Mali – Ibrahim Boubacar Keïta : « Nous sommes en guerre »
Menace terroriste, tensions communautaires, urgences sociales… Pour sa première interview depuis sa réélection, en août 2018, le chef de l’État apparaît lucide sur les difficultés qui menacent la stabilité de son pays. Et déterminé à y remédier avant 2023.
Par quels chemins de crête l’enfant de Koutiala en est-il arrivé à traduire Lucrèce en français ? Ce poète et philosophe latin dont se délecte l’ancien sorbonnard en ses moments libres, le soir venu, a certes de quoi le séduire : comme lui, l’auteur du mythique De rerum natura fut un adversaire de l’obscurantisme et du fanatisme, un épicurien campé sur « les monts fortifiés du savoir, citadelle de paix d’où l’on peut abaisser son regard sur les autres ».
Mais si, dans la catégorie des présidents latinistes, Ibrahim Boubacar Keïta est le digne successeur de Senghor, le Mali d’aujourd’hui n’a que peu de chose à voir avec les jardins d’Éden et la colline de Koulouba, où le chef de l’État a reçu Jeune Afrique, aucun rapport avec celle de l’Aventin, sur laquelle se retira la plèbe romaine, drapée dans une hautaine dignité.
Le plus dur reste à faire
Pour sa première interview depuis sa réélection, en août 2018, Ibrahim Boubacar Keïta, 74 ans, apparaît comme un président concerné à l’extrême par les tragédies qui ensanglantent le centre du Mali, là où vivent 30 % de ses 20 millions de compatriotes. Stigmate d’ennuis de santé qui désormais appartiennent au passé, son visage a minci.
Derrière le ton patelin et les phrases qui sont autant de salves, la détermination le dispute sans cesse au sentiment d’impuissance, tant son travail s’apparente à celui de Sisyphe. Ce fin tacticien, qui connaît tout d’une politique d’alliances qu’il pratique depuis trois décennies, est parvenu à désamorcer la crise postélectorale avec un gouvernement d’ouverture et la perspective d’un dialogue national inclusif censé diluer les conflits sous l’arbre à palabres.
Mais le plus dur reste à faire : combattre les groupes terroristes, apaiser les tensions communautaires, faire taire les cassandres qui prédisent l’implosion du Mali, réinstaurer la présence de l’État là où 70 % des fonctionnaires ont déserté leurs postes, rassurer les partenaires étrangers tentés par le syndrome afghan, convaincre les investisseurs de revenir, répondre aux urgences sociales dans un pays où 47 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, rééquiper les forces de sécurité…
La liste est longue comme les six chapitres de De rerum natura, et, pour y faire face, le Mali a un cruel, pressant, oppressant besoin d’aide. Lucrèce, encore lui, nous en voudra-t-il si, dans la strophe qui suit, nous remplaçons le mot « nature » par « Mali » ? « N’entendez-vous pas ce que crie le Mali ? Que veut-il si ce n’est l’absence de douleur pour le corps et pour l’âme, un bonheur pacifié, délivré des soucis, affranchi de la peur ? » En ce mois de juin 2019, cet objectif paraissait encore bien lointain.
Nos alliés doivent comprendre que, au Mali, c’est aussi l’Europe que nous défendons
Jeune Afrique : Koulogon, Ogossagou, Sobane Da, Yoro, Gangafani… Plus de 300 civils ont été tués depuis le début de cette année. Quand s’arrêtera la série des Oradour maliens ?
Ibrahim Boubacar Keïta : Je suis encore sous le choc de ces villages martyrs. Lorsque je me suis rendu à Ogossagou, je croyais que nous avions atteint le fond de l’horreur, mais cela a continué. Après la Seconde Guerre mondiale, quand on a tiré les leçons d’Oradour-sur-Glane et de Lidice, on s’était dit que ces orgies de violences, où l’homme n’a plus rien d’humain, où sa morale est comme dissoute dans la haine, n’allaient plus se reproduire. Or nous y sommes, ici, au Mali. Alors oui, que faire ?
D’abord, comprendre que notre réhabilitation en tant que nation et en tant qu’État ne dépend que de nous seuls, au-delà de l’aide que des pays amis peuvent nous apporter. Ensuite, convaincre ces derniers de cesser de nous égarer par des promesses non tenues : il faut reconstruire et équiper notre armée de toute urgence. Nous consacrons à la sécurité 22 % de nos ressources budgétaires, nous ne pouvons pas aller au-delà sans réduire en deçà du tolérable nos dépenses sociales, donc sans assistance extérieure.
