Sénégal : comment la classe politique a fait des locales un enjeu national

Par  - à Dakar
Mis à jour le 19 novembre 2021 à 12:41
 

 

Abdoulaye Diouf Sarr, Barthelemy Dias, Khalifa Sall . © Montage JA : Sylvain Cherkaoui pour JA ; Ousseynou Samb/Creative Commons

 

La bataille fait déjà rage pour ces scrutins de la mi-mandat, les premiers depuis la réélection de Macky Sall en 2019. Des échéances que ni la majorité ni l’opposition ne prennent à la légère.

La candidature du protégé de Khalifa Sall vient tout juste d’être déposée officiellement, et le voilà reparti dans l’arène. Ce vendredi 5 novembre, l’ancien maire de Dakar fait face à la presse pour défendre son camarade socialiste Barthélémy Dias, investi deux jours auparavant pour la capitale par sa coalition, et convoqué le 10 novembre par la justice dans le cadre d’une procédure en appel.

Khalifa Sall, qui ne croit pas à la coïncidence, critique alors une « volonté manifeste du régime de restreindre illégalement les droits à la liberté de mouvement d’un candidat » et dénonce « l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ». Comme une vieille rengaine dans un pays où certains opposants – Khalifa Sall compris – ont déjà cumulé mandats électifs et séjours en prison. Depuis cette déclaration, son protégé sera interpellé par deux fois par les autorités, le 10 puis le 17 novembre, avant d’être relâché quelques heures plus tard, sans qu’aucune charge ne lui soit notifiée.

La campagne des élections locales du 23 janvier 2022 n’avait pas encore officiellement commencé que celles-ci cristallisaient déjà les tensions et les ambitions d’une classe politique prête à tout pour aborder la présidentielle de 2024 en position de force. Qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, le choix des candidats a résulté de mois de discussions et de négociations au sein des différents partis politiques.

Pour la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), il s’agit avant tout de conserver son hégémonie à travers le territoire. Une hégémonie qui a peu à voir avec la déroute de la coalition au dernier scrutin local de 2014, et qui doit surtout beaucoup aux ralliements d’anciens opposants à la majorité. « 2014, c’était une première expérience, mais les choses seront différentes cette fois-ci, assure un conseiller du chef de l’État. Nous sommes conscients que l’opposition essaie de renverser le rapport de force et que l’avenir du pouvoir est en jeu. »

Défense et conquête

Les adversaires de Macky Sall espèrent ainsi (se) prouver que, malgré les ralliements successifs engrangés par Macky Sall depuis son arrivée au pouvoir en 2012, sa coalition a des failles. En voulant récupérer sous sa bannière une myriade de partis et de personnalités, Macky Sall a aussi choisi de s’entourer de poids lourds du paysage politique sénégalais, dont certains pourraient bien convoiter son propre siège. Saura-t-il conserver leur soutien tout en contenant leurs ambitions ?

Lors du remaniement ministériel de novembre 2020, le chef de l’État s’était séparé de fidèles jugés présidentiables, à la faveur de certains nouveaux alliés. Un temps pressenti pour mener la bataille de Dakar, l’un d’entre eux, Amadou Ba, ex-ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, a été mis de côté au profit d’un membre du gouvernement, le ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr.

LA SEULE CHOSE QUI LES FÉDÈRE, C’EST LEUR REJET DE MACKY SALL

Le ministre d’État Mame Mbaye Niang, proche conseiller du président, s’est, quant à lui, porté candidat pour la capitale sur une liste parallèle dont personne n’imagine qu’elle n’ait pas reçu l’assentiment de Macky Sall. Avec un objectif évident : s’assurer un maximum de victoires et un minimum de défections au sein de la majorité. « Un nouveau problème se posera si un candidat qui se présente avec une liste dissidente remporte le scrutin », observe un ministre de Macky Sall, membre d’un parti allié. Normalement, ils doivent être sanctionnés, mais dans les faits la coalition aura tout intérêt à se rapprocher d’eux… »

Le camp présidentiel se rassure néanmoins en observant la division dans les rangs de ses adversaires. « La seule chose qui les fédère, c’est leur rejet de Macky Sall. Ils construisent uniquement des alliances électorales qui ne sont certainement pas politiques et qui ne durent pas. C’est pour cela qu’on les bat », plastronne le conseiller cité plus haut. Mais Macky Sall n’est pas victorieux partout, loin de là. Et son propre camp est conscient qu’il ne lui faudra pas seulement protéger les bastions sous contrôle, mais en conquérir certains. Dakar en tête.

Pour faire oublier la défaite cuisante de sa Première ministre Aminata Touré dans la capitale en 2014, il a fait le choix d’Abdoulaye Diouf Sarr, un Lébou, maire de la commune de Yoff, qui peut capitaliser sur la bonne gestion de la pandémie de Covid-19 par son ministère. Mais il devra convaincre face à plusieurs candidats de l’opposition, dont l’opposant Barthélémy Dias ou l’ancien maire de Dakar Pape Diop.

L’unité comme voie de salut ?

La bataille de Dakar sera aussi cruciale au niveau individuel pour Khalifa Sall, bien qu’il soit inéligible. Gracié par Macky Sall à la fin de 2019 dans l’affaire d’enrichissement illicite qui lui avait coûté ses fauteuils de maire et de député, le socialiste cherche toujours à récupérer ses droits civiques et politiques. « Pour Khalifa Sall, c’est une question de survie. S’il perd à Dakar, il sera temps pour lui d’aller se reposer », prédit un membre du gouvernement. Après des atermoiements, l’intéressé a donc décidé de lâcher sa remplaçante Soham El Wardini au profit de Barthélémy Dias, candidat de la coalition Yewwi Askan Wi (« libérez le peuple »), à laquelle appartient également Ousmane Sonko.

Et tant pis si cette dernière a décidé de se présenter sur sa propre liste. « L’unité, c’est un rêve que les gens nourrissent, mais dans les faits, ça n’existe pas », glisse le conseiller politique de Barthélémy Dias, Djibril Faye. Il reconnaît néanmoins qu’en se regroupant, l’opposition aurait pu générer de meilleurs scores aux législatives de 2017. Le maire de Mermoz-Sacré-Cœur nous confiait pourtant en juin que l’unité était « la voie de salut » des opposants en difficulté. « Ousmane Sonko nous a tendu la main à plusieurs reprises et tous savent ce qu’ils doivent faire pour s’unir », avait-il ajouté.

POUR KHALIFA SALL, C’EST UNE QUESTION DE SURVIE. S’IL PERD À DAKAR, IL SERA TEMPS POUR LUI D’ALLER SE REPOSER

Le Parti démocratique sénégalais (PDS), qui devait faire partie de cette coalition, a finalement choisi de se regrouper sous la bannière d’une autre formation, Wallu Sénégal. Et ne regrette rien. Il n’empêche que le parti d’Abdoulaye Wade, en perte de vitesse, a lui aussi besoin de ces élections pour prouver qu’il existe encore.

Au sein même de sa coalition, les velléités du PDS de dominer la formation avaient agacé ses alliés. L’ancien libéral Pape Diop a même décidé de quitter le navire, à la fin d’octobre. « Nous sommes d’égale dignité, mais avec des capacités électorales et politiques différentes », balaie Cheikh Dieng, l’un des onze secrétaires généraux adjoints du parti. Pour le PDS comme pour les autres partis, ces « capacités » seront mises à l’épreuve le 23 janvier. Il s’agira ensuite de se préparer pour la suite : les législatives sont toujours prévues pour juillet 2022, et la présidentielle se tiendra deux ans plus tard.