Au Mali, que devient l’église catholique ?
Pax et Concordia a demandé au père Manolo Gallego, qui jusqu'à cet automne était vicaire de la cathédrale de Bamako, de dire comment l’Église du Mali traverse la grave crise qu’il connaît depuis deux ans. Dans ce pays où 90 % de la population est musulmane, les chrétiens sont une petite minorité.
Depuis la mort de Mouammar Kadhafi, le Mali traverse des temps difficiles à cause de la rébellion touareg de janvier 2012 ; ce n’est pas la première, il y avait eu des rébellions en 1963, 1990, 2006, mais cette fois-ci des centaines de combattants touaregs venant de Libye ont engagé les hostilités contre l’armée malienne dans les trois régions du nord (Gao, Kidal et Tombouctou) et en deux mois ils en ont pris le contrôle et déclaré l’indépendance de l’Azawad. Le MNLA (Mouvement National pour la Libération de l’Azawad) n’était pas seul : il y avait aussi AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), Ansar ed-Dine (les Combattants de la Foi), le MUJAO (Mouvement Unicité et Jihad en Afrique de l’Ouest) et même Boko-Haram.
Le 31 mars 2012, le MUJAO est entré dans la ville de Gao et, quelques jours après, le drapeau noir des salafistes d’Ansar ed-Dine et d’AQMI flottait sur Tombouctou. Le MNLA n’a pas les moyens de faire face à ces mouvements islamistes eux-mê- mes divisés entre eux, surtout par rapport à l’application de la charia et aux modalités de l’indépendance de l’Azawad.
L’invasion islamiste au Nord et l’instabilité politique et sociale dans la capitale, Bamako, ont affecté l’ensemble du pays. L’effet a été très négatif sur l’opinion internationale et l’économie malienne a beaucoup perdu : coopérants, entreprises et organismes abandonnant le pays, chute du tourisme, graves perturbations pour l’agriculture, le commerce, l’artisanat.
Beaucoup de personnes ont perdu leur emploi ; les prix des carburants, du gaz et des produits essentiels ont beaucoup augmenté.
En juillet et août 2013, les élections présidentielles, les premières après la prise du pouvoir en mars 2012 par le capitaine Amadou Sanogo, se sont déroulées dans de bonnes conditions. Ibrahim Boubacar Keita, un homme d’expérience, a été élu. Les législatives de novembre 2013 sont l’étape suivante.
Comment avons-nous vécu ces événements ?
Lors de nos journées diocésaines de Bamako, en juin 2012, les gens se sont exprimés et ce qui ressortait le plus était « la perturbation générale » : les informations manquaient, on ne savait pas qui disait la vérité, une certaine familiarisation avec la violence s’installait, les gens avaient peur de se déplacer. Les gens du Nord arrivaient dans nos familles et nos écoles, les salaires étaient versés en retard, les prix augmentaient, beaucoup d’activités pastorales étaient suspendues à cause de l’état d’urgence. Les chrétiens parlaient de la peur de voir l’installation d’un État islamique avec tout ce que cela implique (la Charia, etc.) : en fait, c’est comme si l’islam africain n’avait aucune valeur et devait être remplacé par l’islam wahhabite d’Arabie Saoudite.
Un autre fait à souligner - une première dans l’histoire du Mali – a été la création d’un ministère des Affaires religieuses et du culte par le Gouvernement d’Union nationale, ministère confié à un membre du Haut Conseil islamique, qui a suscité bien des appréhensions et des questions. Un des premiers à réagir fut le docteur Soumana Sako, ancien Premier Ministre, pour qui ce ministère constitue un véritable danger et il a martelé sur les antennes de RFI : « Les pouvoirs publics ont cédé devant l’intégrisme musulman. Nous craignons que ce ne soit une politique d’apaisement à l’égard des salafistes qui contrôlent le Nord. Pour nous, c’est une erreur très grave ». Après les présidentielles, ce ministère a été confié à une personnalité moins marquée
. Un autre défi à relever pour la communauté chrétienne est le projet d’un nouveau Code des personnes et de la famille. Avec la crise que vit le pays, toutes les actions de développement ont été réorientées vers des activités humanitaires : partage de nourriture, attention aux victimes de la guerre, aux personnes réfugiées et
déplacées (400.000 dans les pays limitrophes et 300.000 vers le Centre et Sud du Mali) ; ainsi Caritas Mali a organisé la solidarité avec toutes les populations sans distinction, à Bamako et dans les régions. Des quêtes ont été organisées dans les églises pour aider les malades et les victimes de la guerre. La Conférence épiscopale du Mali, en janvier 2013, a ainsi pu remette une enveloppe de 1,5 millions de francs CFA (2300 euros) au gouvernement pour les blessés de guerre.
Nos chemins d’avenir ? Je vous propose deux textes, le premier du capitaine Sanogo et l’autre des
évêques du Mali ; ils expriment bien la réalité du peuple malien et le chemin à suivre pour un avenir meilleur.
« Personne ne viendra construire le Mali pour nous. Nos pères ont fait de leur mieux, ont eu leur chance et posé des actes. Nos mamans ont posé des actes, elles ont fait de leur mieux pour ce pays. Chacun a sa part et sa contribution dans la construction de cette nation. Chacun a son rôle à jouer face à l’histoire, mais aujourd’hui c’est à nous la jeunesse de faire l’histoire de ce pays. Il est temps pour nous tous de se donner la main, d’enterrer la hache de guerre, d’oublier les querelles personnelles et d’essayer de bouger comme un seul homme, pas pour le Capitaine, pas pour le Président, mais pour le peuple malien. » Avant d’ajouter : « Certes, par la grâce d’Allah le Tout Puissant, le Mali est à genoux, mais ne tombera pas ». (Le capitaine Amadou Haya Sanogo lors de la réception de l’athlète Mamadou Camara, L’Indépendant, 5/9/2012).
Lire la suite au sujet de la situation actuelle du Capitaine Sanogo, sur FranceTV info.
(Informations publiées le 28 novembre 2013)
Les évêques du Mali, le 27 Septembre 2012, avaient adressé un message à la communauté catholique pour que « cette souffrance ne nous entraine pas au découragement, à la démission ou à la peur » et ils nous exhortaient à vivre ces quatre orientations :
Garder confiance en Dieu et persévérer dans la foi en son Fils Jésus, le Sauveur, à qui obéiss
ent toutes les tempêtes. L’épreuve que vit notre pays est celle de notre Église.
Cultiver la paix : le chrétien est un artisan de paix, cette paix qu’il doit semer en tout lieu et en toute circonstance.
Vivre la solidarité : l’heure est venue de vivre réellement cette vertu, surtout envers tous nos compatriotes : les réfugiés dans les pays voisins, les déplacés dans nos villes et campagnes, les veuves et orphelins de la crise, les détenus et les personnes mutilées.
Prier : il faut prier sans cesse, nous dit Jésus. Forts de cette recommandation de notre Seigneur et de celle de saint Paul aux Romains
« soyez joyeux dans l’espérance, patients dans la détresse, persévérants dans la prière » (Rm 12,12), nous vous invitons, individuellement et en communauté, à persévérer dans la prière tout en restant vigilants.
Manolo Gallego, Père Blanc (article écrit en juillet 2013)