Présidentielle en Côte d’Ivoire : vers un boycott actif de l’opposition ?
L’opposition organise ce samedi 10 octobre un grand meeting à Abidjan. Son but : faire front commun contre la candidature d’Alassane Ouattara. Mais déjà, les stratégies divergent.
À un peu plus de trois semaines de l’échéance, l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire n’a jamais semblé aussi incertaine. Si Kouadio Konan Bertin (KKB) entend toujours être candidat, les participations d’Henri Konan Bédié et de Pascal Affi N’guessan s’inscrivent en pointillé.
Comme le reste de l’opposition, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et celui de l’une des deux branches du Front populaire ivoirien (FPI) exigent toujours en préalable le retrait de la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat et la dissolution des institutions impliquées dans le processus électoral – la Commission électorale indépendante (CEI) et le Conseil constitutionnel. Ils souhaitent un report du scrutin et la mise en place d’une transition le temps que le contentieux soit soldé.
Test majeur
Samedi 10 octobre, ils participeront à un meeting qui doit rassembler tous les opposants au chef de l’État au stade Félix-Houphouët-Boigny, à Abidjan. Un événement qui fait figure de test majeur pour une opposition qui peine à mobiliser pour le moment.
Depuis mi-août, des marches sporadiques ont été organisées dans plusieurs localités. Elles ont fait une quinzaine de morts et plusieurs dizaines de blessés. Un nombre importants de militants ont également été arrêtés. Les manifestations sur la voie publique ont depuis été interdites jusqu’au 14 octobre.
Chef de file de l’opposition en sa qualité de doyen et d’ancien chef d’État, Henri Konan Bédié devrait détailler samedi son mot d’ordre de « désobéissance civile », formulé le 20 septembre. Des appels à la grève dans l’administration ou dans l’enseignement et au blocage de certains axes routiers devraient être lancés.
« Le but est d’empêcher le fonctionnement de l’État partout où nous en avons la capacité et de rendre impossible la tenue du scrutin tant qu’Alassane Ouattara est candidat », explique un proche de Laurent Gbagbo. Une posture qui s’apparente à un boycott actif de l’élection, même si l’opposition se refuse encore à utiliser le terme.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">HENRI KONAN BÉDIÉ A FAIT LE DEUIL DE SON ÉLECTION
Alors qu’il se disait il y a encore quelques semaines confiant quant à une possible victoire, Henri Konan Bédié a changé de position après l’annonce des candidatures autorisées à concourir, le 14 septembre. « À l’heure actuelle, il a fait le deuil de son élection. Il se bat désormais contre la candidature d’Alassane. Samedi, il va lancer les hostilités », prédit l’un de ses proches.
Le sphinx de Daoukro devrait tenir un discours fort, sans ambiguïté sur son état d’esprit, tout en insistant sur le caractère pacifique qu’il entend donner à ces actions. « Il veut que la désobéissance civile s’inspire de l’action menée par Houphouët Boigny en 1932 pour lutter contre les injustices dont étaient victimes les planteurs de cacao », précise l’un de ses collaborateurs.
Bédié combattif
Devant plusieurs diplomates en poste à Abidjan, Bédié s’est cependant montré plus combatif, évoquant des risques de « guerre civile » si le scrutin se tenait dans ces conditions. « Le ton est monté d’un cran », analyse un fonctionnaire occidental, qui dit tout de même douter de la capacité de l’opposition à tenir sur le long terme.
Si elle entend faire du meeting de samedi une démonstration de force, parviendra-t-elle à maintenir son unité ? Les différentes plateformes de la coalition ont mis en place une structure pour coordonner leur action et leurs principaux leaders (Bédié, Gbagbo et Soro échangent aussi régulièrement), mais certains désaccords subsistent sur la forme que celle-ci doit prendre. « Le PDCI n’a pas la culture de la rue. Ils appellent à manifester mais ne montrent pas l’exemple. Ils délèguent. Ce n’est pas suffisant », déplore un cadre du FPI.
Ces derniers jours, des tensions sont également apparues entre des proches de Guillaume Soro et de Charles Blé Goudé après que ce dernier se soit publiquement montré critique à l’égard de l’ancien président de l’Assemblée nationale.
Soro a enregistré au même moment la défection d’un maillon important de son système : le président du Rassemblement pour la Côte d’Ivoire (Raci), Kanigui Soro, tout juste libéré après dix mois de détention.
Querelles au FPI
De son côté, le FPI demeure soumis à des querelles internes. Si Pascal Affi N’guessan a suivi le mot d’ordre du reste de l’opposition, sa sincérité est remise en question par certains cadres, persuadés qu’il pourrait faire volte-face à la dernière minute.
Ses relations difficiles avec Laurent Gbagbo et ses proches à Abidjan, comme Assoa Adou, posent également problème. Le 20 septembre, l’ancien Premier ministre avait ainsi été tenu à l’écart de la réunion de l’opposition organisée au siège du PDCI. Le 3 octobre, il a participé à un meeting organisé à Abidjan par le Congrès Panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), le parti de Blé Goudé.
Le cas de Simone Gbagbo continue également de susciter quelques tensions. Alors que l’ancienne première dame multipliait les initiatives personnelles, Laurent Gbagbo a été contraint de monter au créneau. Selon nos informations, il a pris la parole le 15 septembre lors d’un comité central du FPI. Une première depuis son arrestation, le 11 avril 2011.
« Il nous a dit de continuer le combat. Que ce qui se passe en ce moment n’est qu’une étape et que les contradictions internes doivent passer au second plan », raconte un de ses proches. Selon lui, l’ancien président ne compte cependant pas s’exprimer publiquement pour le moment.
Dénominateur commun
« Notre unique dénominateur commun, c’est notre rejet d’Alassane Ouattara, résume un cadre de l’opposition. Nous savons très bien qu’au sein de la coalition, certains seront bientôt nos adversaires. Tout le monde prépare l’après-2020. Soro et Blé Goudé se disputent le leadership générationnel. Simone veut peser dans l’avenir du FPI, soit pour en prendre les rênes, soit pour placer quelqu’un. »