Sénégal : les élections locales, premier grand test pour Macky Sall avant 2024
Toutes les listes d’investitures pour le scrutin du 23 janvier 2022 ont désormais été déposées. Qui sont les principaux candidats ? Quels grands duels ? Quels enjeux ? Jeune Afrique fait le point.
Une première grande étape a été franchie dans la nuit de mercredi 3 novembre au Sénégal, dans la perspective des élections municipales. Les différents partis, coalitions et listes indépendantes du pays avaient jusqu’à minuit pour déposer la liste de leurs candidats pour le scrutin du 23 janvier 2022. « Je n’ai pas dormi depuis 48 heures, mais on commence à en voir le bout », confiait un membre d’une des principales coalitions de l’opposition.
Jusqu’au bout, la constitution de ces listes aura donné lieu à d’intenses tractations au sein des formations politiques. Et généré frustrations, déceptions… et quelques trahisons. Tour d’horizon des grands enjeux de ce scrutin, local certes, mais qui pourrait avoir des implications nationales cruciales pour la suite du second mandat de Macky Sall.
NOUS AVONS 2024 EN LIGNE DE MIRE, ASSURE UN CONSEILLER DE L’OPPOSITION
Pourquoi ces élections seront cruciales ?
Plusieurs fois reporté par le pouvoir, ce scrutin municipal sera le premier depuis la réélection de Macky Sall, en février 2019. Situé à mi-chemin de son deuxième mandat – qui prendra fin en 2024 -, dont on ne sait pas encore s’il sera le dernier, il fera figure de premier grand test avant la présidentielle. « Quand Idrissa Seck a rejoint le pouvoir [en novembre 2020], on s’est dit que Macky Sall était encore plus fort, confie le président d’un parti allié au PDS. Il fallait créer quelque chose. » « Nous avons 2024 en ligne de mire : plus nous gagnons de collectivités [aux locales], plus nous avons de chances de voir le pouvoir changer de camp », ajoute le conseiller d’un candidat de l’opposition appartenant à la coalition concurrente.
« C’est une erreur de penser que les élections municipales ont un enjeu national. Les locales sont avant tout des affaires de cuisine interne au sein des partis et des coalitions », estime pour sa part un opposant de longue date à Macky Sall. Plus que jamais, ce scrutin laisse la part belle aux ambitions personnelles et aux luttes intestines : de quoi fragiliser certaines alliances historiques ?
Selon nos informations, la plupart des coalitions semblent avoir observé le même principe, souffrant forcément des exceptions : reconduire les maires sortants, vainqueurs du précédent scrutin. Évidemment, les choses se compliquent lorsqu’il s’agit d’une commune à conquérir.
Élus pour un mandat de cinq ans au suffrage universel direct, les maires seront choisis selon deux modes : un scrutin proportionnel et un scrutin de liste majoritaire à un tour. En d’autres termes, la première liste qui l’emporte, d’une seule voix ou plus, donne à la personne qui la dirige l’assurance de devenir maire. Un mode d’élection qui rend les coalitions très importantes pour s’assurer la victoire.
Le scrutin peut-il fragiliser certaines alliances ?
L’exemple le plus parlant est sans contexte celui de Benno Bokk Yakaar (BBY). La coalition présidentielle réunit en effet, en plus de l’Alliance pour la République de Macky Sall, une kyrielle d’autres partis et coalitions, qui pourraient bien avoir envie de présenter des listes parallèles. En octobre dernier, JA racontait comme Macky Sall et ses proches ont tenté au maximum de limiter la casse, grâce à des investitures censées assurer la victoire et éviter la sécession de leurs alliés. Des choix difficiles qui n’ont pas fait que des heureux. Ainsi, l’allié de Macky Sall et maire sortant de Ziguinchor (Casamance), Abdoulaye Baldé, n’a pas été investi par la coalition BBY… dont il a immédiatement claqué la porte pour présenter sa propre liste.