Notre sécurité relève de nous et de notre souveraineté, de notre dignité. Le Mali n’est pas un pays à genoux. Mais nos alliés doivent comprendre que, au Mali, c’est aussi l’Europe que nous défendons. À ces conditions, notre pays se retrouvera. Un vent nouveau est en train de se lever.
Nos ennemis sont autour de nous, avec nous, au-dedans de nous. Ils connaissent nos habitudes et exploitent la moindre de nos faiblesses
Plusieurs responsables administratifs et militaires ont été sanctionnés à la suite de ces massacres, ce qui signifie que vous reconnaissez une part de responsabilité à l’État. Quelle est-elle exactement ?
L’État a une ardente obligation de protection des citoyens, et je n’élude pas ma propre responsabilité. Mon rôle est de donner les moyens à notre politique de défense et de réaliser le bon casting pour ceux qui sont chargés de la mettre en œuvre. Nous sommes en guerre, et quand il y a faute, quand il y a laxisme, je sanctionne. Nos ennemis sont autour de nous, avec nous, au-dedans de nous. Ils connaissent nos habitudes et exploitent la moindre de nos faiblesses. Certes, la sanction peut parfois paraître injuste. Le gouverneur de Mopti qui vient d’être relevé de ses fonctions était de bonne volonté et faisait de son mieux, mais ce mieux n’était pas suffisant.
L’armée malienne a été critiquée pour n’être pas intervenue à temps afin de mettre un terme aux massacres. Ce reproche vous paraît-il justifié ?
Nous sommes confrontés à un conflit asymétrique, où les protagonistes sont mêlés à la population. Ce n’est pas évident. Mais il est vrai que les effets de l’état d’alerte n’ont pas été assez rapides, et je me suis posé la question de savoir pourquoi, dans une zone qui est pourtant relativement bien couverte par les réseaux de téléphonie mobile. Pourquoi aussi des groupes d’assaillants se déplaçant sur des motos pétaradantes pouvaient circuler sans éveiller l’attention. Ce sont des zones d’ombre que le procureur du pôle antiterroriste tente d’éclaircir en ce moment. J’attends son rapport, ainsi que celui du ministre de la Justice.
Les violences et les clivages auxquels nous assistons sont une excroissance, une contagion de ce qui s’est passé dans le Nord au cours de la dernière décennie
Certains de ces massacres ont été l’œuvre de milices communautaires, qui agissent dans une logique de suppléance de l’État – c’est tout au moins ce qu’elles affirment. Va-t-on vers une balkanisation du Mali ?
Non. Il n’y a pas de tribus au Mali, mais des ethnies qui, en particulier dans le Centre, cohabitent depuis des siècles de façon apaisée avec des codes établis de règlement des conflits entre pasteurs et agriculteurs. Il n’y avait pas, jusqu’à une période très récente, de patriarche dogon qui n’eût son ami peul, et réciproquement.
Les violences et les clivages auxquels nous assistons sont une excroissance, une contagion de ce qui s’est passé dans le Nord au cours de la dernière décennie. Dans le cadre de leur projet expansionniste et hégémonique, les terroristes jihadistes ont mis à profit les failles et les faiblesses du maillage administratif pour s’insinuer et propager un discours exclusif de haine, le tout sous le couvert de la religion. Si l’État n’est pas présent dans chaque village, les mosquées, elles, sont partout.
L’État n’a pas eu besoin de milices pour sécuriser l’élection de 2018, comme certains le prétendent
Qui élabore et manipule ce discours ?
Iyad Ag Ghali, dont l’ombre plane sur le Centre, tout comme elle plane toujours sur la région de Kidal. Amadou Koufa, à qui est venue l’idée d’exhumer les mânes de Sékou Amadou et de son empire théocratique peul du Macina au XIXe siècle pour mieux décerveler la jeunesse. Mais aussi certains politiciens bamakois sans grands scrupules, ceux-là qui, pendant l’élection présidentielle de 2018, ont joué avec le feu en prétendant que j’étais anti-peul, alors que j’ai remporté largement autant de suffrages peuls que de suffrages dogons.
Les jihadistes du Front de libération du Macina ne sont pas les seuls à opérer dans le Centre. La milice dogon Dan Na Ambassagou, qui les combat, figure parmi les suspects du massacre d’Ogossagou. Or cette milice aurait collaboré avec les forces de sécurité maliennes…
C’est une contre-vérité. L’État n’a pas eu besoin de milices pour sécuriser l’élection de 2018, comme certains le prétendent. Pour le reste, celle dont vous parlez est loin d’être la seule. Le centre du Mali est truffé de milices.
