Mali : Assimi Goïta pressé de toute part
Lundi 8 novembre, les autorités maliennes ont officialisé auprès de la Cedeao leur volonté de reporter les élections prévues le 27 février 2022. Désormais, Bamako va devoir faire avec les sanctions de l’organisation et le mécontentement d’une partie de la classe politique.
La ligne rouge avait été clairement tracée par la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), mais les autorités maliennes ont fini par la franchir. C’est à l’occasion du sommet extraordinaire des chefs d’État de l’organisation, le 7 novembre, que la junte dirigée par Assimi Goïta a annoncé officiellement ce que chacun savait déjà : son souhait de repousser les élections présidentielle et législatives prévues le 27 février 2022. Soit poursuivre la transition entamée à la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta au-delà de dix-huit mois.
Si Bamako s’est justifié en invoquant la situation sécuritaire, le président nigérien, Mohamed Bazoum, et son homologue sénégalais, Macky Sall, ont déclaré que le seul but de la junte était de « gagner du temps ». Lors de sa dernière visite à Bamako en octobre, le médiateur de la Cedeao au Mali et ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, avait exhorté les autorités à rendre public un chronogramme clair d’ici à la fin du mois. En vain.
Face à ces manquements, le renforcement des sanctions de la Cedeao ne s’est pas fait attendre. Les dirigeants maliens et leurs familles ont désormais interdiction de voyager hors de la zone ouest-africaine et leurs avoirs financiers vont être gelés. Les membres du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif, sont aussi concernés par ces mesures coercitives. Selon toute vraisemblance, l’Union africaine et l’Union européenne vont emboîter le pas à l’organisation ouest-africaine.
Passage en force
Lundi 8 novembre au soir, le gouvernement malien est sorti de son silence. Dans un communiqué, Koulouba a annoncé prendre « acte du communiqué » des dirigeants de la Cedeao. Et a assuré « regretter les décisions prises lors de ce sommet qui ne tiennent pas suffisamment compte des aspirations profondes du peuple malien et des efforts déployés au quotidien par les autorités de la transition pour relever les défis multiformes auxquels le pays est confronté et pour une stabilité durable ».
Les partis politiques maliens, qui réclament depuis plusieurs mois déjà la tenue rapide de l’élection présidentielle, ont très vite dénoncé ce passage en force. « Nous sommes contre le report des scrutins. La lettre envoyée par les autorités maliennes à la Cedeao n’est pas issue d’une concertation nationale », lance, amer, Housseini Amion Guindo, le leader de la Convergence pour le développement du Mali (Codem).
Ce samedi 6 novembre, le Cadre d’échanges de partis et de regroupements de partis politiques pour une transition réussie, dont fait partie la Codem, a tenu un meeting au Palais de la culture à Bamako pour exprimer son rejet d’un éventuel report des élections et dénoncer la tenue des Assises nationales pour la refondation, qui participe, selon lui, à proroger la transition.
Le 16 septembre 2020, Assimi Goïta, qui était alors président du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), s’était rendu à Accra accompagné d’Ismaël Wagué, porte-parole de la junte militaire, pour participer à un sommet extraordinaire de la Cedeao sur le Mali. Alors que la junte avait initialement proposé une durée de transition de trois ans, Goïta avait consenti à s’engager devant les dirigeants de l’organisation ouest-africaine à organiser l’élection présidentielle dans un délai de dix-huit mois et promis de placer un civil à la tête du pays.
Un an plus tard, rien de tout cela n’a été respecté. Le militaire à la retraite Bah N’Daw, qui avait été investi président le 25 septembre 2020, a été renversé en mai 2021 à la faveur d’un second coup d’État et la transition va s’éterniser.
Embobiner pour reporter
Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui a poussé le discret colonel Goïta à rompre son engagement ? Lui qui disait ne pas s’intéresser au pouvoir… Après le deuxième putsch, le 24 mai, les signes annonçant la prorogation se font de plus en plus clairs. Dès sa prise de fonctions, le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, fait ainsi de la création d’un organe unique de gestion des élections et de la mise en place des Assises nationales de la refondation des priorités.