LES AMBITIONS DIVERGENTES ONT FAIT ÉCLATER LA GRANDE COALITION DE L’OPPOSITION
Au sein du parti socialiste, allié de Macky Sall depuis 2012, plusieurs listes parallèles ont aussi été déposées – la formation continue néanmoins de revendiquer sa loyauté à la majorité. À Podor, la maire sortante Aïssata Tall Sall, l’actuelle ministre des Affaires étrangères qui a récemment rallié BBY, a cédé sa place à la surprise générale. « Après douze ans à la tête de la commune, j’ai pris librement la décision de ne pas me représenter. Suite à mon entretien avec le président Macky Sall, j’ai exprimé le vœu que la liste de Benno Bokk Yakaar à Podor soit consensuelle, ouverte à toutes les forces politiques en présence. », a déclaré la « Lionne du Fouta », ouvrant la voie à la candidature de l’homme d’affaires Mamadou Racine Sy.
Au sein de l’opposition également, les ambitions et les stratégies divergentes ont fait éclater la grande coalition censée faire barrage à Macky Sall, qui fera campagne en rangs dispersés.
Pourquoi la bataille de Dakar attire tous les regards ?
« Le seul enjeu réel de cette élection, c’est Dakar. », assène un ministre de Macky Sall, également candidat dans sa propre commune. L’importance de la capitale et de sa banlieue est évidente, tant d’un point de vue démographique (4 millions d’habitants environ, soit près d’un quart de la population totale du pays) que symbolique. Si le bulldozer BBY a remporté la majorité des communes du pays lors des précédentes locales, elle n’a pas su ravir Dakar à l’opposition. La maire sortante Soham El Wardini – qui assure l’intérim depuis l’emprisonnement de Khalifa Sall – est d’ailleurs candidate sur une ligne indépendante.
Au total, on dénote pas moins de sept candidats à la mairie. Le ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr, maire de la commune de Yoff et membre du parti présidentiel, est en bonne position pour l’emporter. Il est néanmoins en concurrence avec un autre membre de la majorité et conseiller du président, le ministre d’État Mbaye Niang. Du côté de l’opposition, le maire de Mermoz-Sacré-cœur, Barthélémy Dias, proche de Khalifa Sall et populaire à Dakar, a également ses chances. Ils seront en compétition avec Soham El Wardini et l’ancien député libéral Doudou Wade (Wallu Sénégal), neveu de l’ancien président Abdoulaye Wade mais aussi avec l’ancien maire de la capitale Pape Diop (Bokk Gis Gis) et le magnat des médias Bougane Gueye Dany (Geum Sa Bopp).
ZIGUINCHOR ET SAINT-LOUIS FERONT L’OBJET D’ÂPRES BATAILLES POLITIQUES
Quels seront les autres grands duels ?
Plusieurs communes feront également l’objet d’âpres batailles politiques, comme la capitale casamançaise Ziguinchor, déjà au cœur de tensions et de violences. L’ancien candidat à la présidentielle Ousmane Sonko, dont le parti Pastef participera pour la première fois à un scrutin local, affrontera l’apériste Benoît Sambou, et le dissident Abdoulaye Baldé. À Saint-Louis, le sortant Mansour Faye, beau-frère du chef de l’État et ministre des Infrastructures, affrontera pour BBY Mary Teuw Niane, président du conseil d’administration Petrosen et lui aussi membre du parti présidentiel.
Quelles sont les prochaines étapes avant le scrutin ?
À présent que les listes sont déposées, les préfets ont 48 heures pour en vérifier la validité. En cas d’irrégularité, le mandataire d’une liste problématique dispose de trois jours pour rectifier le tir, sous peine de voir sa candidature rejetée. Le préfet peut ensuite attendre jusqu’à 70 jours avant le scrutin pour diffuser officiellement les listes, soit le dimanche 14 novembre.