Rencontre entre producteurs de riz thaïlandais et ouest-africains (2° partie)Avant, j’utilisais les produits chimiques... et je me suis endetté ! Au Sahel déjà, j’ai eu souvent l’occasion de constater qu’un bon paysan est également un chercheur. J’ai vu comment, au moment de la récolte, les paysans sélectionnent les meilleurs épis de mil pour la semence de la prochaine saison de culture. J’ai vu qu’ainsi les paysans du Sahel possédaient une véritable banque de semences de mil. J’ai vu aussi comment, dans un même village (mais aussi d’un région à l’autre), ils s’échangeaient ces semences. Mais en Thaïlande, nous avons découvert de véritables paysans-chercheurs. Pour sortir de l’endettement dans lequel la révolution verte les a entraînés, les paysans se sont organisés pour chercher des alternatives, et ils ont créé la Fédération pour l’Agriculture Alternative (AAN - Alternative Agriculture Network). Nous sommes allés à la rencontre de quelques-uns d’entre eux. Le premier décembre 2007, nous avons été reçus par un groupement de producteurs de riz de cette Fédération. Nous avons rencontré des paysans enthousiastes, fiers de leur travail de recherche. Ils nous ont initiés à leur méthode de sélection des semences. Comme partout, ils commencent par sélectionner de beaux épis de riz. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Ils poursuivent en sélectionnant les grains de riz, un par un, et de façon minutieuse. Une méthode qui exige de bons yeux ou l’utilisation d’une loupe. Ces graines permettront de produire des semences pour trois saisons de culture. C’est un travail qui se poursuit sans cesse ; toujours à la recherche de variétés plus résistantes, ou qui donnent un meilleur rendement, ou encore plus adaptées au goût des consommateurs. Les paysans rencontrés nous ont initié - avec joie et fierté - à ce travail de précision (voir la galerie de photos Thaïlande - Semences). Nous avons fait plusieurs visites sur le terrain. Souvent, nous avons entendu le propriétaire du champ nous dire : « Avant, j’utilisais les produits chimiques... et je me suis endetté. » Puis il poursuivait par ces mots ou d’autres semblables : « Aussi, quand on m’a proposé de rejoindre un groupe de paysans qui cherchaient ensemble comment sortir de cet endettement, j’ai été intéressé. Je n’étais pas certain des résultats, mais j’ai voulu essayer. » « Aujourd’hui, nous faisons nos propres recherches. Chaque semaine, nous passons trois heures ensemble. Nous partageons nos propres observations. Peu à peu, nous découvrons par nous-mêmes que nous n’avons plus besoin d’engrais chimiques ni de pesticides. Nous avons mis en place un processus de recherche. Nous faisons et nous partageons nos propres expériences. En plus de cela, nous bénéficions du suivi et des conseils de la Fondation Khao Kwan (Khao Kwan Foundation). Grâce à ce travail, j’ai pu payer mes dettes, et j’ai même acheté quelques rais de terre (ou raï - mesure de surface de 1 600 m², soit un carré de 40 m de côté). » Très intéressés, et conquis par l’enthousiasme et la fierté de ces paysans, nous nous sommes rendus à la Fondation Khao Kwan où nous avons rencontré le professeur Daycha Siripatra. Il nous a confirmé qu’il était tout à fait possible de se passer entièrement d’intrants chimiques ( engrais, herbicides et pesticides chimiques) et d’avoir d’aussi bons rendements (voire meilleurs !) qu’avec les « produits chimiques » qui profitent plus aux multinationales qu’aux paysans ou aux consommateurs. Il nous a indiqué qu’il fallait travailler sur trois facteurs :
1. La semence 1. Pour la semence, il faut savoir qu’il existe plus de 10 000 variétés de riz (fruits - pour l’essentiel - du travail des paysans). Les multinationales sélectionnent (ou élaborent) celles qui ont de bons rendements avec les produits chimiques qu’elles commercialisent. Rien n’empêche les paysans de sélectionner celles qui n’ont pas besoin de produits chimiques ! 2. L’engrais chimique peut être avantageusement (avantages pour les paysans, pas pour les multinationales, et apparemment pas pour l’Etat qui ne soutient guère cette recherche) remplacé par un engrais organique. C’est alors que le professeur nous a confiés à un paysan pour suivre une petite initiation ( voir la galerie photo Thaïlande - engrais organique). 3. Enfin, il nous a rappelé que les insecticides tuaient « les bons insectes » autant que les nuisibles. Une alternative aux insecticides des multinationales est donc de cultiver une variété de riz résistante aux insectes et parasites nuisibles et, en même temps, de favoriser la reproduction de bons insectes pour rétablir un équilibre où les insectes qui se nourrissent des insectes nuisibles dominent. Nous aurions beaucoup à dire sur ces rencontres avec ces paysans-chercheurs. J’espère y revenir dans un proche avenir. Sachez déjà que les producteurs africains, que j’ai eu le privilège d’accompagner, sont rentrés au pays enthousiastes, et bien décidés à devenir, eux aussi, des paysans-chercheurs, et à introduire la culture biologique du riz dans leurs rizières. Koudougou,
le 20 décembre 2007
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