Cedeao : pourquoi un avion d’Air Côte d’Ivoire a été saisi à Bamako 

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 22 novembre 2021 à 17:23
 

 

Un avion d’Air Côte d’Ivoire, sur le tarmac de l’aéroport Felix Houphouët-Boigny d’Abidjan, en juillet 2017. © ISSOUF SANOGO/AFP

 

Suite à une décision de la Cour de justice de la Cedeao, un appareil exploité par la compagnie aérienne ivoirienne a été saisi. Voici les détails de cette affaire judiciaire hors normes. 

Selon nos informations, l’homme d’affaires congolo-malien Oumar Diawara a obtenu, le 22 novembre, la saisie au Mali d’un Airbus A319 immatriculé TU-TSZ exploité par la compagnie nationale Air Côte d’Ivoire. L’opération fait suite à la décision, le 22 octobre, de la Cour de justice de la Cedeao de lui réattribuer environ 50 hectares de terrains confisqués en 2020 sur décision du tribunal de première instance d’Abidjan, ainsi que de lui verser 1,3 milliard de francs CFA au titre de dommages et intérêts.

Situées sur les communes d’Angré, Assinie, Bingerville et Abatta, ces terres sont estimées à 15 milliards de F CFA. L’une des parcelles concernées doit accueillir un tronçon de la future autoroute Y4, qui contournera la capitale économique. Toujours dans l’attente de l’exécution du jugement, l’investisseur, également actif dans les secteurs du pétrole et du gaz en Afrique centrale, ainsi que du transport de produits raffinés et alimentaires dans l’hinterland ouest-africain, a décidé de saisir les avoirs de l’État ivoirien.

Marathon judiciaire

Le 19 novembre, au Mali, Oumar Diawara a obtenu devant la Cour suprême la formule exécutoire du jugement. Muni de l’arrêt de la Cedeao, que Jeune Afrique a consulté, un huissier accompagné de la force publique s’est présenté le 22 novembre à l’aéroport. L’immobilisation de l’appareil du vol HF 710 en provenance d’Abidjan a été enregistrée par l’Aviation civile et l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), qui ne lui ont pas donné l’autorisation de redécoller.

Depuis quatre ans, l’homme d’affaires est embarqué dans un véritable marathon judiciaire en Côte d’Ivoire, durant lequel ses multiples demandes de règlement amiable sont restées sans effet. S’estimant privé d’un procès équitable à Abidjan, il avait porté son dossier au niveau communautaire en avril 2021. Dans leur arrêt, les magistrats de la Cedeao avaient reconnu son préjudice, décrivant l’action de la juge ivoirienne Blanche Abanet Essoh comme « clairement motivée par la partialité, les préjugés et la mauvaise foi ».

L’affaire a débuté le 18 juillet 2017. L’investisseur fait l’acquisition, au travers de la société ivoirienne des dépôts douaniers (SIDD), dont il est l’unique actionnaire, de l’entreprise immobilière Perl Invest. Celle-ci est mise en vente par BNI Gestion, filiale de la Banque nationale d’investissement (BNI) ivoirienne, à la demande du CREPMF, le gendarme des marchés financiers de l’Uemoa, pour des raisons réglementaires.

Fin 2017, Oumar Diawara constate que les actifs de Perl Invest – au départ estimés à 100 hectares – ont été surévalués. Il met alors à jour un système d’abus de bien social et de détournement qui aurait été orchestré par Fatoumata Sakandé Cissé, ex-directrice générale de BNI gestion, que BNI vient de licencier pour faute lourde. Toujours présumée innocente, elle a néanmoins été renvoyée en juin devant le tribunal correctionnel.

L’homme d’affaires porte plainte contre elle, mais il se retrouve également accusé d’escroquerie par Souleymane Cissé, le président du conseil d’administration de BNI, qui le soupçonne d’être impliqué dans les détournements. Fin 2018, il est ainsi inculpé pour blanchiment et complicité d’abus de bien sociaux, sans même être entendu. Les avoirs de Perl Invest sont aussi gelés.

Volte-face

En mai 2019, Oumar Diawara saisit la Cour d’appel d’Abidjan. Informé du litige, Adama Koné, alors ministre de l’Économie, tente une médiation entre BNI gestion et le propriétaire de Perl Invest. Mais en septembre, à la veille de la signature du protocole d’accord – alors même que les parties semblent avoir trouvé un terrain d’entente -, il est rétrogradé au poste de ministre auprès du président de la République, chargé des affaires économiques et financières. Son successeur, Adama Coulibaly, qui n’est autre que son ancien directeur de cabinet, fait volte-face.

Constatant l’inaction de la Cour d’appel, Oumar Diawara et son conseil saisissent courant 2020 la Cour de cassation. Mais, la magistrate Blanche Abanet Essoh, en charge de l’instruction, refuse de transmettre l’affaire au procureur. Au mépris des procédures, elle poursuit son travail jusqu’en septembre 2020. L’avocate d’Oumar Diawara découvre alors un dossier vierge de toute audition. Ni les témoins, ni les parties civiles, ni Fatoumata Sakandé Cissé, l’auteure présumée des infractions, ni son client n’ont été interrogés. Elle constate aussi que les terrains de Perl Invest sont depuis une ordonnance du 17 avril 2020 placés entre les mains de la justice.

La juge dessaisie

En octobre, les juges de la Cour de cassation décident finalement de dessaisir la juge. Dans un courrier daté du 24 décembre 2020 et adressé à Moussa Sefon, conseiller juridique du président de la République, Oumar Diawara énumère ses ennuis judiciaires et se plaint de la pression exercée par Sansan Kambilé, ministre de la Justice depuis 2016, sur la Cour de cassation pour annuler la décision de dessaisissement.

L’HOMME D’AFFAIRES A DÉJÀ PRÉVU DE MENER D’AUTRES ACTIONS DANS LES ESPACES CEDEAO, UEMOA, MAIS AUSSI EN FRANCE.

En février 2021, les craintes de l’accusé se révèlent fondées. La Cour de cassation rend une décision qui autorise finalement la magistrate dessaisie à poursuivre son travail, ce qui permet à BNI Gestion de récupérer les terres. La décision pousse Oumar Diawara à se tourner vers la Cour de justice de la Cedeao.

Contactée par JA, la direction d’Air Côte d’Ivoire a indiqué tout mettre en œuvre pour libérer son appareil.

Si la saisie de l’appareil d’Air Côte d’Ivoire à Bamako est levée sans qu’il obtienne gain de cause, l’homme d’affaires a déjà prévu de mener d’autres actions dans les espaces Cedeao, Uemoa, mais aussi en France. Oumar Diawara n’en est pas à son coup d’essai. En 2004, en conflit avec le Crédit pour l’agriculture, l’industrie et le commerce à Brazzaville, il avait saisi en France des avoirs congolais, avant d’obtenir un accord lui accordant 13 millions de dollars.