Burkina : « Roch », acte II : un remaniement avec la présidentielle en ligne de mire

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Face à la multiplication des défis sociaux et sécuritaires, le chef de l’État a procédé, le 21 janvier, à un large remaniement gouvernemental. En point de mire : la présidentielle de 2020.

Comme le glisse un intime de Roch Marc Christian Kaboré, il était temps de « changer de braquet et de donner une nouvelle impulsion », à moins de deux ans de la présidentielle, au cours de laquelle le chef de l’État briguera un second mandat. Paul Kaba Thieba, à la tête du gouvernement depuis l’arrivée de Kaboré aux affaires, a donc servi de fusible. Pour le remplacer, le président a créé une petite surprise en tirant de la retraite un homme discret, mais bien connu du sérail ouagalais : Christophe Joseph Marie Dabiré, 70 ans.


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Défis urgents pour un économiste averti

Réputé rigoureux et consensuel, Dabiré est un économiste qui connaît les rouages de l’administration

Nommé le 21 janvier, cet ex-ministre de la Santé et de l’Enseignement supérieur de Blaise Compaoré dans les années 1990 est une vieille connaissance de « Roch » – « un ami même », précise l’un des proches du chef de l’État. Ex-député du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) de 1997 à 2007, il a été président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale quand celle-ci était dirigée par Kaboré.

Catholique, comme le président, ce petit frère d’abbé passé par le séminaire cumule plusieurs caractéristiques qui ont convaincu son nouveau patron. Réputé rigoureux et consensuel, Dabiré est un économiste qui connaît les rouages de l’administration. Il a effectué l’intégralité de sa carrière au pays, laquelle s’est achevée par dix années au poste de commissaire chargé du commerce, de la concurrence et de la coopération à l’Uemoa, à Ouagadougou.

« Il a aussi été “DG coop” [directeur général de la coopération] au ministère de l’Économie, ce qui en fait un fin connaisseur des relations avec les bailleurs internationaux », ajoute le proche de Kaboré.

S’il pensait avoir eu une vie déjà bien remplie, Dabiré n’est sans doute pas au bout de ses peines. Car les défis qui l’attendent sont aussi urgents que nombreux. Délitement sécuritaire, fronde sociale, relance économique…

Pour passer la vitesse supérieure, il s’appuiera sur un gouvernement remanié de 32 membres. Dans cette nouvelle équipe, plusieurs poids lourds ont gardé leurs postes : Alpha Barry aux Affaires étrangères, René Bagoro à la Justice, ou encore Rémi Dandjinou à la Communication.

Mais des changements ont été opérés à la Défense, à la Sécurité et à l’Économie, trois secteurs stratégiques où s’amoncellent les difficultés ces derniers mois. « Au moins, le constat a été bon, commente Nathanaël Ouédraogo, vice-président de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), premier parti d’opposition. Le président a enfin compris qu’on ne pouvait pas continuer comme ça. Attendons de voir s’ils seront à la hauteur. »


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Dangereuse spirale

Désormais, le poison de la haine intercommunautaire se répand

Pour le gouvernement Dabiré, le chantier sécuritaire sera sans conteste le plus important. Dans les nombreuses zones endeuillées par les attaques jihadistes se répand désormais le poison de la haine intercommunautaire. Début janvier, une cinquantaine de civils peuls ont été tués en représailles après l’attaque menée contre le village de Yirgou, à 200 km au nord de Ouagadougou.

Dix jours plus tard, douze civils mossis et songhaïs ont été tués par des hommes armés à Gasseliki, près d’Arbinda. Une spirale dangereuse que les autorités burkinabè cherchent à tout prix à enrayer.


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Pour reprendre le contrôle de la situation, Kaboré a nommé l’un de ses intimes à la Défense : Chérif Sy, qui était jusqu’à présent son haut représentant. Celui-ci remplace Jean-Claude Bouda, qu’une partie de la hiérarchie militaire n’appréciait guère. Ex-président du Conseil national de transition, celui qui est désormais le numéro deux du gouvernement (avec le rang de ministre d’État) est un spécialiste des questions de défense.

