« Ne dormons plus par terre, dormons sur notre propre natte »
ou
Pas de sécurité alimentaire sans souveraineté alimentaire.

La semaine dernière, nous avons fait un rêve : celui de voir tous les burkinabè, mieux, tous les africains, enfin unis pour dire qu’ils étaient fatigués de dormir sur la natte des autres.
Aujourd’hui, nous allons essayer de décrire une voie qui nous conduirait, dans un avenir pas trop éloigné, à dormir sur notre propre natte !

Pour commencer, poursuivons notre analyse.

Dans le second film du SEDELAN « Afrique en danger », François Traoré, alors président de la Confédération Paysanne du Faso, fait remarquer que tous les produits industriels que nous utilisons, radios, téléphones portables, réfrigérateurs, mais aussi vélos, et même nos crayons à bille, sont importés. Et il ajoute : « Si ce que nous mangeons vient aussi de l’extérieur, où est l’indépendance ? ». Et il poursuit : « Si nous importons notre nourriture au lieu de consommer les produits alimentaires que nous produisons, je ne vois pas quel développement est possible pour notre pays ! »

Même Bill Gates nous le rappelait au dernier forum économique de Davos en disant : « Si vous regardez les pays qui ont réussi leur développement économique, tous, à l’exception des producteurs de pétrole, ont fait de l’agriculture un élément essentiel. »

Il y a des évidences qu’il est bon de rappeler.

Aujourd’hui, au Burkina et dans quelques autres pays de l’Afrique de l’Ouest, tout se passe comme si les gouvernements n’avaient qu’un seul objectif : « Nourrir la ville au moindre coût ». Tout se passe comme si nos dirigeants avaient définitivement oublié que la majorité de leur population est composée d’éleveurs et d’agriculteurs.

De temps à autre, nous lisons dans la presse que le Burkina est un bon élève des institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale et Fonds Monétaire International). Mais cela n’a pas empêché le Burkina d’être classé 176° sur 177 dans le classement du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) pour « l’indice de développement humain ».

Le Burkina est un pays curieux. Nous rencontrons des difficultés du côté de l’alimentation. Et qui monte au front ? Le ministre de l’agriculture ? Pas du tout, mais bien le ministre du Commerce. Alors que 80 % de notre population vit de l’agriculture, nous risquons d’avoir bientôt un ministre du Commerce et de l’Alimentation. En Allemagne ou au Québec, où la population agricole ne représente plus que 2 à 3% de la population totale du pays, le ministre de l’agriculture est également le ministre de l’alimentation ! Mais pas au Burkina ! Paradoxe sur lequel nous aurions intérêt à méditer.

Sans doute le moment est-il venu de voir où sont vraiment nos intérêts et de décider de les défendre. Sans nous laisser dicter notre comportement par l’extérieur. Ne pourrions pas retrouver une certaine fierté et dignité, et nous accorder sur un minimum ?

Ce premier pas pourrait être de décider de mettre en place une politique agricole durable qui nous permettra avant 2015 de consommer, pour l’essentiel, ce que nous aurons produit (notamment notre riz, notre lait, nos tomates...), et de nous habiller (au moins les jours de fête !) avec des habits produits sur place.

Alors nous pourrons entendre l’appel de la Confédération Paysanne du Faso du 8 septembre 2006 (Changeons de cap !) :

« Nous, paysans du Faso, sommes convaincus que l'agriculture est un métier qui doit nous permettre, à nous qui la pratiquons, de vivre dignement des fruits de notre travail.

Nous restons persuadés que le développement de notre pays passe par la garantie de meilleures conditions de vie pour tous, dans un esprit de justice sociale et d'équité.

Nous sommes aussi convaincus que nous sommes capables de produire l'essentiel de la nourriture dont la population du pays a besoin.

C'est pourquoi nous sommes prêts à nous engager dans ce sens. Pour cela, nous avons seulement besoin d'un environnement national et international sain, et de quelques mesures appropriées. »

Nous avons besoin d’une politique agricole et économique durable qui repose sur les deux principes suivants :

- Assurer la sécurité alimentaire de la population rurale et urbaine ouest africaine et la qualité sanitaire des produits, dans le cadre d'une approche garantissant la souveraineté alimentaire de la région ;

- Réduire la dépendance vis-à-vis des importations en accordant la priorité aux productions alimentaires locales ainsi qu'à leur transformation. »

A noter : Au moment où je termine cet article, je reçois un document rendant compte de l’engagement ferme d’un ministre de l’agriculture. Il souhaite élaborer une politique agricole qui orientera l’agriculture de son pays pour les 40 prochaines années.

Il explique que cette politique prendra deux ans avant de prendre forme et impliquera tous les ministères, l’objectif étant de s’assurer que les produits locaux répondent aux besoins des consommateurs. Cette politique devra veiller

- à la souveraineté alimentaire,

- à la protection des marchés agricoles,

- à augmenter les revenus des producteurs

- et à répondre aux besoins des consommateurs.

Quand on lui demande comment il fera pour défendre sa politique devant l’O.M.C., il réplique aussitôt : « Je vais mourir debout là-dedans. Il va falloir qu’ils me passent sur le corps pour qu’ils nous arrachent les morceaux les plus importants de notre agriculture telle que la gestion de l’offre. » (L'idée fondamentale de la gestion de l'offre est de faire en sorte que la demande intérieure soit satisfaite par la production locale, tout en procurant un revenu raisonnable aux producteurs et des prix stables aux consommateurs)

Quel est ce courageux ministre de l’agriculture ? Est-il ministre de l’agriculture d’un pays dont la population agricole représente 80 % de la population totale du pays comme au Burkina ?
Non ! Il s’agit de M. Laurent Lessard, ministre de l’Agriculture, des pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

Combien de temps encore allons-nous attendre pour qu’un ministre de l’agriculture africain tienne un tel langage ?

Koudougou, le 15 mars 2008
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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