« Nos vies valent mieux que vos profits »

 Cette phrase dit bien ce que sont les forums sociaux. Elle dit bien ce que nous venons de vivre, nous les 32 Burkinabè venus à Koulikoro, au Mali, pour le 7° forum des peuples.
Cette phrase était inscrite sur une banderole des licenciés de l’huilerie locale après sa liquidation. Les laissés pour compte de la mondialisation ne veulent pas mourir…

 

Chaque fois que je participe à une telle rencontre, je m’émerveille d’abord de voir, au Mali comme au Burkina, que lorsque la parole est donnée aux gens, à ceux qu’on n’écoute jamais, les analyses, les suggestions, les témoignages, les expériences sont là pour dire que les peuples savent ce qui est bon pour eux. Au fil de ces rencontres, l’expression se précise, l’espoir se lève : un autre monde est vraiment possible.

  • * un monde où l’Afrique s’affranchira totalement d’une dette injuste et insupportable ; et, avec la « Banque du Sud », ouvrira des horizons d’investissement moins prédateurs et directifs que les actuelles institutions financières internationales dominées par les seuls intérêts des puissances occidentales.

  • * un monde où l’Afrique s’affranchira de la famine et de la dépendance alimentaire en préservant sa « souveraineté alimentaire » par une agriculture soutenue et protégée à la fois d’un commerce injuste, mais aussi des multinationales semencières qui menacent la biodiversité et créent de nouvelles dépendances.

  • * un monde où l’Afrique s’affranchira de ses leaders corrompus plus solidaires des profits du Nord que de leurs populations, plus soucieux de la construction de leur patrimoine personnel que du bonheur de leurs peuples

  • * un monde où l’Afrique s’affranchira de toute violence envers les femmes qui pourront enfin prendre pleinement leurs responsabilités là où elles assument déjà largement plus que leur part dans la production et la vie des peuples.

  • * un monde où l’Afrique, comme aujourd’hui l’Amérique Latine, s’affranchira des multinationales, en se réappropriant ses propres richesses, en renationalisant ses industries bénéficiaires, ses services publics et ses secteurs stratégiques, pour ne plus être une mendiante assise sur un diamant.

Et voici quelques paroles fortes glanées au fil des conférences, discussions, débats auxquels j’ai participé : elles peuvent nourrir nos réflexions et nous aider aussi à analyser notre situation au Burkina:

 + « Nous ne pourrons réussir notre développement agricole que par la réussite cumulée de toutes les micro-exploitations réussies ». L’agriculture familiale reste le fondement de notre production agricole en Afrique de l’Ouest. La soutenir est une priorité incontournable pour sortir de la misère et du sous-développement.

 + « Je suis colon, fils de l’Office du Niger ; que le Mali souffre de la faim est inadmissible ; travaillons pour avoir à manger ». Les plaines aménagées ont besoin d’être accompagnées pour largement nourrir nos populations. C’est la volonté politique qui manque. Un meilleur prix rémunérateur pour le paysan devrait permettre une immédiate augmentation de la production.

 + «  Les terres sont vendues. L’agro-bussiness est favorisé. Les paysans sont spoliés … Le principe ‘La terre aux paysans’ n’est pas acquis ; les femmes n’y ont pas accès, ni les jeunes…». Les réformes agraires, les lois foncières, la sécurisation des paysans sur la terre qu’ils travaillent sont une urgence. Mal résolues, ces questions essentielles pourraient devenir une source de violents conflits entre ceux qui veulent accaparer les terres les plus fertiles et … les autres, laissés pour compte. »

 + «  Le CSLP (Cadre Stratégique de lutte contre La Pauvreté), une vision encore imposée de l’extérieur qui reprend à son compte la version néo-libérale et qui ne résout en rien la pauvreté : elle l’augmente. » Constat amer qui s’applique tellement bien aussi chez nous. Les CSLP, commandités de l’extérieur, sont vraiment à revisiter de fond en comble : Comment lutter efficacement contre la pauvreté si l’on refuse de s’attaquer à ses causes ?

 + « La dépendance du franc CFA nous enchaîne, enchaîne nos économies. » Est-ce d’une monnaie « forte » dont nous avons besoin, ou d’une monnaie qui nous permette d’exporter nos productions ? Nos importantes réserves monétaires ne seraient-elles pas plus utiles investies sur place que sur des comptes bloqués à Paris ?

 + « La micro-finance est peu abordable, en tous cas, pas assez. Et souvent à des conditions trop difficiles, à des taux trop élevés. » Sans accès au crédit pour ceux qui veulent entreprendre ; femmes, familles, jeunes attendent souvent désespérément un petit fond pour se lancer dans une activité rémunératrice… mais ils n’en trouvent pas.

 + « Le monde est malade et les médecins à son chevet sont incompétents… notre cerveau est lavé par la publicité… A quoi sert d’étaler notre misère à la face du monde sans jamais y trouver une solution… Il faut rompre la domination de la langue, de la monnaie, du système libéral… Il est urgent de construire des marchés locaux, de consommer malien… Les peuples doivent discipliner leurs dirigeants » (Aminata TRAORE)

 La libéralisation des échanges économiques a été source de misère pour les peuples dans un contexte de mondialisation-domination par les pays occidentaux qui ont concentré les richesses chez eux à un degré jamais atteint dans l’histoire.

 « Il faut ouvrir des portes là où d’autres bâtissent des forteresses ».

 A Koulikoro, les jeunes ont réclamé de pouvoir passer les frontières – avec pas moins de droits que les capitaux et les marchandises – pour chercher ailleurs un avenir meilleur qu’ils ne trouvent pas au pays.

 Pourquoi les dirigeants n’entendent-ils plus le cri de leurs peuples, le cri de leurs jeunesses ?

 « Nos vies valent mieux que vos profits ».

A Koudougou, le 18 juillet 2008
Jacques LACOUR