Issoufou-Bazoum : jusqu’ici, tout va bien, par François Soudan

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Par  François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

« Check » entre le nouveau président Mohamed Bazoum (g.) et son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, lors de la cérémonie d’investiture, le 2 avril 2021, au Centre international de conférences de Niamey.
« Check » entre le nouveau président Mohamed Bazoum (g.) et son prédécesseur, Mahamadou Issoufou,
lors de la cérémonie d’investiture, le 2 avril 2021, au Centre international de conférences de Niamey. © BOUREIMA HAMA / AFP

Respectant la Constitution, Mahamadou Issoufou a passé la main et celui qu’il avait désigné comme son dauphin, Mohamed Bazoum, a été élu à la tête du Niger. Six mois plus tard, les relations entre les deux hommes semblent toujours au beau fixe.

Adouber un dauphin alors qu’on est encore assis sur le trône, puis lui laisser la place pour faire valoir son droit au repos : ce scénario apaisé plusieurs fois rejoué sur le continent (et ailleurs) se termine mal, dans la plupart des cas. De l’affrontement entre Ahidjo et Biya au Cameroun, qui déboucha sur une sanglante tentative de putsch, au bras de fer à la mauritanienne entre Aziz et Ghazouani, avec incarcération du premier par le second, en passant par le duel à distance entre l’Angolais dos Santos et son successeur Lourenço, les passages de témoins des présidents à leurs fidèles bras droits ont une fâcheuse tendance à tourner rapidement au vinaigre.

La faute à qui ? Aux deux en général : au sortant, qui n’avait pas mesuré ce qu’en termes d’influence, d’ego et de prestige signifiait la perte du pouvoir – et qui ne renonce pas à en tirer les ficelles – ; à l’impétrant qui, en fonction de la logique du « lui c’était lui, moi c’est moi », s’emploie vite à sortir de l’ombre de celui qui l’a fait roi, quitte à fonder sa légitimité sur un parricide symbolique.

Risques et avantages

Le Niger, où Mohamed Bazoum a succédé il y a un peu plus de cent jours à Mahamadou Issoufou, sera-t-il l’exception qui justifie la règle ? On a envie d’y croire et force est de reconnaître que jusqu’ici tout va bien. Les deux hommes sont des camarades de plus de trente ans. Et Issoufou a mûri, préparé et assumé son choix, dont il a pesé les risques et les avantages, dès les premiers jours de son second mandat, en 2016, qu’il savait être le dernier de par la Constitution. Surtout, l’ancien chef de l’État a anticipé, à 69 ans, une retraite active, afin de ne pas se retrouver dans une situation d’oisiveté, mère de toutes les amertumes. Pour sa troisième vie, le récipiendaire du prix Mo Ibrahim de la gouvernance, qui s’est vu honoré d’une statue à son effigie au siège de la Zlecaf à Accra, a lancé une fondation axée sur la prévention des conflits, la promotion de la démocratie et du développement durable.

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LE NOUVEAU CHEF DE L’ÉTAT VEILLE AVEC DÉLICATESSE À NE PAS FROISSER SON PRÉDÉCESSEUR

Au Cameroun, en Angola, en Mauritanie, mais aussi en Afrique du Sud, au Zimbabwe et ailleurs, c’est le parti au pouvoir qui a servi de prétexte et d’enjeu aux querelles de succession, le président sortant s’efforçant d’en conserver le contrôle au détriment de son héritier. Conscient du danger, Mahamadou Issoufou a laissé entre les mains de son successeur un PNDS uni, en ordre de marche et dans le fonctionnement duquel il n’intervient (presque) plus.

Réservoir de sagesse

Pas de faux pas apparent non plus du côté de Mohamed Bazoum. Le nouveau chef de l’État veille avec délicatesse à ne pas froisser son prédécesseur. Il sait que le choix porté sur sa personne par Issoufou était un pari audacieux et qu’il doit à son soutien une bonne partie des quelque 56 % de voix recueillies sur son nom en février dernier. Aussi avance-t-il avec précaution, y compris dans le traitement des affaires de détournements de fonds survenues entre 2016 et 2020, qu’on ne saurait certes attribuer à l’ancien président ou à sa famille, mais pour lesquels l’opinion exige la tête des coupables, fussent-ils proches du régime. Même prudence en politique extérieure, où Bazoum met ses premiers pas dans ceux de son prédécesseur, dont il partage les amitiés et (tout au moins pour l’instant) les inimitiés.

Jusqu’ici tout va bien, donc. Mais pour que cette phrase ne soit pas, comme dans le film, la dernière que l’on prononce avant le crash, il conviendra que ces deux hommes d’État qui se connaissent sur le bout des doigts sachent que les histoires de succession ne sont jamais des contes de fées – une lucidité nécessaire si l’on veut éviter qu’elles ne dégénèrent. Pour le reste, tout dépend de la capacité du réservoir de sagesse dont l’un et l’autre disposent. Apparemment, elle n’est pas négligeable.