Guinée : Alpha Condé contre Cellou Dalein Diallo, 3e et dernier round
Cellou Dalein Diallo, chef de l’UFDG, et Alpha Condé, président sortant de la Guinée. © Vincent Fournier/JA
Alpha Condé, le président sortant en quête d’un troisième mandat, et Cellou Dalein Diallo, le premier de ses onze challengers, joueront, le 18 octobre, le troisième et dernier round du combat électoral qui les oppose depuis dix ans.
Tous deux joueront, le 18 octobre, le troisième et dernier round du combat électoral qui les oppose depuis dix ans. Vae victis : malheur au vaincu. Le perdant devra quitter le ring et raccrocher les gants : Alpha Condé (le président sortant en quête d’un troisième mandat) parce qu’à 82 ans on ne revient plus sur la scène politique après avoir échoué dans les urnes, Cellou Dalein Diallo (le premier de ses onze challengers) parce qu’une troisième défaite, à 68 ans, sonnerait la fin de sa carrière politique. C’est dire l’enjeu. C’est dire aussi la passion qui entoure ce scrutin.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">ENTRE LE SOCIALISTE ET LE LIBÉRAL, LE PANAFRICANISTE ET LE TECHNOCRATE, IL N’Y A D’AMBITION COMMUNE QUE CELLE DU POUVOIR
Même s’il leur est arrivé un court moment, en 2008-2009, de collaborer face au régime fantasque et mortifère de Dadis Camara, ces deux-là ne se sont jamais aimés. Entre le docteur en droit de la Sorbonne et le diplômé en comptabilité et gestion de l’université de Conakry : entre l’ancien prisonnier du général autiste Lansana Conté et celui qui fut une décennie durant le ministre puis le Premier ministre de ce dernier, entre le socialiste et le libéral, entre l’enfant de Boké pétri de panafricanisme et le natif de Labé à la réputation de technocrate, il n’y a d’ambition commune que celle du pouvoir. Comment le conquérir et comment le conserver.
Atouts et handicaps
À l’heure où ces lignes sont écrites – soit à trois semaines de l’échéance et alors que le camp du président sortant a pris une nette longueur d’avance dans la campagne –, quels sont les atouts et les handicaps de chacun ? Pour Cellou Dalein Diallo (CDD), tout d’abord. L’ancien cadre de la Banque centrale dispose d’un parti trentenaire structuré, très implanté en Moyenne-Guinée ainsi que dans certains quartiers de Conakry et dans plusieurs localités de Basse-Guinée : l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), première formation d’opposition.
Financièrement autonome grâce aux dons et aux cotisations d’acteurs économiques locaux membres de la diaspora, l’UFDG est en mesure de mobiliser nombre de militants, dont beaucoup de jeunes (les fameuses « sections cailloux »), qui n’hésitent pas à affronter dans la rue les forces de l’ordre.
Autre carte entre les mains de CDD : sa première épouse, Hadja Halimatou, très active sur le terrain politique par le biais de sa propre association (le « staff HHDD »). Le candidat bénéficie en outre d’un réseau extérieur tissé grâce à l’Internationale libérale (dont il est l’un des vice-présidents). S’il n’a pas retrouvé à Paris des soutiens équivalents à ceux dont il bénéficiait à l’époque où Claude Guéant l’introduisait chez Nicolas Sarkozy, Cellou Dalein Diallo entretient dans la région de bons rapports avec Macky Sall (dont les relations avec Alpha Condé relèvent de l’indéchiffrable) et Alassane Ouattara. Dernier soutien en date : Umaro Sissoco Embaló, le président de la Guinée-Bissau, qui ne cache pas l’appui multiforme qu’il lui apporte.
Combat sur les deux fronts
L’ancien Premier ministre a cependant des faiblesses, dont certaines pourraient lui coûter cher. Un charisme relatif, un ton volontiers clivant – voire agressif –, un manque de transversalité politique – la mobilisation qui l’entoure se fait sur une base essentiellement communautaire –, un passé de haut responsable au sein d’un régime militaire, et, surtout, une déclaration de candidature qui a pris de court la coalition de l’opposition : le Front national de défense de la Constitution (FNDC), dont l’UFDG était la principale force.
Comment expliquer, en effet, que, après avoir boycotté les législatives, puis le référendum, et fait campagne sur le thème d’une présidentielle à ce point truquée d’avance à ses yeux qu’il fallait tout faire pour qu’Alpha Condé soit empêché de s’y présenter, le chef de l’UFDG décide finalement (et sans en avoir prévenu ses partenaires) d’aller affronter dans les urnes un sortant considéré comme « illégitime » ? CDD a récemment confié avoir été « écrasé par un profond dilemme » (lequel a « hanté » ses « nuits blanches ») avant de se résoudre à présenter sa candidature, sous la pression de ses militants. Sans doute s’est-il aussi rendu compte que la stratégie du boycott – stratégie qui a déjà laissé sur le carreau les 37 députés UFDG de la précédente Assemblée – n’était pas la bonne.
