Togo – Komi Sélom Klassou : « Les lois ne doivent pas se dresser contre des personnes »
Le chef du gouvernement Komi Sélom Klasso se dit déterminé à garantir le bon déroulement du scrutin législatif et à poursuivre l’application de sa feuille de route
Jeune afrique : Après la fin des manifestations de l’opposition, faut-il considérer que les turbulences politiques sont terminées ?
Komi Sélom Klassou : Nous avons connu une situation difficile pendant plusieurs mois, mais les choses sont aujourd’hui revenues à la normale. L’opposition a estimé nécessaires certaines réformes, mais le gouvernement veut également réformer la Constitution. En 2014, les discussions ont porté sur l’article 60 – sur le mode de scrutin – et sur l’article 59 – qui concerne la limitation du nombre de mandats. Le parti Unir [Union pour la république], du président Faure Gnassingbé, s’est alors montré favorable à cette dernière mesure. Mais nous étions opposés à toute notion de rétroactivité, contrairement à l’opposition, car nous voulions que le pays reste stable. Évitons les lois qui se dressent contre des personnes. Élaborons des lois impersonnelles.
L’opposition a refusé d’apporter sa voix sur le projet de loi du gouvernement. C’est un déni de démocratie de sa part.
Est-il encore possible de vous entendre avant les échéances électorales fixées par la Cedeao ?
Nous y travaillons. Le 5 septembre, le gouvernement a adopté en Conseil des ministres un projet de révision constitutionnelle qui porte sur la limitation des mandats, à savoir un quinquennat renouvelable une seule fois. Et le mode de scrutin passerait de un à deux tours.
L’opposition estime que le parti au pouvoir avait rejeté le projet de loi du gouvernement…
L’opposition savait bien que l’Unir seule ne disposait pas d’un nombre suffisant de députés pour régler ce problème. Elle a refusé d’apporter sa voix pour le faire. C’est un déni de démocratie de sa part.
Des élections législatives sont prévues le 20 décembre, et la présidentielle doit se dérouler en 2020. Le calendrier peut-il être tenu ?
Nous sommes en période de recensement électoral. Cela veut dire que nous souhaitons créer les conditions pour des élections transparentes, équitables et démocratiques. Le président a pris l’engagement de faire du Togo un pays de paix. Depuis un an, nous nous sommes donc inscrits dans une dynamique de dialogue, pour faire comprendre à tous que nous souhaitons la stabilité.
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La paix sociale étant revenue, l’économie est-elle repartie ?
Nous venons de voter un budget 2019 de 1 457,8 milliards de F CFA (2,2 milliards d’euros) en 2019, contre 1 307,6 milliards en 2018. Soit une augmentation de 10 %. Mais nous n’avons pas encore mis en œuvre certains projets qui doivent booster l’économie, comme les agropoles, que nous lancerons bientôt avec le soutien de la BAD et qui permettront, je l’espère, d’engranger beaucoup de ressources supplémentaires.
Ces signes de relance vous rendent donc optimiste ?
Depuis plusieurs années, le taux de croissance est en moyenne de 5 % et plus. En 2013, il a atteint 5,9 %. Et notre ambition est d’atteindre 7,6 % d’ici à 2022. La situation sociopolitique que nous avons connue depuis le 19 août 2017 [affrontements meurtriers entre manifestants et forces de l’ordre] a affecté négativement cette dynamique. Et notre progression, au titre de l’année 2018, a connu une petite stagnation, avec un taux de croissance de 4,9 %.
Concernant la loi de finances 2019, adoptée en Conseil des ministres et dont l’étude commencera ce 11 octobre à l’Assemblée nationale, nous avons tablé sur un taux de 5,1 %. C’est un taux « stressé », c’est-à-dire une hypothèse très prudente que nous devrions dépasser.
Sur quels autres piliers comptez-vous pour porter cette croissance ?
