Tchad : quand se préoccupera-t-on du développement
autant que de la sécurité ?
Cet opposant tchadien, qui estime que 80 % des efforts nationaux et internationaux sont dédiés à la sécurité pour seulement 20 % en faveur du développement, appelle à une nouvelle répartition des priorités pour mettre ces deux volets à égalité.
En cette fin d’année 2018, les Tchadiens apprennent que le salaire des fonctionnaires sera payé grâce à un prêt sur plusieurs années octroyé par la France. Et ce n’est pas la première fois qu’on s’endette auprès des institutions internationales et partenaires bilatéraux divers, sur des décennies, pour la consommation, sans investissement.
Cette fin d’année 2018, c’est aussi celle des classements internationaux mettant notre pays au dernier rang dans les domaines clés : celui de la compétitivité mondiale (140e sur 140) ; celui du capital humain (157e sur 157)…
Sur les quatre dernières années, on constate une croissance insuffisante et même une récession, avec une moyenne de -1 % par an, dans un pays dont la population croit de plus de 3 % par an. C’est dire que chaque année la situation empire, loin des prévisions du PND 2017-2021. Derrière ces chiffres, une société de chômage de masse, et des accès limité à internet, à l’électricité et même à l’eau potable.
Passer du discours à l’action
Quant aux investisseurs étrangers et aux bailleurs internationaux qui ont fait la « promesse diplomatique » à la table ronde de Paris de septembre 2017, ils ne se bousculent pas aux portes de N’Djamena.
Or, le problème de développement du Tchad n’est pas un problème de ressources, mais de pratiques et de logiciel de gouvernance. Des pays moins nantis ont de meilleures performances que nous dans les domaines clés. Ce diagnostic est partagé y compris par le pouvoir actuel, mais les remèdes lui échappent. Aucun changement de fond n’a été opéré dans la pratique de leadership et les critères de nominations à des responsabilités publiques sont restés les mêmes, reléguant au second plan les critères de compétence et mérite pour privilégier le clientélisme aux relents familiaux et confessionnels.
Il faut donc un nouveau logiciel de gouvernance pour tout le pays, animé par des soldats de développement qui se préoccupent jour et nuit d’affecter les ressources et budgets de l’État aux projets de développement du pays. Cela passera notamment par des contrats de performance et d’engagement éthique auxquels devront se soumettre les dirigeants et responsables publics à tous les niveaux.
Le secteur privé doit bénéficier d’une sorte d’état d’urgence pour entrepreneuriat
En matière de réduction de la dépendance du pays au pétrole et de diversification économique, le pays a besoin de passer du discours à l’action. Parmi les secteurs à privilégier, l’éducation et la formation professionnelle ; les énergies renouvelables, notamment solaire ; la transformation de l’agriculture et l’élevage vers des pratiques moins gloutonnes en espace et en engrais et en y associant une transformation industrielle ; et enfin l’économie numérique, en commençant par investir pour réduire le coût d’accès à internet et en libérant immédiatement la censure des réseaux sociaux qui dure depuis bientôt un an.
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L’État transformé doit être celui qui agit avec ses partenaires publics internationaux et bilatéraux en prônant une sorte de nouvelle clé de répartition dans les priorités. Si jusque-là, le rapport était de l’ordre de 20/80 pour les questions de développement/sécurité, il est urgent d’oser transiter vers 50/50 en élevant ainsi la question du développement au même niveau que celle de la sécurité. En effet, peut-être ces dernières années avons-nous collectivement, Tchadiens et partenaires du Tchad, braqué trop notre regard sur les questions sécuritaires, reléguant au magasin de l’accessoire la question de développement.
État d’urgence pour entrepreneuriat
Pour rendre ce changement de paradigme d’action réel, les partenaires et amis du Tchad doivent changer leur prisme autant que le Tchad. Le développement du Tchad passe inéluctablement par le développement du secteur privé qui est aujourd’hui réduit à sa plus simple expression et qui doit bénéficier d’une sorte d’état d’urgence pour entrepreneuriat.
Enfin, l’État transformé pour lequel nous plaidons doit associer les forces de la société civile aux propositions et politiques de transformation de la vie des populations. Cela passe par la libération de l’espace démocratique et associatif, en autorisant les manifestations pacifiques, en permettant l’accès équitable aux médias publics pour toutes les sensibilités et en levant la censure de l’accès aux réseaux sociaux.
Il faudrait aussi changer la constitution qui élimine l’essentiel de la population de la participation à la vie politique pour des raisons d’âge ou de foi et réécrire les ordonnances sur les partis politiques, les associations, les médias et le statut de l’opposition.
Ces objectifs sont à portée de main, mais y parvenir nécessitera de se faire violence positive. Il faut oser regarder cette réalité en face, celle d’un pays qui, malgré ses ressources, n’a pas pu tenir pendant des décennies d’un même leadership la promesse d’un développement minimal que des pays moins nantis et comparables réussissent.
Ne pas le faire, c’est laisser l’indifférence faire le nid du chaos inéluctable, celui d’une révolution violente animée par les Tchadiens de plus en plus nombreux et sans perspective qu’aucune répression même violente ne pourra contenir.
Aucun Tchadien se préoccupant de l’avenir de ce pays ne peut se satisfaire de cette perspective du chaos. Aucun partenaire du Tchad se préoccupant de la soutenabilité de son rapport au Tchad ne doit fermer les yeux sur cette situation. Il faut donc agir pour cette perspective autre, celle d’une transition enfin sans violence afin de créer une République de développement intégral.