Il n’empêche : le récit d’un CDD candidat « à l’insu de son plein gré » a beaucoup de mal à passer auprès des adhérents du FNDC, qui se sentent floués. Quant à la stratégie du combat sur les deux fronts, désormais préconisée par Cellou Dalein Diallo (on participe tout en continuant à manifester, et on ne se laissera pas faire si Alpha ose se proclamer vainqueur le 18 octobre), elle risque fort d’être incompréhensible, et de favoriser l’abstention.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">LE « PROFESSEUR » EST UN LABOUREUR DE TERRAIN ÉTONNAMMENT ALERTE POUR SON ÂGE, EXPERT EN PROXIMITÉ
De son côté – et plus que jamais –, Alpha Condé se veut droit dans ses bottes, face à un adversaire pugnace et déterminé. Figure historique et dernier représentant de la génération des indépendances – il avait 20 ans en 1958 –, le « Professeur » est un laboureur de terrain étonnamment alerte pour son âge, expert en proximité, et animal politique accompli. Son assise et celle de sa coalition, le RPG Arc-en-ciel, sont solides en Haute-Guinée, prépondérantes en Guinée forestière, notables en Basse-Guinée et à Conakry – où l’UFDG est également enraciné.
Leader de culture urbaine plus que communautaire, Alpha Condé surfe volontiers sur un nationalisme souverainiste toujours vivace depuis le « non » de Sékou Touré au général de Gaulle. Rompu aux arrangements tactiques, l’ancien président de la Feanf sait rallier, de même qu’il sait débaucher dans le camp adverse : il a notamment vidé d’une partie de ses cadres le mouvement de Sidya Touré, l’ancien Premier ministre, qui fut son haut représentant personnel avant de rejoindre le FNDC.
Il joue aussi sur le bilan économique et social d’une décennie au pouvoir marquée par deux épidémies – Ebola, puis le Covid-19. Bilan qui, malgré cela, s’est révélé globalement favorable aux jeunes, aux femmes, aux paysans, au développement des infrastructures et à la restauration de l’autorité de l’État.
Sur le plan extérieur, Alpha Condé a su renouveler un carnet d’adresses autrefois très « Internationale socialiste », et aujourd’hui orienté vers Pékin, Ankara, Moscou et les pays du Golfe. Sa petite phrase sur la nécessité de « couper le cordon ombilical avec la France » a ainsi fait florès chez les panafricanistes. Inutile de préciser enfin que la décision d’Alassane Ouattara d’embarquer lui aussi sur le bateau du troisième mandat arrange l’hôte du palais Sékoutoureya. Elle embarrasse Paris, fait en sorte qu’il ne soit plus le seul dans cette aventure en Afrique de l’Ouest, et compense largement la chute de son camarade et allié Ibrahim Boubacar Keïta.
Renversement d’image
Chez ce leader charismatique à l’ancienne, à qui l’on peut reprocher de privilégier la politique – dans ses moindres détails – aux dépens de la gouvernance globale, le principal défaut de la cuirasse tient au renversement d’image. Quelle que soit la validité de ses arguments, le fait que cet homme – qui a longtemps joui d’un parcours d’opposant courageux attaché aux valeurs démocratiques d’alternance – ait fait adopter une Constitution l’autorisant à briguer un troisième mandat passe mal auprès de la communauté occidentale au sens large (ONG, médias, chancelleries) et offre à ses adversaires un argument de mobilisation.
D’autant que les manifestations organisées par l’opposition se sont soldées par des dizaines de morts et de blessés. Même si des membres des forces de l’ordre figurent parmi les victimes et même si un tel déploiement populaire dans les rues de Conakry avaient, en novembre 2019, pour objectif explicite de le renverser, le décalage entre les exigences de rupture avec les pratiques du passé portées par Alpha Condé et la réalité de la riposte policière n’a pas échappé aux organisations de défense des droits de l’homme, qui s’emploient à le dépeindre en autocrate sous les habits d’un démocrate.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">UN RAPPORT DE FORCE DANS LES URNES, MAIS AUSSI – IL FAUT LE CRAINDRE – DANS LA RUE
Beaucoup plus qu’un affrontement de programmes et de bilans, cette élection sera donc la résultante d’un rapport de force. Dans les urnes, certes, mais aussi – il faut le craindre – dans la rue. Le FNDC a en effet prévu une reprise des manifestations, malgré l’état d’urgence sanitaire, et sans que l’on sache encore s’il sera capable de renouveler les grandes mobilisations d’il y a neuf mois – avant le coronavirus et avant que Cellou Dalein Diallo ait décidé de défier Alpha Condé pour un ultime combat.