Nous avons présenté notre Plan national de développement (PND) en juillet et il a été approuvé par la communauté internationale. Il comporte 19 objectifs de développement durable, déclinés en 169 cibles. Nous sommes parvenus à synthétiser, selon trois axes principaux, les opportunités qui s’offrent au pays mais également les défis auxquels il est confronté.
Nous occupons une position médiane et stratégique dans la sous-région ouest-africaine qui fait de notre port en eau profonde un débouché incontournable,
Quelles sont ces opportunités ?
Il est d’abord question de faire du Togo un hub logistique d’excellence et un centre d’affaires de premier ordre dans la région. Nous occupons une position médiane et stratégique dans la sous-région ouest-africaine qui fait de notre port en eau profonde un débouché incontournable, d’autant qu’il a bénéficié ces dix dernières années d’une modernisation accrue.
Le port de Lomé est le seul de la sous-région à pouvoir accueillir des navires de troisième génération et est donc susceptible de tenir le rôle de port de transbordement. Nous comptons également profiter de notre bonne position dans le domaine aérien, grâce à l’ouverture d’une nouvelle aéroare à Lomé pour la compagnie Asky, qui dessert les capitales de la sous-région et au-delà.
En 2017, le taux d’endettement avait atteint un nivegau anormal. Nous avons réussi à le réduire de 10 %, à près de 72 %
Quelle est la situation de la dette ?
La relance est due aux importantes réformes engagées pour rétablir la stabilité du cadre macroéconomique et l’assainissement des finances publiques. En 2017, le taux d’endettement avait atteint un niveau anormal. Nous avons réussi à le réduire de 10 %, à près de 72 %, et comptons tout mettre en oeuvre pour que cela ne se reproduise plus.
Où en est la restructuration du secteur agricole ?
L’agriculture ne bénéficie de l’accompagnement des banques qu’à hauteur de 0,3 %, alors qu’elle participe de près de 40 % au PIB. À la fin de juin, le chef de l’État a lancé le Mifa, un mécanisme incitatif de financement agricole pour mutualiser les risques de l’emprunt. Cela permet aux petits exploitants agricoles de trouver leurs financements auprès des banques. Avec le Mifa, nous souhaitons atteindre 5 % de taux de croissance, ce qui porterait à 50 % la contribution de l’agriculture dans la formation du PIB.
Mais le vrai changement consiste à mettre l’accent sur la transformation, pour mieux valoriser nos produits et ainsi pallier le déséquilibre de notre balance commerciale. Parler de transformation, c’est aussi parler de création de chaîne de valeur et donc de création d’emplois et de richesses pour le pays.
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Dans le cadre du PNB, nous souhaitons parvenir à un taux d’électrification de 100 % d’ici à 2030, contre 37 % actuellement
Ce plan de développement doit donc sortir le pays de la pauvreté ?
La création de richesses doit permettre de mieux mettre en place les mécanismes d’inclusion sociale et ainsi de lutter contre la pauvreté. Il faut affecter plus de moyens à l’éducation et à la formation, à la santé, aux infrastructures… tout ce qui doit permettre à la population d’avoir accès aux services de base. C’est grâce à ce plan que nous atteindrons nos objectifs de croissance.
Quid de la question du déficit énergétique ? Dans le cadre du PNB, nous souhaitons parvenir à un taux d’électrification de 100 % d’ici à 2030, contre 37 % actuellement. Nous prévoyons d’atteindre un taux de 50 % d’ici à 2020, puis de le porter à 75 % en 2025, avant donc d’arriver à 100 % d’ici à 2030.
Comptez-vous développer les énergies renouvelables ?
Une cartographie a été réalisée pour lister nos possibilités en la matière. Nous mettrons en place près de 351 mini-centrales solaires et nous voulons fournir des kits à chaque ménage. Cela a commencé avec le projet Cizo [« allumer » en langue guin]. En moins de six mois, près de 52 000 foyers ont eu accès à l’électricité, notamment dans les zones rurales.