Émeutes au Sénégal : la contestation prend de l’ampleur, Sonko devant le juge lundi
Un manifestant agite un drapeau sénégalais lors d'une manifestation de soutien à Ousmane Sonko, le 3 mars à Dakar. © Leo Correa/AP/Sipa
Le Sénégal va au-devant de nouvelles journées à hauts risques à partir de lundi, un collectif formé après l’arrestation du principal opposant au pouvoir ayant appelé à de nouvelles manifestations.
Après avoir connu pendant trois jours ses pires troubles depuis des années, le pays et sa capitale Dakar ont connu une relative accalmie samedi.
La tension n’est pas retombée pour autant. Le collectif Mouvement de défense de la démocratie (M2D), comprenant le parti de l’opposant arrêté, des partis d’opposition et des organisations contestataires de la société civile a appelé « à descendre massivement dans les rues » à partir de lundi.
Lundi, Ousmane Sonko, dont l’arrestation a mis le feu aux poudres mercredi, doit être présenté à un juge. La décision du magistrat de le relâcher ou de l’écrouer s’annonce lourde de conséquences et pourrait provoquer de nouveaux troubles à Dakar et dans plusieurs grandes villes du pays
Le collectif M2D réclame « la libération immédiate de tous les prisonniers politiques illégalement et arbitrairement détenus », le rétablissement du signal suspendu de deux chaînes de télévision accusées d’avoir diffusé « en boucle » des images des troubles, et une enquête sur ce qu’il appelle un « complot » du pouvoir.
Usure
Le collectif, donnant lecture d’un communiqué dans les locaux du parti d’Ousmane Sonko, s’en est durement pris au président Macky Sall, qualifié « d’apprenti dictateur ». Il a perdu « l’autorité morale » pour rester président, a dit un des leaders du mouvement, Cheikh Tidiane Dieye. Il s’en est tenu à ces mots quand la presse lui a demandé si le collectif appelait les Sénégalais à réclamer la démission de Macky Sall, président depuis 2012.
Le Sénégal est le théâtre depuis mercredi d’affrontements entre jeunes et forces de sécurité, de pillages et de saccages. L’arrestation d’Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a provoqué la colère de ses partisans, mais aussi, disent de nombreux Sénégalais, porté à son comble l’exaspération accumulée par la dégradation, au moins depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020, des conditions de vie dans un pays déjà pauvre.
Un collégien a été tué samedi à Diaobé, dans le sud du Sénégal, selon des sources de sécurité, portant à cinq le nombre de morts.
Les autorités sénégalaises ont annoncé dimanche suspendre l’école sur tout le territoire à partir de lundi et pour une semaine en raison des troubles auxquels le pays est en proie depuis mercredi.
Il s’agit de « protéger les élèves, les enseignants et l’administration scolaire des manifestations accompagnées de scènes de violence qui ont fortement perturbé le déroulement des enseignements-apprentissages la semaine dernière », ont indiqué les ministères de l’Education nationale et de l’Emploi dans un communiqué commun publié sur Facebook.
« Complot »
Ousmane Sonko a été arrêté officiellement pour trouble à l’ordre public, alors qu’il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d’un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos.
Personnalité au profil antisystème, le député crie au complot ourdi par le président pour l’écarter de la prochaine présidentielle.
Les manifestants croient au « complot ». Ils expriment individuellement l’usure des épreuves quotidiennes et la lassitude vis-à-vis du pouvoir. Un certain nombre montrent la France du doigt, premier partenaire commercial vu comme l’un des principaux soutiens étrangers de Macky Sall.
Appels au dialogue
Le Mouvement de défense de la démocratie a désigné les « parrains étrangers » à qui Macky Sall s’emploierait à « faire plaisir ».
Le président élu sur la promesse de mettre son pays sur la voie de l’émergence a démenti fin février avoir quoi que ce soit à voir avec les ennuis judiciaires d’Ousmane Sonko. Il a depuis gardé le silence, mais la pression augmente pour qu’il prenne la parole.
Samedi, c’est son ministre de l’Intérieur Antoine Félix Abdoulaye Diome qui a tenu un langage vigoureux. Il a appelé au calme et fait miroiter « la perspective » d’un allègement du couvre-feu instauré contre la pandémie et qui pèse sur l’activité d’un grand nombre. Mais il a aussi dit que l’Etat emploierait « tous les moyens nécessaires » pour rétablir l’ordre.
« Toutes les personnes auteures d’actes criminels seront recherchées, arrêtées, poursuivies et traduites devant la justice », a-t-il promis.
« Des conspirations et des actes de terrorisme qui relèvent du grand banditisme sont organisés’’, a fustigé Antoine Félix Abdoulaye Diome.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a appelé « toutes les parties à la retenue et au calme ».
L’Union africaine a exprimé sa « préoccupation » et son attachement à un solution « par la voie pacifique, le dialogue et dans le strict respect de l’ordre ».