[Mali, un an de crise] Assimi Goïta a-t-il pris goût du pouvoir ?

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Mis à jour le 19 août 2021 à 11h05
Le colonel Assimi Goïta, chef de la junte au pouvoir au Mali, le 24 août à Bamako avant une rencontre avec les représentants de la Cedeao.
Le colonel Assimi Goïta, chef de la junte au pouvoir au Mali, le 24 août à Bamako
avant une rencontre avec les représentants de la Cedeao. © Baba Ahmed/AP/SIPA


[4/5] Assimi Goïta affirme ne pas vouloir du pouvoir, mais rien ne se décide sans qu’il ne soit consulté. Et il n’est pas sûr que le tombeur d’IBK, devenu vice-président de la transition en septembre 2020, accepte de s’effacer.

Deux coups d’État en moins d’un an. Le Mali, déjà plongé dans une situation sécuritaire et économique difficile, tente aujourd’hui de se relever d’une énième crise provoquée par l’irruption de l’armée sur la scène politique. De la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août 2020, à celle de Bah N’Daw, en mai dernier, nous vous proposons cette semaine de revivre les moments marquants de la prise de pouvoir par Assimi Goïta.  Aujourd’hui, portrait de ce dernier, en jeune colonel, alors qu’il n’avait pas encore pris la décision de s’asseoir lui-même sur le trône dont il a chassé IBK. 

Costume bleu marine impeccable, sourire perceptible malgré le masque, Nana Akufo-Addo se tient sur le perron du Peduase Lodge. Ce 15 septembre, la résidence secondaire des présidents du Ghana, située sur les hauteurs d’Accra, abrite une réunion des chefs d’État de la Cedeao sur le Mali. Akufo-Addo observe son hôte grimper les escaliers : Assimi Goïta, jeune colonel de 37 ans devenu, à la faveur du putsch du 18 août, le président du Comité national du salut du peuple (CNSP).

Assimi Goïta est-il tendu ? Proclamé chef de l’État depuis la publication par le CNSP d’un acte fondamental au Journal officiel le 27 août, il sait que cette rencontre est l’occasion inespérée de convaincre la communauté internationale de sa bonne foi.

Pour la première fois, les militaires qui ont renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) ont la possibilité de s’expliquer face aux présidents de la sous-région qui exigent qu’ils regagnent leurs casernes. « Nous ne tenons pas au pouvoir », aiment répéter les membres de l’entourage de Goïta. Mais n’y ont-ils pas déjà pris goût ?

Le nouvel homme fort

Un mois et demi a passé depuis qu’IBK a été contraint à la démission. Assimi Goïta n’a pas troqué son treillis contre un boubou de chef d’État : il porte toujours le même uniforme que les Forces spéciales qui assurent sa sécurité et continue à circuler en Hummer.

Depuis son petit bureau du poste de commandement de la base militaire de Kati, auquel mène un escalier vétuste, il a procédé à des nominations à des postes stratégiques de l’armée et s’est entouré d’un cercle restreint de fidèles, qui le conseillent sur les questions juridiques, diplomatiques ou relatives à la communication. Il préside les réunions avec les partenaires internationaux, rencontre des personnalités influentes et a été nommé, le 21 septembre, vice-président de la transition. Cela ne fait aucun doute : c’est lui, le nouvel homme fort du Mali.

Dans la salle, ce 15 septembre, les échanges sont houleux. Le jeune sous-officier, habituellement réservé, doit se défendre. Il expose les conclusions des concertations nationales qui ont réuni les Maliens, du 10 au 12 septembre, à Bamako. Une charte et une feuille de route de la transition ont été élaborées.

