Burkina Faso : « Nous voulons limiter la dépendance énergétique à l’égard de la Côte d’Ivoire et du Ghana »
Alors que le Burkina Faso importe 60 % de sa consommation d’électricité, son ministre de l’Énergie, des Mines et des Carrières, Bachir Ismaël Ouédraogo, mise sur le solaire et les PME locales pour développer la production.
À 41 ans, Bachir Ismaël Ouédraogo est le benjamin du gouvernement Dabiré. Titulaire d’un doctorat en économie des énergies renouvelables et du changement climatique de l’université de Manchester (Royaume-Uni), membre du bureau exécutif du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP, au pouvoir), il a vu le portefeuille de l’Énergie, qu’il dirigeait depuis janvier 2018, élargi, en janvier dernier, à celui des Mines et Carrières. Un secteur stratégique puisqu’il constitue 10 % à 12 % du PIB du Burkina. Entretien.
Jeune Afrique : Quelles sont les priorités et complémentarités de vos portefeuilles ?
Bachir Ismaël Ouédraogo : L’énergie et les mines sont les moteurs de notre économie. Leur fusion doit nous permettre de concrétiser l’accès universel à l’énergie, grâce au potentiel minier. Et nous devons produire des résultats pour répondre aux attentes des Burkinabè. Sans énergie, point de développement. Au cours des cinq dernières années, le taux d’accès à l’électricité est passé de 18 % à 45 %. Notre objectif est d’atteindre le seuil de 75 % à l’horizon 2025.
Quant au secteur minier, la filière aurifère a généré plus de 2 000 milliards de F CFA [plus de 3 milliards d’euros] de revenus en 2020, avec une production de 60 tonnes d’or, et nous voulons accroître la production de minerais en misant sur la stratégie du « local content, local ownership » [production locale, actionnariat local]. Il s’agit de faire en sorte que des PME et des hommes d’affaires burkinabè puissent prendre des parts de marché dans la chaîne de commande, et d’inciter les investisseurs locaux à saisir les opportunités du secteur.
La feuille de route que nous a donnée le chef de l’État est claire sur ce point. Nous avons mis en place une direction générale consacrée à la promotion des économies minières et énergétiques, de façon à favoriser l’émergence de PME fortes, capables de construire des centrales et des mines. Cela va nous permettre d’installer des industries pour préparer « l’après-mine », en utilisant le potentiel du secteur extractif afin de développer d’autres pans de l’économie.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">BAISSER LE COÛT DE L’ÉNERGIE, QUI REPRÉSENTE 40 % DU PRIX DE L’ONCE D’OR PRODUITE, EST UNE PRIORITÉ
Déjà, nous nous réjouissons d’avoir obtenu l’extension de la mine de Bomboré [Centre], financée par une banque locale, et d’avoir octroyé le premier permis minier détenu à 100 % par des capitaux burkinabè, Salma Mining.
Une autre de nos priorités est la baisse du coût de l’énergie, qui représente 40 % du prix de l’once d’or produite. Paradoxalement, les mines disposent de 400 mégawatts [MW] « off grid », hors réseau. Cette puissance peut servir à électrifier les villages environnants et l’excédent peut être injecté dans le réseau connecté de la Sonabel. Le développement des technologies du gaz liquéfié et du solaire vont aussi nous permettre de réduire le coût du kilowattheure [kWh] par rapport au DDO [fuel distillé] et au HFO [fuel lourd].
De quel ordre de grandeur sera cette baisse du coût du kWh, qui reste élevé pour le moment, à 139 F CFA (20 centimes d’euros) ?
Évidemment, nous ne pourrons pas être plus royalistes que le roi. Nous importons 60 % de notre consommation d’électricité depuis la Côte d’Ivoire et le Ghana. Les interconnections sont salutaires car elles permettent à nos pays d’être solidaires en matière d’électricité, en favorisant les importations basées sur l’avantage comparé de chacun. La Côte d’Ivoire possède du gaz et une capacité hydroélectrique, elle a donc un avantage comparé au Burkina, qui importe le DDO et le HFO.
Notre objectif est de minimiser notre dépendance à ces produits en augmentant la part du solaire, moins cher comparé aux autres énergies. Ainsi, le prix du kWh produit par une centrale solaire au Burkina est trois fois moins élevé que celui d’une centrale thermique (40 F CFA contre 120 F CFA).
