Mali : entre Tiébilé Dramé et Choguel Maïga, la fracture Moussa Traoré
Face à un Premier ministre qui revendique sa filiation politique avec Moussa Traoré, l’ancien ministre d’IBK dénonce « l’hégémonie des partisans de la dictature ».
Rares sont ceux qui voyaient Tiébilé Dramé, réputé pour son tempérament calme et posé, endosser le rôle d’« opposant numéro 1 » au Mali. Et pourtant, depuis le début de la deuxième phase de transition, le président du Parti pour la renaissance nationale (Parena) est devenu l’un des adversaires les plus coriaces au gouvernement dirigé par le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga.
Alors que les nombreuses arrestations menées dans le cadre de la lutte anti-corruption – que certains qualifient de « procès politique » – ont muselé une partie de la classe politique, certains de ses ténors, craignant un éventuel retour de flammes judiciaire, se montrent désormais discrets. Mais l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a opté pour la stratégie inverse.
Un Premier ministre « partisan » ?
Ses proches assurent qu’ils ne sont pas opposés, sur le principe, à la transition. Mais le Parena affirme aujourd’hui regretter le chemin pris depuis le début de la « deuxième phase » de ce processus, marquée par l’arrivée de Choguel Maïga à la primature, le 7 juin dernier. « Nous avons toujours plaidé en faveur d’une transition inclusive et apaisée, confie Djiguiba Keïta, secrétaire général du Parena. Malheureusement, après la chute du gouvernement de Moctar Ouane, le Mali a eu affaire à un homme politique et un Premier ministre partisan. »
CHOGUEL ET SES HOMMES SE SONT INSTALLÉS, ONT FAIT DE NOMBREUX DISCOURS. MAIS RIEN DE CONCRET N’A ÉTÉ FAIT
Keïta affirme que son parti avait mis en garde les autorités de la transition, leur enjoignant de « privilégier un Premier ministre neutre, à l’instar de Moctar Ouane ». En vain. « Les acquis que nous avons obtenus sous l’ancien gouvernement, comme la mise en place du Comité d’orientation stratégique [créé pour appuyer la conduite des réformes politiques et institutionnelles prévues par la feuille de route de la transition], ont été supprimés. Choguel et ses hommes se sont installés, ont fait de nombreux discours. Mais finalement, rien de concret n’a été fait », martèle Djiguiba Keïta.
L’héritage de Moussa Traoré
Depuis que Choguel Maïga est aux commandes, Tiébilé Dramé n’hésite pas à employer des mots très durs à l’encontre du gouvernement et de ses alliés politiques. Au point de dresser un parallèle entre les nouveaux maîtres de Bamako et le régime du parti unique sous Moussa Traoré. « Jetant peu à peu les masques et cachant difficilement leur haine de la démocratie et du pluralisme politique, les héritiers du Comité militaire de libération nationale (CMLN) et de l’Union démocratique pour le peuple malien [parti de Moussa Traoré ] que sont Choguel Maïga et Jeamille Bittar ont multiplié les déclarations provocatrices et les attaques frontales contre les acquis démocratiques obtenus de haute lutte », accuse ainsi un communiqué signé par le président du Parena et daté du 22 novembre. Il y dénonce également « l’hégémonie des partisans de la dictature, qui utilisent le pouvoir d’État transitoire pour faire l’apologie du parti unique et menacer les libertés démocratiques. »
L’UN ORGANISAIT DES SIT-IN CONTRE L’ANCIEN PRÉSIDENT, L’AUTRE N’HÉSITE PAS À REVENIR SUR LEURS LIENS
La référence à Moussa Traoré est, pour Tiébilé Dramé, tout sauf anecdotique. Étudiant à Bamako dans les années 1970, ce dernier organisait des grèves et des sit-in avec ses camarades de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Uneem) pour combattre le régime. Des actions qui, à l’époque, lui ont valu plusieurs séjours en prison. Son opposition farouche au tombeur de Modibo Keïta le conduira même à prendre le chemin de l’exil, en 1981. Tiébilé Dramé ne rentrera au Mali qu’à la chute de Moussa Traoré, en 1991.
