Sénégal : Ousmane Sonko, chronique d’une levée d’immunité annoncée
15 février 2021 à 17h31
La levée de l’immunité parlementaire de l’opposant Ousmane Sonko, contre lequel une plainte pour viol a été déposée, semble désormais inéluctable. Et pourrait avoir de lourdes conséquences politiques.
Une nouvelle étape a été franchie dans la procédure qui pourrait entraîner la levée d’immunité parlementaire du député d’opposition Ousmane Sonko. Réunie lundi matin à l’Assemblée nationale, la commission des lois a désigné les députés qui siègeront au sein de la commission ad hoc chargée d’examiner la requête du procureur de la République, dans le cadre d’une procédure engagée après une plainte déposée par une jeune femme contre le président du Pastef pour des faits de viol et de menaces de mort.
La composition de cette commission de onze membres, désignés par le groupe parlementaire auquel ils appartiennent, est d’ores-et-déjà connue. Outre Aymerou Gningue, président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar (BBY, la coalition présidentielle), les députés Dieh Mandiaye Ba, Pape Biram Touré, Adji Diarra Mergane Kanoute, Bounama Sall, Mously Diakhate, Mamadou Oury Baïlo Diallo et Demba Babel Sow siègeront pour la majorité.
Le groupe des non-inscrits sera quant à lui représenté par la députée Fatou Ndiaye. Le dernier groupe parlementaire représenté, celui des libéraux, a validé le choix de ses membres peu de temps après la fin de la réunion : il s’agit de Serigne Cheikh Mbacke, président du groupe, et de Moustapha Guirassy.
Assemblée aux ordres ?
« Une fois que la commission sera installée lors de la plénière de mercredi [17 février], elle pourra constituer son agenda », détaille Abdou Mbow, vice-président de l’Assemblée et membre de l’Alliance pour la République (APR, parti présidentiel).
La commission doit notamment auditionner Ousmane Sonko – ou l’un de ses représentants – , avant de soumettre son rapport lors d’une séance plénière de l’Assemblée, à l’issue de laquelle les députés voteront sur une éventuelle levée de l’immunité un rapport à l’ensemble de l’Assemblée nationale. Un vote dont, pour beaucoup, l’issue ne fait que peu de doute. « Sauf miracle, je ne vois pas d’autre scénario possible que la levée de l’immunité, car l’Assemblée est soumise aux ordres de l’exécutif », estime Bassirou Diamaye Faye, président du mouvement national des cadres au sein du Pastef, car l’Assemblée est aux ordres et soumise à l’exécutif. »
Le soutien qu’affichent les députés de l’opposition envers Ousmane Sonko, qui se dit victime d’une cabale politique et dément les faits dont il est accusé, ne devrait en effet pas peser lourd dans une Assemblée au sein de laquelle la coalition BBY détient 125 sièges sur 165. Et les députés de la majorité ont déjà leur argument : « Si Ousmane Sonko est vraiment attaché à la justice, il se rendra à son audition et permettra au juge de faire son travail », glisse à Jeune Afrique un député de la majorité.
Avenir judiciaire et politique
Silencieux depuis le début de l’affaire, l’ancien président Abdoulaye Wade, président du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), s’est finalement exprimé ce week-end, dans un communiqué. « J’ai le sentiment que Sonko a manqué de prudence et a été piégé, estime notamment Abdoulaye Wade. Apparemment, son inexpérience a été exploitée par un adversaire puissant et futé qui connaît ses faiblesses. Je condamne cette façon d’éliminer un adversaire politique. » Un soutien en demi-teinte, pas exempt de sous-entendus sur les faits reprochés à l’opposant, au terme duquel Abdoulaye Wade affirme cependant que le PDS s’opposera à la levée de l’immunité.
Pour statuer sur le cas de l’opposant, la commission ad hoc devrait avoir accès à certains éléments de l’enquête menée par le procureur de la République. Et en premier lieu le contenu de la plainte déposée contre Ousmane Sonko par Adji Sarr, la jeune femme âgée de 20 ans qui l’accuse de l’avoir violé plusieurs fois – notamment sous la menace d’une arme – au cours de séances de massage au « Sweet Beauté », un salon dakarois fréquenté par Sonko depuis 2019.
S’il était reconnu coupable de ces faits, Ousmane Sonko pourrait être incarcéré pour une période allant de dix à quinze ans. Une condamnation qui pourrait s’assortir d’une peine d’inégibilité et le mettrait de fait à l’écart du jeu politique, et en particulier de l’élection présidentielle de 2024 à laquelle il a déjà annoncé être candidat.