CHOGUEL MAÏGA A RÉUSSI À EMBOBINER LE PRÉSIDENT GOÏTA, QUI A ACCEPTÉ DE METTRE EN PLACE CET ORGANE
Longtemps réclamé par une partie de la classe politique et de la société civile, le projet d’organe unique avait été abandonné par le premier gouvernement de transition dirigé par Moctar Ouane et par la plupart des formations. « Au cours de cette transition, les partis politiques ont eu un avis unanime sur cet organe unique. C’est un souhait pour tout le monde, mais au regard du délai qui reste à la transition, il est impossible de le mettre en place, souligne Me Kassoum Tapo, ancien garde des Sceaux d’Ibrahim Boubacar Keïta. L’idéal aurait été de reporter sa mise en place et de laisser les futures autorités s’en charger. Mais Choguel Maïga a réussi à embobiner le président Goïta, qui a accepté de mettre en place cet organe », accuse-t-il.
Les contours de cet organe unique sont actuellement étudiés dans le cadre de discussions relatives à l’avant-projet de loi électorale. Des travaux cependant boycottés par une grande partie de la classe politique. Cet organe, qui devrait porter le nom d’ »Autorité indépendante de gestion des élections », va se substituer au triumvirat classique : la Commission électorale indépendante (Ceni), chargée de superviser le scrutin, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MADT), qui l’organisait jusqu’alors, et la Délégation générale aux élections (DGE), chargée du fichier électoral. Cette autorité sera composée de neuf membres choisis sur la base de leurs « compétences ». Elle aura aussi pour mission de proclamer les résultats définitifs de la présidentielle, un rôle auparavant endossé par la Cour constitutionnelle.
« L’organe unique permet d’éviter de tomber dans les contestations électorales », défend un membre du cabinet du ministre de la Refondation qui participe à son élaboration. À Bamako, les membres du gouvernement ont encore en tête le fiasco électoral des législatives de 2020, à l’origine de la crise qui a vu chuter IBK. Sommé par la Cedeao de présenter un nouveau chronogramme d’ici le début du mois de décembre, le gouvernement malien doit fixer un nouveau délai, mais lequel ? Cet exercice sera des plus difficiles tant les chantiers ouverts par les autorités à moins de six mois de la fin réglementaire de la transition sont grands.
Nouveau calendrier
Pour Djiguiba Keïta, secrétaire général du Parti pour la renaissance nationale (Parena), le gouvernement de transition, dont il pointe « l’incurie », doit « réunir les acteurs [concernés], ne serait-ce que pendant deux jours, pour proposer un nouveau calendrier ». « Si l’on peut mener les assises nationales dans les communes du Mali, on peut aussi organiser des élections. Il faut un nouvel agenda, qui respecte la date du 27 février 2022 », ajoute-t-il.
« La mise en place de l’organe unique contraint à réviser la Constitution du 12 janvier 1992. Cela permettra d’acter le transfert de compétences. Dans l’actuelle Constitution, les résultats définitifs sont proclamés par la Cour constitutionnelle et c’est aussi elle qui est habilitée à gérer les contentieux électoraux, explique Ibrahima Sangho, qui dirige la Synergie 22 des Organisations de la société civile du Mali. Si le gouvernement poursuit cette loi, elle va être votée au niveau du CNT, et tant qu’il n’y aura pas de révision constitutionnelle, la Cour va la rejeter. Il faut un minimum de six mois pour organiser les élections », déplore-t-il.
Outre la mise en place de l’organe unique, le gouvernement qui a promis de conduire des « élections libres et transparentes » a fait face à une faible mobilisation lors de la dernière campagne de révision ordinaire du fichier électoral qui s’est tenue du 1er au 31 octobre. Sur toute l’étendue du territoire national, seulement 23 000 personnes se sont déplacées, a regretté le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation. Coincés entre les attentes de la Cedeao et celles d’un front qui se dresse contre tout éventuel report des élections, Assimi Goïta et son Premier ministre devront faire preuve de consensus pour ne pas s’isoler davantage.