[Africa CEO Forum] De quoi les entreprises sont-elles responsables ?
Le secteur privé peut contribuer davantage au développement du continent et l’aider à relever les nombreux défis sociaux, sociétaux et environnementaux auxquels il est confronté.
Rassemblant les grands chefs d’entreprises actives sur le continent les 9 et 10 mars à Abidjan, en présence de cinq chefs d’État, la huitième édition de l’Africa CEO Forum a pour thème « Capitalisme et bien commun ». Les participants vont réfléchir à la manière de contribuer davantage au développement du continent pour en faire décoller l’activité, y améliorer les conditions de vie et mieux protéger l’environnement.
L’impact social et environnemental, mais aussi sociétal et culturel des entreprises est évident, et de nombreuses sociétés ont lancé des initiatives pour faire avancer le recrutement, la sous-traitance et l’approvisionnement locaux, la féminisation des effectifs, la protection de la nature ou l’entrepreneuriat et les nouvelles technologies.
Engagement social et environnemental
Les groupes privés, qu’ils soient locaux, panafricains ou mondiaux, ne peuvent plus faire l’impasse sur leur réputation en ligne, où peuvent naître des boycotts ravageurs, comme on l’a vu au Maroc et au Sénégal. Ils sont aussi obligés de suivre les évolutions réglementaires sociales et environnementales de leurs secteurs, notamment celles des places financières.
Mais les groupes ont tout intérêt à aller plus loin : ils s’adapteront ainsi à leurs clients et à leurs partenaires locaux, amélioreront la qualité de leur management, ou investiront de nouveaux marchés nés des évolutions technologiques ou culturelles.
Le continent a besoin de leur engagement social et environnemental. Sa croissance ralentit : après une année 2019 décevante, où elle n’a été que de 3,2 %, le FMI prévoit qu’elle n’atteindra que 3,8 % en 2020, soit presque moitié moins qu’en 2012, avec de grandes disparités entre les pays : 6,8 % au Sénégal et 7,2 % en Éthiopie, mais seulement 1,1 % en Afrique du Sud, 2,4 % en Algérie et 2,5 % au Nigeria, trois pays confrontés à des problèmes de gouvernance politique et dépendants de ressources minières et pétrolières, dont les cours sont en berne.
Dans cette conjoncture en demi-teinte, le continent reste confronté à des taux de pauvreté et à des inégalités dans la répartition des revenus atteignant toujours des niveaux très élevés. En dehors de l’Afrique du Nord, l’industrialisation peine à accélérer, même dans la transformation des matières premières extraites sur place.
Par ailleurs, 10 à 12 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché de l’emploi africain et peinent à trouver un poste, tandis que quelque 70 % de ceux qui en ont un au sud du Sahara sont considérés par l’Organisation internationale du travail comme des travailleurs pauvres, peinant à joindre les deux bouts, souvent en raison de leur faible qualification.
En outre, le continent devrait être particulièrement touché par le réchauffement climatique, qui pourrait faire baisser de 10 % la valeur des exportations de l’Afrique de l’Ouest, et de 8 % celles de l’Afrique centrale, du fait de son impact sur l’agriculture, mais aussi sur les industries extractives, moins productives avec l’élévation des températures.
L’État ne peut pas tout faire seul
Les États africains, parfois fragiles, ne peuvent relever ces défis seuls. Sans les supplanter, le secteur privé peut apporter sa pierre à l’édifice. Comme le milliardaire nigérian Tony Elumelu ou le tycoon égyptien Naguib Sawiris, un grand nombre de patrons mènent déjà des actions philanthropiques, louables et utiles. Mais c’est d’abord et avant tout à travers leurs entreprises – et leur activité de prédilection – qu’ils pourront participer à répondre aux défis économiques majeurs auxquels est confronté le continent.
Chaque entreprise a la capacité de travailler au bien commun, chacune à sa manière, selon sa culture d’origine, ses lieux d’implantation et surtout son type d’activité. Un industriel de l’agroalimentaire peut doper l’agriculture locale en choisissant de s’approvisionner à proximité de ses usines africaines. Un géant de l’automobile ou de l’aéronautique est capable d’entraîner dans son sillage ses grands fournisseurs internationaux, qui à leur tour auront besoin d’une myriade de sous-traitants, fixant sur place emploi et valeur ajoutée.
Un groupe du secteur bancaire ou des assurances, dont les effectifs sont les plus féminisés, est en mesure d’instaurer une mixité bénéfique dans son conseil d’administration. Un pétrolier nigérian sera plus sensible aux questions de contenu local que l’un de ses concurrents non africains. Quant à une compagnie minière engagée en faveur de la bonne gouvernance, publiant ses chiffres, voire ses contrats, au grand jour, elle pourra changer la donne en matière de lutte contre la corruption.
Multiplier des actions responsables
Une entreprise des secteurs à haut contenu intellectuel, le conseil et l’audit par exemple, sera pour sa part bien placée pour mener une politique de formation efficace afin de recruter et de faire monter en responsabilité son personnel local, en lien avec les universités et les grandes écoles du continent.
Les groupes de télécoms, eux, peuvent s’appuyer sur le formidable bouillonnement des start-up africaines – notamment à Nairobi, Tunis ou Dakar – pour créer de nouveaux services et marchés. Une institution financière ou un fonds de capital-risque peuvent orienter leurs prises de participation vers des activités non polluantes, par exemple les énergies renouvelables, qui ont encore besoin d’un coup de pouce même si leur rentabilité a beaucoup progressé.
Dans ce dossier publié en prélude à l’Africa CEO Forum, nous avons voulu aborder de manière concrète la question du « bien commun » en choisissant des thématiques propres à chacun des huit secteurs économiques suivants : finance, banque, biens de consommation, technologies, audit et conseil, tourisme, industrie manufacturière et industries extractives. Ce panorama montre que les entreprises peuvent prendre des engagements bénéfiques dans de nombreux domaines. Et qu’il convient de multiplier ces actions responsables.