Rencontre tendue


Assimi Goïta, derrière le président nigérien, Mahamadou Issoufou, à Accra, le 15 septembre 2020. © REUTERS/Francis Kokoroko

Un diplomate, qui a assisté à la rencontre, raconte la tension ambiante : « Assimi Goïta a clairement dit que les putschistes voulaient assurer la présidence de la transition, car il n’y a pas, selon eux, de civils neutres. Ils estiment que tous se sont compromis avec les anciens régimes. » Et d’ajouter : « Il a également demandé aux chefs d’État de lever les sanctions contre le Mali. Face à leur intransigeance, il est devenu nerveux. »

« Autant Sanogo [auteur du coup d’État qui a renversé Amadou Toumani Touré en 2012] était la caricature du militaire inculte qui arrive au pouvoir, autant Goïta est le symbole de l’opérationnel qui se retrouve embourbé dans des tractations politiques et stratégiques », résume Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute.

« [Les putschistes] sont de jeunes officiers de terrain. Ils sont par définition novices dans la gestion du pouvoir et se retrouvent du jour au lendemain à devoir s’occuper de gouvernance et de diplomatie et à participer à des médiations », confirme Hamidou Boly, représentant de la Cedeao au Mali.

De retour à Bamako, le bilan est mitigé. Mais, pour Goïta, le fait d’avoir été invité par Akufo-Addo et d’avoir pu s’entretenir en tête à tête avec le Guinéen Alpha Condé et avec le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré est déjà une forme de « reconnaissance ».

Assimi Goïta, l’inconnu

Le 19 août, lorsque le monde découvre à l’ORTM les visages des tombeurs d’IBK, celui d’Assimi Goïta est le moins connu de tous. À ses côtés, le colonel Malick Diaw, chef adjoint du camp de Kati, le colonel Sadio Camara, ancien directeur du Prytanée militaire de Kati, le colonel Modibo Koné, membre de la garde nationale et ancien commandant à Koro, et le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air.

Mais c’est à Goïta qu’est confiée la direction du CNSP. « Contrairement à ce qu’il s’est passé en 2012, ce coup d’État résulte d’une synergie entre officiers de plusieurs corps, souligne le chercheur Marc-André Boisvert, spécialiste de l’armée malienne. Ce putsch n’a pas nécessairement été planifié, mais il a été mûri. »

Fils d’un capitaine à la retraite, Goïta est issu d’une famille modeste. Il est originaire de Koutiala, dans la région de Sikasso, mais il a grandi à Koulikoro, à une soixantaine de kilomètres de Bamako – la famille s’y est installée à la faveur d’une affectation du père. Ses enseignants se souviennent d’un enfant appliqué et consciencieux. « C’était un très bon élève, raconte l’un d’eux. Il était assidu et solitaire. »

Plusieurs de ses frères et sœurs s’enrôleront, mais Assimi Goïta est le plus gradé de la fratrie. C’est un pur produit des écoles et des centres de formation de l’armée malienne : il intègre le Prytanée militaire de Kati en 1992 et se fait vite remarquer par ses instructeurs. Comme tous les autres leaders du CNSP, il est également passé par l’École militaire interarmes de Koulikoro. Là, il choisit l’armée de terre, spécialité « armes blindées et cavalerie ».

À sa sortie, en 2002, il est affecté au 134e escadron de reconnaissance de Gao. Il y reste trois ans puis rejoint le 123e escadron de reconnaissance de Kidal en tant que chef adjoint jusqu’en 2008. La même année, il est nommé commandant d’un groupement tactique chargé de lutter contre les groupes terroristes et les narcotrafiquants à la frontière entre le Mali et l’Algérie.

Goïta occupe par la suite différents postes à travers le pays, avant d’être détaché comme coordinateur des opérations spéciales du ministère de la Défense auprès du ministère de la Sécurité après l’attaque terroriste du Radisson Blu, en 2015.

En parallèle, il se forme en Allemagne, au Gabon et aux États-Unis. En août 2016, il se rend au Centre européen d’études de sécurité George C. Marshall, qui dépend du département américain de la Défense et du ministère fédéral allemand de la Défense. Sur l’une des rares photos de lui prises avant le coup d’État qui circulent sur internet, on le voit, rasé de près, poser à Garmisch, en Bavière, avec son diplôme.

