Sahel : et si le coton permettait de stabiliser la région ?
Alors que l’opération Barkhane prendra fin début 2022, une stratégie tournée vers l’agriculture, et notamment vers la culture du coton, pourrait aider à contrer l’avancée des groupes armés.
Défense, diplomatie, développement. C’est sur ce triptyque que se fonde la stratégie militaire française au Sahel, depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. L’explication en est simple : la défense des citoyens et la préservation de l’intégrité territoriale des États sahéliens ne peuvent être assurés durablement sans une vigoureuse action diplomatique. Et des progrès significatifs en matière de développement et de réduction de la pauvreté sont plus que nécessaires.
Or la situation économique et sociale qui prévaut dans cette région classée parmi les plus pauvres du monde suscite nombre d’interrogations. Nous ne ferons pas ici l’historique de six décennies d’aide au développement. Rien que depuis le lancement en 2017 par la France et l’Allemagne de l’Alliance Sahel – dont la vocation était d’harmoniser et de coordonner les actions des bailleurs de fonds afin d’en accélérer la mise en œuvre –, les initiatives se sont multipliées, avec notamment le Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, en août 2019, puis, la coalition pour le Sahel, en janvier 2020.
Éviter la contagion
Cette effervescence traduit le souci légitime de trouver une solution afin que les populations du Sahel renouent avec l’espoir d’un avenir meilleur et puissent enfin connaître une paix durable. Mais cette profusion d’annonces révèle aussi une certaine exaspération face à l’enfermement de cette région dans un état endémique de mal développement.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">LA CULTURE DU COTON FACILITE L’ACCÈS À LA SANTÉ ET À L’ÉDUCATION
Aujourd’hui, les stratégies soutenues par les partenaires financiers des pays du G5 Sahel consistent, en premier lieu, à améliorer les conditions d’existence des populations directement touchées par les conflits, grâce à un meilleur accès aux services de base. Il s’agit ainsi d’intervenir directement auprès des hommes et des femmes en s’appuyant sur les acteurs de la société civile.
Simultanément, les autorités nationales et leurs soutiens financiers cherchent à prévenir l’extension des conflits par une approche territoriale d’endiguement de la menace. Elles mettent l’accent sur le développement économique et social des régions à la périphérie des crises pour les stabiliser et éviter une contagion vers l’ouest et le centre du continent.
Apaiser les conflits
Dans les régions soudaniennes, la culture du coton offre de réels atouts pour contrer la menace de l’avancée des conflits armés et de la violence extrême. Conduite en Afrique depuis plus de soixante-dix ans de façon traditionnelle, sans irrigation et avec très peu de mécanisation, elle a permis, à travers son organisation intégrée, de distribuer des revenus dans les campagnes, d’améliorer les pratiques agricoles et de contribuer à l’équipement des zones concernées. Elle facilite aussi l’accès aux services de santé et d’éducation et promeut des coopératives et des organisations professionnelles.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">AU MALI, 56 % DE LA PRODUCTION CÉRÉALIÈRE PROVIENT DES BASSINS COTONNIERS
L’exploitation cotonnière participe aussi fortement à la sécurité alimentaire, à travers la production d’huile de coton pour l’alimentation humaine. Grâce aux revenus monétaires qu’elle génère, elle permet d’acquérir des intrants et du matériel agricoles qui bénéficient directement aux cultures vivrières. À titre d’exemple, au Mali, 56 % de la production céréalière provient des bassins cotonniers. Dans le même ordre d’idée, à travers la production de tourteau, l’activité cotonnière peut aussi contribuer positivement au secteur de l’élevage en fournissant des aliments pour le bétail et en aidant à la structuration du pastoralisme. Une économie cotonnière performante peut par conséquent être un outil pour apaiser les relations entre les populations sédentaires et nomades.
Valeur ajoutée locale
Initiée par la France pour développer les zones rurales africaines et approvisionner son industrie textile, cette filière est donc une formidable opportunité pour créer de la richesse avec un fort impact social.
Principaux producteurs de coton d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, le Mali, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, le Togo et le Sénégal produisent à eux seuls 1,3 million de tonnes de coton fibre, ce qui représente 14 % du commerce mondial. Les superficies représentent dans ces pays environ 3,4 millions d’ha sur lesquels travaillent 2,5 millions d’agriculteurs. Au total, 30 millions de personnes vivent du coton. Il s’agit d’un système de production essentiellement familial, avec des exploitations de l’ordre d’à peine plus d’un hectare en moyenne.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">POUR CONTENIR LA DÉSTABILISATION TERRORISTE, LE COTON PEUT ÊTRE UNE VÉRITABLE MURAILLE BLANCHE
En 2019/2020, l’activité cotonnière a permis d’injecter dans les zones de production plus de 800 milliards F CFA (environ 1,2 milliard d’euros). Mais on peut regarder le coton différemment : il permet aussi l’industrialisation de l’économie grâce à la construction d’usines d’égrenage. Si les questions liées à l’accès régulier à une énergie peu chère et à la compétitivité monétaire pouvaient être réglées, il serait alors possible de créer davantage de valeur ajoutée locale à travers les activités de filature et tissage. Une telle perspective permettrait de poser les bases de la nouvelle relation que la France voudrait développer avec l’Afrique.
C’est à nos yeux un paradoxe de constater le réel avantage comparatif dont dispose cette filière dans la plupart des pays de la bande soudano-sahélienne et de déplorer dans le même temps l’absence d’une stratégie volontariste pour renforcer et développer ses acquis. Cette mobilisation est essentielle pour aider le secteur à franchir un nouveau cap vers davantage de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et de la biodiversité. Au moment où la communauté internationale cherche à contenir en Afrique la déstabilisation terroriste, le coton peut être une véritable muraille blanche pour y contribuer à une échelle significative.