Quel profil pour le nouveau gouvernement au Mali ? La difficile équation de Moctar Ouane

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Mis à jour le 17 mai 2021 à 09h09
Le Premier ministre de la transition au Mali, Moctar Ouane (ici en mars 2016 à Alger).


Le Premier ministre de la transition au Mali, Moctar Ouane (ici en mars 2016 à Alger). © REUTERS/Louafi Larbi/File Photo

 

Reconduit à la primature, Moctar Ouane a été chargé de former un nouveau gouvernement. Mais entre les exigences de la classe politique et les revendications des syndicats et de la société civile, l’équation s’avère difficile à résoudre.

La démission du Premier ministre Moctar Ouane a suscité peu de réactions à Bamako. « Ce remaniement n’est pas une victoire du M5, mais c’est la chronique d’une mort annoncée », affirme même à Jeune Afrique Mohamed Aly Bathily, membre du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Dix mois mois après la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), et neuf mois après le début officiel d’une transition qui doit, théoriquement, durer 18 mois, le climat politique est particulièrement tendu.

Aux crispations politiques s’est ajouté le retour d’une grogne sociale un temps mise en sourdine. Les autorités de la transition, conscientes de la nécessité de sortir de l’ornière, avaient d’ailleurs tendu la main aux nombreux mécontents. Début mai, à l’initiative du président Bah N’Daw, le Premier ministre Moctar Ouane – qui vient d’être reconduit à son poste après la démission du gouvernement –  avait ainsi entamé une série de rencontres avec les acteurs politiques et de la société civile en vue de renouer le dialogue.

Sortir de la défiance

Le M5 avait alors réclamé, par la voix de Choguel Maïga, président du comité stratégique du mouvement, « la démission du gouvernement » et une « rectification de la transition ». Faut-il voir la démission du gouvernement comme une victoire du mouvement ? Surtout, la composition du futur exécutif correspondra-t-elle aux exigences, nombreuses et divergentes, qui se sont exprimées ces derniers mois ? Le remaniement suffira-t-il pour en finir avec la défiance qui prévaut entre les autorités de la transition et une partie de la classe politique ? 

Un ministre de l’équipe sortante ne fait pas mystère de la volonté qui sous-tend ce remaniement. Cette « phase 2 de la transition » sera, à l’en croire, plus « inclusive », et le gouvernement à venir fera à la fois « plus de place à la classe politique » et aux représentants de la société civile. Dans cette perspective, le M5 ne cache pas son envie de prendre sa part des postes à pourvoir. « Je ne serai pas contre la participation du M5 au gouvernement, confie Mohamed Aly Bathily. Je souhaite que le Mouvement puisse avoir d’autres alternatives, pour faire avancer ses idées, que d’être en permanence dans une stratégie de revendication et de renversement des régimes. »

Au-delà de la seule chasse aux maroquins, Bathily assure que le M5 entend s’impliquer pleinement dans le processus électoral en « veillant à la mise en place d’un système libre et transparent » et en veillant, également, à ce que les enquêtes sur la répression lors des manifestations contre IBK soient menées à leur terme. Autre cheval de bataille du M5 : « Mettre en lumière la corruption sous l’ancien régime ».

                                               Des électrices consultent les listes électorales, le 28 juillet 2013 à Kidal (illustration). © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Du côté du Rassemblement pour le Mali (RPM), l’ancien parti au pouvoir, un retour au gouvernement n’est pas exclu non plus. « Nous œuvrons inlassablement au retour à un mode constitutionnel normal. Le parti a toujours montré sa disponibilité et sa volonté d’aider la transition. Nous restons constants sur cette ligne », assure BaberGano, le secrétaire général du parti.

Mais les huit mois qui viennent, à l’issue desquels la transition doit arriver à son terme, seront compliqués pour l’exécutif. « Le remaniement est une tentative de correction qui tombe tard. On aurait gagné du temps en passant à l’inclusivité plus tôt », regrette Houssein Amion Guindo, leader de la Convergence pour le développement du Mali (Codem). À ce stade, Guindo estime que la seule marge de manœuvre qui subsiste porte sur le chronogramme proposé par le Conseil national de la transition (CNT)

La question de la répartition des postes et du calendrier électoral ne sont pas les seules équations que le futur gouvernement devra résoudre. « Au fil des neuf mois qui viennent de s’écouler, on a clairement constaté la persistance de pratiques anciennes. De la corruption, des détournements de fonds… Le gouvernement de transition aurait dû se saisir de ces dossiers dès le début de son mandat« , constate Boubacar Haïdara, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM), rattaché à Sciences Po Bordeaux. Pour le politologue, le plan gouvernemental présenté était utopique. Cette feuille de route était celle d’un plan quinquennal, qu’il est impossible de tenir en 18 mois. En ne se focalisant pas sur des points plus précis, le gouvernement s’est, au final, dispersé, sans rien résoudre. »

Apaiser le dialogue social

Autre inconnue pour le gouvernement à venir : la donne sociale. Le climat social, très tendu avant le putsch du 18 août 2020, s’est un temps apaisé dans les premiers mois de la transition. Mais les syndicats n’ont pas tardé à revenir à la charge, remettant sur la table leurs revendications. L’ancien gouvernement n’a pas su les convaincre.

Dans les heures qui ont précédé la démission de Moctar Ouane, le gouvernement sortant a d’ailleurs à nouveau prouvé son incapacité à trouver les voies d’un dialogue social apaisé. Après deux jours d’intenses négociations au cours desquelles l’Union national des travailleurs du Mali (UNTM) et le Conseil national du patronat Mali (CNPM) ont présenté leurs doléances aux ministres du Travail, des Finances, de la Justice et du Commerce, les discussions se sont terminées sans qu’un accord ne soit trouvé.

Sur ce front, comme sur le plan politique, le remaniement pourrait permettre de normaliser les relations entre les autorités et les différentes composantes du corps social. En procédant à ce remaniement, Bah N’Daw et son vice-président Assimi Goïta, jouent aussi la montre car le M5 avait annoncé son intention d’organiser de nouvelles manifestations à partir de la fin du Ramadan. Alors qu’il n’a pas trouvé de terrain d’entente avec le gouvernement quant à l’harmonisation des primes et la revalorisation de la grille salariale, l’UNTM a pour sa part appelé à une grève de quatre jours à partir du 17 mai. L’organisation syndicale menace que celle-ci devienne illimitée si aucun consensus n’est trouvé d’ici le 28 mai. « Avec ce remaniement, les acteurs syndicaux et les membres du M5 vont être dans l’expectative. Certains de leurs membres espèrent en effet y prendre place », souligne Boubacar Haïdara.