La réforme du franc CFA fait rejaillir la rivalité
entre Alassane Ouattara et Muhammadu Buhari
Entre Alassane Ouattara et Muhammadu Buhari, les crispations ne sont pas nouvelles. Si leur relation s’était normalisée ces dernières années, leur rivalité a brusquement rejailli en juillet 2019, à propos de la réforme du franc CFA.
En critiquant publiquement la décision de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) de rebaptiser le franc CFA « eco » d’ici à 2020, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales de Gambie, du Ghana, de Guinée, du Liberia, du Nigeria et de Sierra Leone n’ont pas seulement révélé les divisions de la Cedeao. Leur communiqué du 16 janvier a aussi fait éclater au grand jour la bataille de leadership qui oppose la Côte d’Ivoire au Nigeria.
Car, pour les autorités ivoiriennes – qui ont piloté la réforme du franc CFA, annoncée par Alassane Ouattara et Emmanuel Macron le 21 décembre dernier à Abidjan –, il ne fait aucun doute que le Nigeria attise en sous-main les reproches que leur adresse la Zone monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO).
Les relations entre les deux pays ont souvent été conflictuelles. À Abuja, nul n’a oublié le rôle que joua Félix Houphouët-Boigny lors de la guerre du Biafra, à la fin des années 1960. Muhammadu Buhari et Alassane Ouattara, qui se sont brièvement parlé ce 20 janvier, à Londres, en marge du sommet Royaume-Uni - Afrique, n’ont pas grand-chose en commun. Le premier, militaire de carrière, est un chantre du nationalisme économique. Le second est un économiste libéral proche des grandes institutions internationales.
Premières crispations
Leurs chemins se croisent pour la première fois au milieu des années 1980. Buhari s’empare du pouvoir par les armes en 1983. Confronté à des difficultés économiques, il décide de mettre un terme aux relations de son pays avec le FMI, qui exige de lui des mesures d’austérité et une dévaluation du naira de 60 %. Au même moment, Ouattara devient directeur Afrique de l’institution de Bretton Woods.
Évincé en 1985, Buhari accède à nouveau à la magistrature suprême en 2015. Ses relations avec Ouattara sont d’abord fraîches : le Nigérian reproche à l’Ivoirien d’avoir soutenu son adversaire, le président sortant Goodluck Jonathan. Mis en contact par l’homme d’affaires Mamadi Diané (ex-conseiller diplomatique de Ouattara et aujourd’hui ambassadeur itinérant), les deux hommes avaient en effet noué des relations étroites. Président de la Cedeao lors de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, Jonathan avait été un partisan de la ligne dure à l’égard de Laurent Gbagbo.
Entre Ouattara et Buhari, il a fallu plusieurs mois pour que la situation se normalise. Jusqu’à la décrispation, symbolisée par la visite officielle du chef de l’État ivoirien à Abuja, en octobre 2017. « Néanmoins, les deux hommes se sont plusieurs fois opposés sur des sujets importants, comme celui de l’adhésion du Maroc à la Cedeao, pour laquelle milite Abidjan et dont le Nigeria n’a pas voulu », précise un ministre des Affaires étrangères de la sous-région.
Intérêts étatiques
Cette rivalité a brusquement rejailli en juillet 2019, à Niamey, lors du sommet de la Cedeao. « Pendant le huis clos, Ouattara a plaidé pour que le siège du Parlement de cette organisation soit délocalisé d’Abuja à Abidjan. C’est une vieille revendication ivoirienne, qu’avaient déjà avancée Houphouët-Boigny puis Gbagbo. La plupart des chefs d’État, notamment George Weah, Nana Akufo-Addo et Macky Sall, y étaient favorables. Mais Buhari a refusé en brandissant un document des années 1980, et personne n’a osé le contredire », raconte un participant.
« C’est un épiphénomène, nuance une source diplomatique ivoirienne. Ouattara et Buhari ont beau ne pas être les meilleurs amis du monde, cela ne relève pas d’un problème personnel mais d’une affaire d’intérêts étatiques. Et puis la Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays de la Cedeao à avoir des difficultés avec le Nigeria, dont le poids économique est un frein à l’intégration régionale. »