuis 1989 la stratégie des experts de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et du département du Trésor américain : privatisation, déréglementation, impôts faibles, libéralisation des échanges. L'un des auteurs principaux du rapport confirme : "On s'est clairement placés au-delà du consensus de Washington, parce que la pauvreté n'a pas reculé, et que maintenant il y a l'urgence environnementale." A l'heure où selon les Nations unies, l'exode rural n'a jamais été aussi rapide dans l'histoire, la nouvelle ligne adoptée par le rapport de la Banque mondiale trouve son origine dans le constat de nouveaux périls. "L'accélération du changement climatique, l'imminence d'une crise de l'eau, la lente adoption des nouvelles biotechnologies, et le bourgeonnement de la demande de biocarburants et d'aliments pour le bétail créent de nouvelles incertitudes sur les conditions dans lesquelles la nourriture sera disponible dans l'économie mondiale", prévient la Banque mondiale. Ce revirement de la Banque Mondiale devrait réconforter les paysans à travers le monde. C’est un premier pas vers la prochaine étape : la reconnaissance du droit de souveraineté alimentaire par la Banque Mondiale et la communauté internationale. En attendant, les organisations paysannes africaines (entre autres) ont intérêt à bien connaître ce document. Il devrait leur permettre d’engager d’utiles négociations avec leurs gouvernements respectifs. Dans ses négociations avec les pays ACP (Afrique - Caraïbe - Pacifique), la commission européenne a refusé de mettre l’agriculture à l’ordre du jour. Sera-t-elle la seule à s’entêter et à ne pas reconnaître le rôle essentiel des paysans dans la lutte contre la pauvreté et pour le développement ? Source : Le Monde du 20 avril 2007. Koudougou, le 21 avril 2007
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