Dan Na Ambassagou a été officiellement dissoute à la fin du mois de mars. L’est-elle vraiment ?
Elle l’est !
Mais elle ne l’accepte pas.
C’est compréhensible. Mais la loi passera. Aucune complaisance. Lorsque je suis allé me recueillir au village de Sobane Da et que j’ai annoncé l’interdiction de circuler à moto et la destruction de ces engins dans toute la région, parce que tel est le moyen de déplacement des tueurs, cela concernait tout le monde.
Je suis disposé à reconstruire le Mali avec tous ses enfants. Cela n’a rien à voir avec l’impunité, et les criminels devront répondre de leurs actes
Des voix s’élèvent au Mali et parmi les ONG pour demander l’ouverture de canaux de négociation avec les chefs jihadistes Koufa et Ag Ghali, à l’instar de ce que les Américains font avec les talibans. Quelle est votre opinion ?
Elle n’a pas changé. Une mer de sang nous sépare de ces gens. Je suis disposé à reconstruire le Mali avec tous ses enfants, y compris avec ceux qui apporteront la preuve d’une repentance sincère. Mais attention : cela n’a rien à voir avec l’impunité, et les criminels devront répondre de leurs actes.
Donc pas de négociation avec Iyad Ag Ghali ?
Sur quelles bases ? Ce monsieur exige l’application de la charia, l’interdiction de l’école républicaine et moderne, le califat, la fin de toutes les valeurs qui fondent notre vivre-ensemble. Nous n’avons rien à nous dire.
Et avec Amadou Koufa ? N’est-ce pas ce qu’avait tenté de faire en 2017 la mission de bons offices de l’imam Mahmoud Dicko, avec votre bénédiction ?
Je n’ai pas particulièrement suivi ni approuvé cet aspect de la mission qui lui avait été confiée par le Premier ministre de l’époque, Idrissa Maïga. Il s’agissait plutôt de faciliter la libération d’otages en échange de celle d’individus détenus pour des crimes non létaux. Quoi qu’il en soit, nous allons vers un dialogue national inclusif au cours duquel aucun sujet ne sera tabou, y compris celui que vous évoquez. Le sentiment profond du pays sera pris en compte.
Lorsque des étrangers risquent leur vie pour nous, la moindre des choses est de les respecter
Des slogans hostiles à la présence de l’armée française et à la Minusma ont été scandés lors de récentes manifestations de l’opposition à Bamako. C’est une réaction qui semble prendre une certaine ampleur. Cela vous inquiète ?
Tout ce qui est injuste me gêne. Quand un pays ami comme la France envoie ses enfants au cœur de l’Adrar, qui est tout sauf un club de vacances, pour défendre nos valeurs communes, il n’est pas admissible de le vilipender. Les politiciens qui manipulent et exacerbent ce genre de sentiments xénophobes ne rendent service ni au Mali ni à la paix. Ils sont les complices objectifs de ceux qui veulent notre perte. Lorsque des étrangers risquent leur vie pour nous, la moindre des choses est de les respecter. Quant à la Minusma, elle fait de son mieux avec le mandat, hélas restreint, qui est le sien. Je l’ai répété cent fois : ce mandat doit évoluer.
Ne craignez-vous pas que, face à ces critiques, mais aussi face à la perspective d’un conflit long et coûteux, la France et l’ONU se désengagent du Mali et laissent les pays sahéliens se débrouiller ?
Ce serait une grossière erreur. Nous sommes un peuple digne, fier, et c’est bien malgré nous si nous avons dû faire appel à des forces extérieures pour nous aider à défendre notre territoire. Mais ces dernières n’ont pas répondu à notre demande par compassion. Elles sont venues ici parce que le Mali est une digue dont la rupture entraînerait un déferlement d’eaux nauséabondes vers la Méditerranée et le golfe de Guinée. Défendre le Mali, c’est aussi défendre toute l’Afrique de l’Ouest.
Kidal n’est pas et ne sera jamais pour le Mali ce que le Katanga fut au Congo au cours des années 1960
Le président Macron est-il sur la même ligne que vous ?
Oui, je le crois. Nous nous parlons régulièrement et longuement, de visu quand c’est possible et par téléphone. La dernière fois, c’était samedi [le 15 juin].
Paris laisse transparaître une pointe d’agacement quant aux lenteurs d’application de l’accord d’Alger conclu en 2015 avec les ex-séparatistes touaregs et divers groupes armés. En êtes-vous conscient ?
