Année noire pour l’or blanc du Burkina Il y a quelques jours, je me suis arrêté à Boni, dans la zone cotonnière de la province du Tuy. La nuit, j’ai pu bavarder avec quelques paysans et constater que les producteurs de coton étaient en plein désarroi. Nous avons commencé par parler du projet « agrocarburant ». Plusieurs pépiniéristes se plaignaient de n’être pas payés. L’un d’eux s’exprimait ainsi : « Si j’avais su, je n’aurais pas abandonné ma culture maraîchère pour me mettre dans des problèmes. » Mais c’est surtout la situation des producteurs de coton qui a retenu notre attention. Il y avait là le secrétaire d’un Groupe de Producteurs de Coton (GPC). Pour la première fois de sa vie « il était dans les impayés ». Expression habituelle, ici, pour dire que sa récolte de coton ne lui permettait pas de rembourser les intrants pris à crédit à la SOFITEX (Société burkinabè des Fibres et Textiles) à laquelle les producteurs de coton - à l’ouest du Burkina - livrent leur récolte. Et il n’était pas le seul ! La moitié des 26 membres de son groupe était dans le même cas. A eux tous, ils avaient cultivé 47 hectares de coton, et récolté à peine 47 tonnes. Soit en moyenne une tonne de coton à l’hectare. Tout juste de quoi rembourser les « crédits » contractés à la SOFITEX. Mais si nous regardons à l’intérieur de ce GPC, nous verrons qu’il y a aujourd’hui deux catégories de membres : ceux qui, ayant semé tôt, s’en sortent bien ; et ceux qui - pour une raison ou une autre - ont semé tard, et dont la récolte est beaucoup trop faible pour rembourser « les crédits ». Les pluies s’étant arrêtées au milieu du mois de septembre, leur coton n’a pas eu le temps d’arriver à maturité. Fin novembre, les émissaires de la SOFITEX auprès des producteurs avaient annoncé des dispositions pour faire face à la situation, les problèmes devant être résolus au cas par cas. Aussi, nombreux sont les producteurs qui se rendent à la SOFITEX pour exposer leurs difficultés et demander un report de leur dette. Mais les responsables de la SOFITEX s’abritent derrière la « caution solidaire * » et laissent les producteurs se débrouiller entre eux. Résultat, la SOFITEX, et elle seule, s’en tire à bon compte. En récupérant les 47 tonnes de coton produites par ce GPC, elle peut éponger les crédits de l’ensemble des membres du groupe. Elle peut même verser quelques milliers de F CFA au GPC. Pour elle, « pas de problèmes » ! Les problèmes sont pour les seuls producteurs de coton. La caution solidaire - acceptable quand le coton était bien payé (210 F le kg, il y a peu, au lieu de 145 F aujourd’hui), et que les pluies étaient satisfaisantes - a, cette année, pour principal effet de dresser les membres du GPC les uns contre les autres. Ceux qui ont fait une bonne récolte n’ont perçu que quelques milliers de francs, bien loin des centaines de mille qu’ils étaient en droit d’espérer. Aussi, ils se dressent contre ceux qui se sont endettés, les menaçant de saisir leurs animaux ou tout autre bien s’ils ne leur versent pas « leur dû » ! Ces derniers ne savent pas à quel saint se vouer, la récolte de maïs ayant été, elle aussi, très décevante. Certains producteurs se demandent alors si la solution à leurs problèmes n’est pas la fuite. Nous sommes loin du climat qui régnait encore, il y a quelques années, dans les régions cotonnières. A Boni, par exemple, les jeunes disaient qu’avec le coton ils n’avaient pas besoin de quitter le village. Le jour où l’argent du coton arrivait au village, ils organisaient « la fête du coton »; aujourd’hui, l’espoir qu’ils avaient mis dans le coton est bien mort. Pendant ce temps, dans les capitales européennes, on parle de co-développement ; on fait de grandes réunions internationales pour freiner les flux migratoires, alors que plusieurs experts disent qu’il aurait suffit de 150 millions d’euros pour sauver la filière coton africaine... On est loin des 5 milliards d’euros de la Société Générale de Banque !
Koudougou, le lundi 4 février 2008 * La caution solidaire est un système de gestion des crédits. Il engage tous les membres d’un groupement (ici, le GPC) à rembourser la dette des membres défaillants. Il permet à la SOFITEX de ne pas traiter avec les individus mais avec le seul groupement. Le coton de chaque membre du GPC est considéré comme le coton du groupement et sert, en priorité, à rembourser la dette - indivise -du groupement.
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