[Tribune] Tchad : le Conseil militaire de transition doit revoir sa copie

 
 

Par  Kordjé Bedoumra

Ancien ministre tchadien des Finances et du Budget, ex-vice-président à la Banque Africaine de développement

Ue manifestation violemment réprimée à N’Djamena, le 27 avril 2021, quelques jours après la mort du président Idriss Déby Itno.
Une manifestation violemment réprimée à N'Djamena, le 27 avril 2021, quelques jours après la mort du président Idriss Déby Itno. © ISSOUF SANOGO/AFP

 

Pour la réussite de la transition et en vue du dialogue national souhaité par tous, le Conseil militaire de transition (CMT) doit immédiatement modifier la charte actuelle, laquelle concentre trop de pouvoirs entre les mains de son président.

Après le décès tragique et inattendu du président Idriss Déby Itno, des inquiétudes légitimes ont été exprimées sur les risques d’instabilité dans la région du Sahel et au Tchad. Et le processus de transition actuelle ne fait que les alimenter.

Commandement absolu

En effet, « la charte de transition de la République du Tchad » annoncée par les militaires n’est pas une base suffisante et rassurante. Cette « Constitution » met en place un Conseil militaire de transition (CMT) sur lequel le président, Mahamat Idriss Déby, dispose d’un pouvoir absolu sur tout et décide seul de la transition. Il nomme et révoque les membres du CMT et peut modifier la charte comme il veut, y compris la durée de la période transitoire. Il nomme et révoque le Premier ministre et les membres du gouvernement, ainsi que les 93 membres du Conseil national de transition (CNT, Parlement), qu’il peut dissoudre. Ce Parlement devra approuver la nouvelle Constitution et voter les lois, dont celles qui vont régir les élections.

Les travaux et conclusions du CNT ou de toute conférence nationale qui se fondent sur cette charte sont donc tributaires des décisions du président du CMT. Il a ainsi la haute main sur la transition et sur ce qui en sortira. Une telle charte ne peut aboutir à une transition apaisée, démocratique et inclusive. Sa mise en œuvre va générer la contestation et l’instabilité.

Jeunes affamés  « prêts à l’emploi » pour jihadistes

Le peuple tchadien a été oublié dans la recherche de la stabilité au Sahel. Le Tchad est devenu un pays où tous les indicateurs socio-économiques sont au rouge ; il est classé parmi les derniers en Afrique. La corruption et l’impunité sont institutionnalisées. L’égalité des chances et d’opportunités entre les citoyens a disparu, la compétence apparaissant comme un délit. Les États qui voient le Tchad juste comme un pays de soldats capables de veiller sur leur sécurité à eux n’ont pas tort. Mais la grogne sociale commence à sourdre et l’implosion qui en découlerait aurait pour eux aussi des conséquences encore plus désastreuses.

Le boycott massif de l’élection présidentielle du 11 avril 2021 constitue en réalité un signe avant-coureur d’une lame de fond prête à ébranler les piliers déjà fragiles de notre pays. Une nouvelle dynamique de contestation est lancée depuis février 2021, se traduisant par des manifestations hebdomadaires, dont le pic a été atteint le 27 avril aussi bien en termes de mobilisation que de niveau de répression. La grande mobilisation de la diaspora tchadienne (Sénégal, USA, France, Canada, Angleterre, etc.) ne peut être réduite à de simples agissements d’activistes. Les Tchadiens espèrent, avec le décès du président Idriss Déby Itno, un vrai changement, surtout pour les jeunes, majoritairement analphabètes, démunis, affamés et « prêts à l’emploi » pour les mouvements armés, les mercenaires, les jihadistes, etc.

Risques de manipulation

Des pays du G5 Sahel à l’Union africaine en passant par la France et les Tchadiens dans leur majorité – de l’intérieur comme de la diaspora -, tous appellent à un dialogue « inclusif », « apaisé », pouvant aboutir à des « élections transparentes, libres et démocratiques ». Certes, les Tchadiens ont déjà connu plusieurs dialogues, qui n’ont pas été inclusifs et dont les décisions essentielles n’ont pas été mises en œuvre – ce qui les rend méfiants. Comme la conférence nationale souveraine de 1993, saluée par tous, ou plus récemment, en 2018 et 2020, les deux « conférences inclusives » destinées à revoir la Constitution et créer la quatrième République, mais auxquelles les partis d’opposition et la société civile n’avaient pas participé.

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UN BUSINESS DE LA RÉBELLION S’EST INSTALLÉ DANS NOTRE PAYS. IL FAUT Y METTRE FIN


Conseil militaire de transition du Tchad © CHADIAN PRESIDENCY/AFP

Pourtant, cette fois-ci, les chances de réussite sont grandes, même si les risques de manipulation sont tout aussi importants. Les prédateurs de la République espèrent également contrôler la transition pour préserver leurs intérêts, en intégrant le gouvernement de transition ou le CNT. Et des puissances extérieures pourraient être tentées d’imposer leur poulain, à la faveur de la charte. Les Tchadiens et leurs partenaires devront prendre en compte ces risques dans la recherche des solutions. Surtout, n’excluons personne. Chaque groupe de Tchadiens exclu ira chercher « l’aide extérieure » pour faire la guerre. Un business de la rébellion s’est installé dans notre pays. Il faut y mettre fin en trouvant des solutions ensemble, METTRE EN PLACE UN ORGANE COMPOSÉ DE PERSONNALITÉS NEUTRES, CRÉDIBLES ET INDÉPENDANTES, CHARGÉ D’ORGANISER LA CONFÉRENCE NATIONALE INCLUSIVE
Pour que la conférence souhaitée par tous soit un véritable succès – c’est-à-dire qu’elle débouche sur des « élections transparentes, libres et démocratiques » –, il faut respecter quelques étapes essentielles. D’abord, mettre en place un organe composé de personnalités neutres, crédibles et indépendantes, chargé d’organiser la conférence nationale inclusive, en concertation avec l’UA et les Nations unies. Ensuite désigner un facilitateur international crédible, accepté par tous, pour aider au rapprochement des différents acteurs, et aussi les assister dans des domaines comme la sécurité des participants et la recherche de financement, avec l’appui des partenaires. Enfin, organiser la conférence nationale inclusive avec toutes les forces politiques, politico-militaires et sociales tchadiennes : partis politiques, militaires, société civile, syndicats, diaspora, représentants religieux, personnes ressources. Cette conférence approuvera la charte de la transition, définira les organes de la transition et en nommera les membres, et adoptera leurs cahiers des charges.

Le CMT peut bénéficier du soutien de tous, en modifiant immédiatement la « charte de transition de la République du Tchad » actuelle pour donner des chances à la conférence nationale inclusive de se tenir librement, et, donc, quitter la scène la tête haute à l’issue de ses travaux. Il devra veiller à assurer les libertés individuelles et publiques pour tous, y compris ceux qui ne partagent pas son point de vue. La répression violente n’est pas une solution. L’armée continuera à jouer son rôle en matière de sécurité. Elle a annoncé que le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad ne représentait plus un danger non seulement au Kanem, mais sur l’ensemble du territoire national. Le CMT peut donc quitter la scène la tête haute à la fin de la conférence nationale inclusive.