L’agriculture de l’Afrique de l’Ouest a le droit d’être protégée ! Les paysans de l’Afrique de l’Ouest peuvent se réjouir. La notion de souveraineté alimentaire gagne du terrain. Des politiques agricoles se mettent en place. Toutes affirment avoir pour objectif la promotion de la souveraineté alimentaire. Après le Sénégal et le Mali, voici la Guinée qui se dote d’une politique agricole dénommée « La nouvelle politique nationale de développement agricole vision 2015 ». Le premier axe de cette politique agricole consiste à « renforcer la sécurité alimentaire par la diversification et l’accroissement des productions vivrières, animales et forestières pour promouvoir la souveraineté alimentaire ». Plus loin, il est dit que cette politique agricole vise à augmenter la production vivrière, notamment la production de riz grâce à d’importants investissements. Nulle part il n’est fait mention de protection à l’importation. C’est là que le bât blesse !
Le plus grave, c’est que l’on peut en dire autant des
politiques agricoles du Sénégal et du Mali, et même
de l’ECOWAP, la politique agricole de la CEDEAO. Pourtant, quand en 1996 des paysans du monde entier ont défini l’expression « souveraineté alimentaire », c’était pour réclamer le droit de se protéger des importations à bas prix (en dessous des coûts de production) qui viennent casser la production nationale. C’était pour réclamer le droit de se protéger des fluctuations du marché mondial des produits agricoles. Et cela pour la simple raison que les prix des produits agricoles sur le marché mondial ne sont pas liés aux coûts de production. Certains y déversent leurs surplus, ou des produits de mauvaise qualité, à des prix tels que les producteurs locaux ne peuvent tenir. Le cas du maïs mexicain est tout à fait significatif. Depuis la signature en 1994 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), le Mexique est devenu dépendant du maïs américain subventionné. Les produits subventionnés américains entrent massivement sur le marché mexicain, rendant les producteurs locaux non compétitifs, une des causes de l'exode massif des paysans. De plus, les paysans mexicains qui sont restés sur leur terre abandonnent peu à peu la production de maïs. Aujourd’hui, l’augmentation de la production d’éthanol aux États-Unis a considérablement réduit l’approvisionnement en maïs à des fins de consommation, poussant les prix à la hausse, au Mexique comme à l’échelle internationale. Mais le Mexique ne produit plus assez de maïs ! Et le prix du plat national des Mexicains, la tortilla (une galette de maïs) ne cesse d’augmenter, à telle point que l’on parle de « crise nationale autour de la tortilla ». Ce cas nous paraît exemplaire. C’est pour éviter de tels scénarios que beaucoup voudraient que la souveraineté alimentaire soit reconnue par la communauté internationale comme le droit pour une population, donc pour un Etat (ou un ensemble d’Etats comme la CEDEAO), d’avoir sa politique agricole et alimentaire, et que cette politique puisse être défendue par des taxes à l’importation quand cela est nécessaire. Il ne suffit pas de dire aux paysans : « Travaillez plus, travaillez mieux » pour que la sécurité alimentaire d’un pays soit assurée. Pour augmenter la production, il faut commencer par sécuriser le revenu des paysans. Alors ils travailleront plus, alors ils travailleront mieux. Si le producteur de riz ne peut vendre sa récolte à un prix rémunérateur, il fera autre chose, ou encore il quittera ses terres pour aller vers la ville... Prévoir des investissements importants pour aménager de grandes plaines rizicoles sans se donner les moyens de se protéger des importations massives de vieux riz asiatiques à des prix cassés est irresponsable. Il suffit de se rendre sur les plaines irriguées du Sourou (au Burkina), et de voir les parcelles abandonnées par les riziculteurs pour comprendre cela. C’est pourquoi nous ne cessons de dire que seule la reconnaissance de la souveraineté alimentaire, et donc le droit de protéger son agriculture, pourra assurer la sécurité alimentaire de l’Afrique de l’Ouest. Et l’urgence donc, pour la CEDEAO, est de définir son TEC (tarif extérieur commun qui définit les diverses taxes à l’importation) en corrigeant le TEC de l’UEMOA à la hausse. Cela veut dire qu’au minimum, il est nécessaire d’introduire une bande tarifaire à 50 % (aujourd’hui, il n’existe que 4 bandes tarifaires, à 0 %, 5 % , 10 % et 20 %), et de se donner aussi le droit de corriger les conséquences de la baisse du dollar. Cette bande tarifaire en place, il faudra y loger tous les produits agricoles qui ont besoin d’être protégés comme le riz, le lait, la tomate... Enfin, pour donner un signal fort à l’Europe, ce TEC rehaussé devrait être mis en place avant la reprise des négociations autour de l’APE (Accord de Partenariat Economique) que l’Europe veut imposer à l’Afrique de l’Ouest. Alors seulement les paysans peuvent espérer être entendus quand ils réclament : « Pas d’APE sans Souveraineté Alimentaire ».
Koudougou, le 7 novembre 2007 Visitez le site www.abcburkina.net
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