L’Afrique de l’Ouest se prépare à ouvrir son marché régional de l’électricité. Comment le Burkina va-t-il s’y positionner ?
Si nous achetons de l’énergie en Côte d’Ivoire, c’est parce que sa production est plus abordable que la nôtre. Nous nous positionnons sur le solaire, qui a un grand potentiel. Il nous confère un avantage par rapport aux autres pays : dans nos pipelines, nous avons 250 MW de solaire, dont 150 MW en construction. Notamment à travers le projet « Yeleen », que nous développons avec la Banque mondiale, l’Union européenne et la Banque africaine de développement, qui va apporter une puissance de 50 MW de solaire et 10 MWh de stockage.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">NOUS ALLONS CONSTRUIRE UNE CENTRALE SOLAIRE SOUS-RÉGIONALE, QUI PERMETTRA AU BURKINA D’EXPORTER DE L’ÉLECTRICITÉ
En outre, dans le cadre du Wapp [Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain], nous allons construire une centrale solaire sous-régionale dont la vocation est de permettre au Burkina d’exporter de l’électricité. Nous attendons la construction de la ligne dorsale nord, qui part du Nigeria et passe par le Niger, pour assurer le transport de cette production solaire vers le Mali et d’autres pays.
Enfin, le Millenium Challenge Account va nous permettre d’investir plus de 300 milliards de F CFA pour renforcer le réseau de transport et de distribution électrique.
Deux ans après la reprise par l’État du permis d’exploitation au groupe de Frank Timis, où en est le projet de développement de la mine de manganèse de Tambao ?
Tambao est un projet emblématique. En tirant les leçons de notre expérience avec le groupe Pan African Minerals, il convient d’installer les garde-fous nécessaires pour que, dès le départ, ce projet réponde aux aspirations de la population. Cette fois-ci, nous avons l’intention d’associer les capitaux burkinabè au démarrage du projet Tambao.
Tout d’abord, il s’agit de régler l’épineuse question du transport et de la logistique : il faut réhabiliter le tronçon ferroviaire Ouaga-Kaya, construire une nouvelle ligne de Kaya à Tambao (soit 140 km) et bitumer l’axe routier Dori-Tambao. Ensuite, l’exploitation du gisement de manganèse doit s’accompagner d’un plan sécuritaire avec des bases militaires dotées de moyens modernes de surveillance (drones, avions, etc.).
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">NOUS ALLONS DÉLIVRER AUX ORPAILLEURS UNE CARTE D’ARTISAN MINIER
Enfin, dans le cadre de la relance des activités à Tambao, nous étudions l’option d’un mécanisme de développement pour le Sahel, car ce gisement peut représenter un tournant décisif dans le processus de développement du Burkina. Nous avons reçu treize manifestations d’intérêt, dont l’une émanant d’un consortium d’hommes d’affaires burkinabè. La commission chargée de réfléchir à la relance du projet a travaillé d’arrache-pied. Un dossier sera présenté d’ici au mois de juin.
De quels moyens disposez-vous pour encadrer l’orpaillage ?
Plus de deux millions de Burkinabè travaillent dans l’orpaillage et plus de 20 tonnes d’or sont produites par an de façon illégale… Imaginez la masse d’argent qui échappe au contrôle de l’État et du fisc. Cela alimente les réseaux mafieux et le terrorisme. Nous connaissons le circuit clandestin de ce trafic aurifère, qui transite par des pays voisins comme le Ghana, le Mali ou encore le Togo. Entre 5 et 10 tonnes d’or sortent du Togo chaque année alors même que ce pays n’en produit pas…
Nous devons régler ce problème fondamental et avons engagé le dialogue avec le syndicat des orpailleurs. Nous ne pouvons plus nous regarder en chiens de faïence. Le ministre délégué et moi-même avons assisté à leur assemblée générale afin de les rassurer sur le fait que nous sommes là pour protéger le secteur.
Nous allons démarrer les activités de raffinage pour sécuriser les sites de production d’or et innover en matière de traçabilité, mais aussi délivrer aux orpailleurs une carte d’artisan minier. Enfin, nous prévoyons d’autres mécanismes incitatifs pour les encourager à s’orienter vers une exploitation semi-mécanique, voire semi-industrielle.