Algérie : comment Ahmed Ouyahia revendait les lingots d’or offerts par des émirs

| Par 
Le secrétaire général du Rassemblement pour la démocratie nationale (RND), Ahmed Ouyahia, arrive pour une conférence de presse au siège du RND à Alger, le 11 juin 2017.

 

Le secrétaire général du Rassemblement pour la démocratie nationale (RND), Ahmed Ouyahia,
arrive pour une conférence de presse au siège du RND à Alger, le 11 juin 2017. © RYAD KRAMDI/AFP

 

L’ancien Premier ministre a refusé à deux reprises de révéler l’origine de sa fortune avant de finir par craquer lors d’un procès en,appel, le 9 janvier. Des révélations qui provoquent choc et consternation au sein de l’opinion.

Samedi 9 janvier, alors qu’il comparaissait en appel dans le cadre d’une affaire de montage automobile, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia s’est enfin confessé sur l’origine des 600 millions de dinars (3,73 millions d’euros) retrouvés sur ses quatre comptes bancaires. L’argent provenait de la revente au marché noir de lingots d’or que des émirs du Golfe lui avaient offerts au cours de visites officielles ou à l’occasion de leurs multiples escapades en Algérie, notamment pour des parties de chasse dans le désert ou dans les Hauts plateaux.

Plusieurs fois condamné dans diverses affaires de corruption, Ahmed Ouyahia a d’abord refusé de dire la vérité pour ne pas, argue-t-il, « porter atteinte aux relations de mon pays avec des pays amis et frères ». Mais sur insistance de la présidente du tribunal, il a fini par lâcher le morceau. Le sexagénaire a reçu 60 lingots d’or entre 2014 et 2018, à l’époque où il était directeur de cabinet à la présidence de la République, puis Premier ministre. Il avait alors proposé ces lingots à la Banque d’Algérie en échange d’une compensation financière, mais sa proposition a été refusée. Pourquoi ? Il ne s’étale pas sur le sujet.

Générosité des princes

L’ancien Premier ministre algérien décide alors de revendre les lingots au marché noir via des intermédiaires, avant de déposer le fruit de la vente sur ses comptes algériens sans jamais les déclarer au fisc. L’ex-Premier ministre n’a pas non plus déclaré ses dons reçus, comme l’exige pourtant la législation. Incarcéré depuis août 2020 à la prison d’Abadla, plus de 1 000 kilomètres au sud-ouest d’Alger, Ahmed Ouyahia affirme pour sa défense avoir informé le procureur général sur l’origine de cette fortune.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

SI J’AVAIS FAIT PREUVE DE TRANSPARENCE, LE PAYS AURAIT COULÉ

Selon lui, sa fortune ne proviendrait donc pas de pots-de-vin ou autres avantages octroyés par des hommes d’affaires en échange de marchés dans le secteur automobile, mais de princes et dignitaires arabes. D’autres hauts responsables à la présidence, dont les noms n’ont pas été cités, ont également reçu des lingots d’or de la part de ces donateurs. L’ancien Premier ministre, qui souffre d’un cancer de la prostate, n’a pas précisé si ces lingots d’or ont été offerts gracieusement ou en échange de services ou de privilèges.

ALGERIA-POLITICS-FUNERAL

 ALGERIA-POLITICS-FUNERAL © RYAD KRAMDI/AFP

 

Durant le règne de Bouteflika, la présidence accordait des autorisations à des princes, émirs ou hommes d’affaires du Moyen-Orient, particulièrement des Saoudiens, Qatariens et Émiriens, de chasser en Algérie. Les séjours de ces riches invités étaient placés sous la protection de la gendarmerie nationale ou encore des services de la protection présidentielle. Durant la période où Ahmed Ouyahia était au cabinet de la présidence, il avait la haute main sur ces parties de chasse accordées aux invités du Golfe, dont les cartons sur des espèces locales, parfois protégées, ont fréquemment scandalisé les Algériens.

« J’ai oublié »

Devant la juge, qui ne cache pas sa stupéfaction en découvrant qu’un ancien Premier ministre a revendu des lingots d’or au marché parallèle, Ouyahia ne se démonte pas. « J’ai voyagé au moins 50 fois à l’étranger, par avion spécial, entre 2014 et 2018, soutient-il. J’aurais pu placer mon argent dans des banques extérieures, mais je ne l’ai pas fait. »

Et pourquoi n’a-t-il pas déclaré ces quatre comptes bancaires comme l’exige la loi ? « J’ai oublié, madame la présidente, finit-il pas déclarer. Comme tout être humain, j’ai oublié, madame la présidente. J’ai oublié de déclarer mes comptes en banque. » Poussé dans ses retranchements sur son manque de transparence, l’ex-Premier ministre fait un autre aveu de taille : « Si j’avais fait preuve de transparence, le pays aurait coulé. »

Cette nouvelle ligne de défense de celui que ses compatriotes surnomment « l’homme des sales besognes » est contradictoire avec ses précédentes explications. Interrogé en décembre 2019 et en mars 2020, Ahmed Ouyahia expliquait que l’origine de cet argent ne provenait pas de ses activités comme responsable de l’État et qu’il n’a aucun lien avec les investisseurs qui croupissent désormais en prison – Ali Haddad ou Mahieddine Tahkout notamment. Lors des deux précédents jugements, l’ex-Premier ministre plaidait l’argument de l’oubli, lui qui est réputé pour sa mémoire d’éléphant.

Pourquoi a-t-il décidé aujourd’hui de livrer une partie de la vérité sur ces généreux donateurs arabes alors qu’il s’y était refusé auparavant ? Explications d’Ahmed Ouyahia : il a informé les enquêteurs qui l’ont interrogé lors des enquêtes préliminaires de l’existence de ces lingots qu’il a fini par revendre au marché noir. « Le rapport est au 4e étage de la Cour si vous voulez le consulter », affirme-il à la présidente du tribunal ce 9 janvier. Il accuse ainsi le juge d’instruction d’avoir monté une cabale judiciaire contre lui et évoque un procès politique.