Je l’ai dit à Emmanuel Macron et à Antonio Gutteres, le secrétaire général de l’ONU : nous serions sourds si nous étions inconscients de cet impératif. Cet accord, nous l’avons négocié pied à pied pendant des mois. Nous en savons les forces et les faiblesses et, pour que sa mise en œuvre avance réellement, il faut que les deux parties soient loyales l’une envers l’autre.
Or ce n’est pas toujours le cas. Quand je vois certains leaders touareg de la CMA [Coordination des mouvements de l’Azawad] venir à Bamako encaisser leurs indemnités, puis, de retour à Kidal, exhiber avec arrogance le drapeau de l’Azawad, cela m’horripile. Idem pour le processus de désarmement, idem pour l’inclusion de cadres de la CMA au sein du dernier gouvernement d’ouverture : ce ne sont que volte-face et faux-fuyants. Kidal n’est pas et ne sera jamais pour le Mali ce que le Katanga fut au Congo au cours des années 1960.
Le G5 Sahel n’a pas donné un bon signe aux populations en déménageant son quartier général de Sévaré à Bamako pour des raisons de sécurité. Partagez-vous cet avis ?
Je n’ai pas souhaité ce déménagement, ni cette réimplantation clivante au cœur d’un quartier populaire de Bamako. La présence de ce QG à Sévaré, dans le centre du Mali, avait un sens opérationnel et symbolique fort. Mais je ne suis pas le seul à décider. Pour le reste, il faut aider le G5 Sahel, qui, faute de moyens, suscite peu d’enthousiasme, tout comme il faut aider le Mali. Nous ne tendons pas la sébile, mais il ne faut pas nous mener en bateau.
Où en est le rééquipement de l’armée de l’air malienne ?
Lorsque j’ai été élu pour mon premier mandat, en 2013, il n’y avait aucun appareil en état de voler. Depuis, nous avons acquis auprès de la France un transport de troupes Casa et deux hélicoptères Puma – lesquels, hélas, sont encore cloués au sol faute de maintenance appropriée. Lorsque je me suis rendu dans les villages martyrs, j’ai fait le trajet Bamako-Mopti à bord de notre Casa, puis me suis rendu sur zone avec un hélicoptère de l’ONU. Je n’en étais pas très fier, même si le Mali est membre des Nations unies.
Je souhaite que le général Amadou Haya Sanogo soit jugé dès que possible, mais le temps de la justice n’est pas celui des hommes
L’ancien commissaire islamique de Gao à l’époque de l’occupation jihadiste a été condamné en 2017 à dix ans de prison. Puis très discrètement libéré il y a quatre mois, sans avoir purgé le cinquième de sa peine. Est-ce normal ?
Non, et son dossier est entre les mains du nouveau ministre de la Justice, Me Malick Coulibaly, afin de savoir ce qui s’est passé. Sur le principe, l’État de droit ne doit souffrir d’aucune faiblesse, et aucun criminel ne peut passer entre les mailles du filet. Mais, en réalité, l’État malien est encore mal outillé pour parer à tout dysfonctionnement et il est impératif qu’on nous aide à le rétablir dans toutes ses fonctions régaliennes.
Autre cas, celui du général Amadou Haya Sanogo, éphémère chef de l’État pendant trois semaines en 2012 et emprisonné depuis novembre 2013. Quand sera-t-il enfin jugé ?
Vous m’avez déjà posé cette question, et je vous fais la même réponse : au Mali, la justice est indépendante. En ce qui me concerne, je souhaite qu’il soit jugé dès que possible, mais le temps de la justice n’est pas celui des hommes.
Votre nouveau ministre de la Défense, le général Dahirou Dembélé, est cité dans le cadre de l’affaire dite des bérets rouges. Cela vous pose-t-il problème ?
Aucun. Il n’est pas, que je sache, inculpé.
Rassurez-vous : le vieil homme tirera sa révérence en 2023 après avoir, si Dieu le veut, conduit sa patrie sur les chemins de la paix et de la prospérité
Les élections législatives devraient être reportées d’un an, à mai 2020. C’est tout au moins votre souhait. Sept ans pour une législature, c’est plus qu’un simple glissement !
On ne peut vouloir une chose et son contraire. Beaucoup de Maliens, ainsi que nos partenaires étrangers, insistent pour que se tienne un dialogue national inclusif et qu’il soit prioritaire par rapport aux législatives. En termes de chronogramme, faire les deux pendant la même période, c’est mission impossible.