« Posé et réfléchi »


Le colonel Assimi Goïta devenu « chef de l’État » malien, le 24 août à Bamako. © Baba Ahmed/AP/Sipa

Jusqu’au 18 août, le colonel Goïta commandait le Bataillon autonome des forces spéciales et des centres d’aguerrissement (BAFS-CA), créé en mai 2018 et basé à Sofara, dans le Centre du Mali, une région où l’armée est régulièrement accusée d’exécutions extrajudiciaires par l’ONU et des ONG. La fonction lui vaut le rang de sous-chef d’état-major de l’armée. « Son grade et son poste lui ont conféré une certaine notoriété au sein de la troupe, y compris en dehors de son bataillon », souligne un officier malien

Un haut gradé qui le connaît le décrit comme « posé et réfléchi ». « Il est proche des troupes et à l’écoute de ses hommes », ajoute un connaisseur de l’armée malienne selon lequel l’arrivée au pouvoir de ces colonels marque un tournant dans les relations entre la hiérarchie et les soldats déployés sur le front.

Peu de temps après le putsch, les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement deuxième et troisième vice-présidents du CNSP, ont d’ailleurs rendu visite aux hommes engagés, notamment dans le centre du Mali, afin de les rassurer et d’écouter leurs griefs. Et ce n’est pas un hasard si, le 6 septembre, Goïta a assisté aux funérailles des dix soldats morts à Guiré deux jours plus tôt : le président du CNSP a besoin de se montrer auprès de ses troupes. « Il est en quête de solennité et tente de se construire une stature de chef de l’État », explique Bakary Sambe.

Un junte de plus en plus décriée


L’imam Dicko, sur la place de l’Indépendance à Bamako, le 21 août 2020. © /AP/SIPA

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L’IMAM MAHMOUD DICKO A PRÉVENU : LES MILITAIRES N’ONT PAS CARTE BLANCHE

Célébrés en héros le 21 août sur la place de l’Indépendance par les manifestants qui avaient réclamé pendant des mois la démission d’IBK, les membres de la junte sont de plus en plus décriés. L’imam Mahmoud Dicko, figure de la contestation anti-IBK, a prévenu : les militaires n’ont pas carte blanche.

Dicko et Goïta se connaissaient-ils avant le 18 août ? Interrogé sur la rumeur insistante qui veut qu’il ait fait libérer Goïta alors que ce dernier avait été capturé à Tinzawatene (Nord) par les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), l’imam affirme ne pas s’en souvenir.

Quelques jours après le coup d’État, le religieux a reçu Goïta chez lui, dans le quartier bamakois de Badalabougou. Considérant que sa mission est désormais achevée, le religieux lui a annoncé retourner à ses prêches. Mais, alors qu’au fil des semaines il est apparu que les militaires renâclaient à s’effacer, il les a mis en garde. Goïta et la junte ne décideront pas seuls de l’avenir du Mali, a-t-il insisté.

Goïta l’a-t-il entendu ? Il a en tout cas renoncé à la présidence de la transition, laissant un ancien ministre de la Défense, Ba Ndaw, en devenir le visage. Lui s’est « contenté » de la vice-présidence, mais c’est plus qu’un lot de consolation puisqu’il aura la charge des questions de défense et de sécurité. Annoncée le 27 septembre, la nomination de Moctar Ouane au poste de Premier ministre ne devrait pas non plus entamer son influence.

À Accra, Goïta a tenu à rencontrer John Jerry Rawlings dans sa résidence privée. L’ancien lieutenant avait renversé Frederick Akuffo en juin 1979 avant de rendre le pouvoir aux civils quatre mois plus tard. Mais, mécontent du nouveau président Hilla Limann, il avait alors renversé ce dernier, en décembre 1981. Jerry Rawlings ne quittera finalement le pouvoir qu’en 2001. Le 15 septembre, il a dit avoir prodigué ses « conseils » au putschiste malien. Goïta rêve-t-il de suivre ses traces ?