Fils de Baba Sy, un des premiers généraux burkinabè, il baigne depuis toujours dans l’univers militaire. « Il a la poigne pour gérer les hauts gradés réfractaires à l’idée qu’un civil puisse les commander, estime un ministre. Il a aussi la cote auprès des jeunes officiers, notamment ceux qui s’étaient opposés aux putschistes en 2015. »

La chaîne de commandement a été revue, de quoi insuffler un nouvel élan dans les casernes alors que le Burkina a pris la présidence du G5 Sahel

Kaboré a par ailleurs revu sa chaîne de commandement en nommant un nouveau chef d’état-major général des armées, le général Moïse Minoungou. De quoi insuffler un nouvel élan dans les casernes alors que le Burkina a pris, le 1er février, la présidence du G5 Sahel pour un an.

Mais aussi, peut-être, de quoi répondre aux inquiétudes des partenaires internationaux, et en particulier français. « Le Burkina est le nouveau maillon faible de la région, déplore une source haut placée à Paris. Le point positif est que les autorités du pays sont désormais beaucoup plus ouvertes à la coopération avec Barkhane. Le point négatif, c’est qu’elles en ont beaucoup plus besoin qu’il y a seulement quelques mois. »

Début décembre, un accord intergouvernemental de défense a été signé lors de la visite de Kaboré à Paris. Il devrait permettre d’accroître la coopération militaire sur le terrain.

Sous pression

À moins de deux ans de la fin de son mandat, Roch Kaboré est sous pression et sait qu’il lui faudra obtenir rapidement des résultats

En parallèle, Ousseini Compaoré, un général de gendarmerie à la retraite, a été désigné ministre de la Sécurité. Il remplace Clément Sawadogo, vice-président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), qui, comme Simon Compaoré, fidèle de « Roch » libéré de son poste de ministre d’État auprès de la présidence, a fait les frais de la volonté du chef de l’État de remettre son parti en ordre de bataille avant 2020.

L’autre mission du nouvel exécutif sera d’apaiser les tensions sociales. L’emblématique Rosine Sori Coulibaly a été remplacée à l’Économie et aux Finances par Lassané Kaboré, qui œuvrait jusqu’alors à la Commission de la Cedeao, à Abuja. « Cela ne pouvait plus durer, explique un pilier du gouvernement. Il fallait solder la crise au ministère, où il y avait une rupture totale entre Rosine et ses agents. »

En cause ? Les méthodes de l’ex-ministre, jugée trop dure et autoritaire par une partie de ses troupes, qui n’ont pas digéré le plafonnement de leurs primes. Son successeur aura fort à faire dans un contexte de grogne sociale généralisée.

« Le coût de la vie n’a cessé d’augmenter depuis 2016, dénonce Eddie Komboïgo, président du CDP. Quant au PNDES [Plan national de développement économique et social], c’est un échec : rien n’a été réalisé. » Une critique jugée facile par l’entourage présidentiel, qui rappelle que ces grands chantiers « prennent inévitablement du temps et qu’ils commenceront à sortir de terre en 2019 ».

À moins de deux ans de la fin de son mandat, Roch Kaboré est donc sous pression et sait qu’il lui faudra obtenir rapidement des résultats. C’est le message qu’il a fait passer à son nouveau gouvernement le 24 janvier au palais de Kosyam : « Il faut travailler sans relâche pour atteindre nos objectifs. Si certains ne sont pas à la hauteur, je n’hésiterai pas à me séparer d’eux ! » leur a-t-il dit. D’autant qu’un autre défi se profile : la révision constitutionnelle, qui doit acter le passage à la Ve République et tourner définitivement la page du régime Compaoré.


Simon Compaoré recasé ?

Il n’est peut-être plus ministre, mais il reste le vrai numéro deux du régime

C’est sûrement le plus grand absent du nouveau gouvernement : Simon Compaoré, vieux compagnon de route de Roch Kaboré, qui a cofondé le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) avec lui et feu Salif Diallo en 2014, n’est plus ministre d’État auprès de la présidence.

À en croire le premier cercle du président, les récents soucis de santé de « Simon », qui a été hospitalisé pendant quelques jours après un malaise à la mi-janvier, n’ont rien à voir avec cette décision. Il était avant tout question de le libérer pour qu’il remobilise son parti, dont il est le président, en vue de la campagne pour 2020 – tout en supprimant son poste de ministre d’État sans portefeuille, qui était critiqué dans l’opinion. « Il n’est peut-être plus ministre, mais il reste le vrai numéro deux du régime », conclut un intime de Kaboré.