Au cours de ce dialogue, qui doit s’ouvrir bientôt, il sera question de la Constitution et de la nécessité de l’amender. Soyons clairs : il s’agit d’un toilettage de celle de 1992. Pas d’une nouvelle République ?
Absolument. Et rassurez-vous : le vieil homme tirera sa révérence en 2023 après avoir, si Dieu le veut, conduit sa patrie sur les chemins de la paix et de la prospérité. La création d’un Sénat et d’une Cour des comptes, la décentralisation, la conférence sociale et beaucoup d’autres sujets seront à l’ordre du jour. Les polémiques grotesques et dérisoires sur ma pseudo-incrustation au pouvoir ou ma volonté de fonder une dynastie familiale au Mali relèvent désormais du passé.
Il n’y a pas eu de crise postélectorale en 2018, mais la bouderie d’un seul homme, Soumaïla Cissé, inconsolable de ne pas être entré au palais de Koulouba
Vous avez formé début mai un gouvernement d’ouverture au sein duquel l’opposition est représentée. Les comptes de la crise postélectorale de 2018 sont-ils enfin soldés ?
Il n’y a pas eu de crise postélectorale, mais la bouderie d’un seul homme, inconsolable de ne pas être entré au palais de Koulouba. Quelle que soit l’ampleur de son ego, il ne représente pas le sentiment des 20 millions de Maliens. Quant au dialogue, il ne sera ni une conférence nationale ni un troisième tour électoral, que cela soit clair.
Vous faites allusion à Soumaïla Cissé, votre rival au second tour de la dernière présidentielle. Il a refusé de participer au gouvernement d’ouverture. Vous a-t-il dit pourquoi ?
Posez-lui donc la question ! Je l’ai reçu ici en premier et à plusieurs reprises, avant de passer le relais au Premier ministre, Boubou Cissé. Nous avons tenu compte de toutes ses observations. C’est donc à lui de donner les raisons profondes de son refus. J’espère pour ma part qu’il reste ouvert au dialogue.
Tiébilé Dramé, qui est devenu votre ministre des Affaires étrangères, était jusqu’à il y a peu l’un de vos adversaires les plus pugnaces. Et il vous est arrivé, vous-même, de l’égratigner. Le moins que l’on puisse dire est que ce rapprochement était inattendu. Comment l’expliquez-vous ?
Pourquoi s’appesantir là-dessus ? La lecture de Lucrèce, Sénèque et Cicéron m’a appris le stoïcisme et l’humilité. La pratique du karaté m’a enseigné que l’on pouvait répondre aux agressions par l’élévation de l’esprit. Et j’ai souvent en mémoire cette phrase du vieux roi Ferrante à son fils, dans La Reine morte, d’Henry de Montherlant : « Je vous reproche de ne pas respirer à la hauteur où je respire. » Restons-en là !
Une arrivée donc, mais aussi un départ, celui de Soumeylou Boubèye Maïga, qui avait beaucoup contribué à votre réélection. A-t-il démérité à la primature ?
Tout le Mali sait que je n’ai pas souhaité son départ. Et j’ai dit à ceux des miens qui le déstabilisaient qu’en réalité ils me desservaient et que, s’ils faisaient cela dans le but de prendre sa place, ils ne l’auraient pas. J’espère que mon jeune frère en convient.
A-t-il un avenir politique ?
Il a l’intelligence nécessaire pour cela, chacun le sait. À charge pour lui de gérer son temps et de faire preuve de discernement.
Une seule chose compte à mes yeux : tenir le Mali uni, avec des institutions fortes et un jeu politique interne policé et respectueux
L’ex-ministre Tiéman Hubert Coulibaly vient de créer un nouveau regroupement de partis après avoir quitté la majorité, sans pour autant basculer dans l’opposition. Qu’en pensez-vous ?
J’ai prévu de rencontrer certains d’entre eux. J’en aurai le cœur net à ce moment-là. Mais tout ce monde doit savoir qu’une seule chose compte à mes yeux : tenir le Mali uni, avec des institutions fortes et un jeu politique interne policé et respectueux.
Avez-vous un dauphin pour 2023, ou l’intention d’en préparer un ?
J’ai la faiblesse de connaître un peu l’Histoire et ses leçons : ce genre de prétention ne prospère jamais.
2023, vous n’y pensez pas ?
Il y a tellement d’urgences à gérer et tant de travail à accomplir pour que le Mali soit à nouveau inébranlable… Chaque chose en son temps.