À l’inverse, Choguel Maïga, qui fut membre de l’Union nationale des jeunes du Mali, une organisation fondée par le régime, n’a cessé de se réclamer de l’héritage de l’ancien président. Ses premiers pas sur la scène politique, le Premier ministre malien les a faits à la tête du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), qu’il a fondé en 1997 et qui voulait porter l’héritage de Moussa Traoré.
Lors du 6e congrès du MPR, à Bamako, ce dimanche 12 décembre, Choguel Maïga n’a pas hésité à revenir sur ses liens avec l’ancien président malien, juste avant de livrer un plaidoyer en faveur d’une forme d’union nationale. « Pour nous, en période de transition, il n’y a ni majorité ni opposition. En cette période, le pays a un objectif à atteindre, assouvir trois besoins : un besoin de sécurité, un besoin de justice, un besoin de réformes politiques et institutionnelles », a lancé le Premier ministre.
Série d’arrestations
Une posture qui est loin de faire l’unanimité. Car, au-delà des positions idéologiques affichées par Choguel Maïga, nombreux sont ceux à l’accuser de s’engager dans une forme de plus en plus prégnante de judiciarisation de la vie politique malienne. Les arrestations récentes de certains des hommes politiques les plus critiques envers le Premier ministre – Issa Kaou Djim, l’ancien 4ème vice-président du Conseil national de transition (CNT), et Oumar Mariko, ancien membre du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP, dont Choguel fut l’un des principaux cadres), placé sous mandat de dépôt le 8 décembre dernier –, n’ont fait qu’accroître la défiance du Parena à l’égard du Premier ministre.
NOMBREUX SONT CEUX QUI ONT VU LA MAIN DE CHOGUEL DERRIÈRE LES PROBLÈMES JUDICIAIRES DE SES DÉTRACTEURS
« L’affaire Mariko a montré au grand jour le vrai visage de Choguel, estime ainsi Djiguiba Keïta. C’est un élève de la pensée unique, qui essaie aujourd’hui de se venger de l’un des tombeurs de Moussa Traoré. Et c’est inquiétant pour la démocratie. »
Le politologue Boubacar Haïdara, qui évoque un « climat politique délétère », estime lui aussi que « nombreux sont ceux qui ont vu la main de Choguel derrière les problèmes judiciaires de ses détracteurs ». Il estime par ailleurs que, dans les semaines à venir, « Tiébilé ne va pas se taire ». « Ce n’est pas un homme prompt à céder à la peur. Il faut se rappeler aussi que c’est l’une des figures à l’origine de la liberté d’expression au Mali », insiste le chercheur, faisant référence à la création du quotidien Le Républicain, en 1992, l’un des premiers organes de presse libre après les années Moussa Traoré.
Boycott des assises
La bataille qui s’amorce va se mener sur plusieurs fronts. Et d’abord sur celui de l’organisation des Assises nationales voulues par Choguel Maïga, qui ont démarré le 11 décembre après avoir été repoussées à deux reprises. Le parti de Tiébilé Dramé, à l’instar d’autres formations politiques, a décidé de boycotter les rencontres. Parce que « les maux et remèdes du Mali sont déjà connus, tranche Djiguiba Keïta. Cela a été discuté lors du dialogue national inclusif de 2019, qui a réuni toute la classe politique et la société civile ». Et parce que « ces assises sont un argument pour prolonger la transition », ajoute-t-il.
Le Premier ministre, lui, fait fi des critiques, et déroule le chronogramme qu’il s’est fixé. Force est cependant de constater que les rencontres organisées au niveau local ne rencontrent pas encore le succès escompté par le gouvernement.
L’opération séduction menée par le président de la transition Assimi Goïta auprès des acteurs politiques n’a pas suffi pour convaincre les réfractaires à y participer. Et ils sont nombreux : les assises ont en effet été contestées par les signataires de l’accord d’Alger de 2015, à savoir la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), la Plateforme et la Coordination des mouvements de l’inclusivité (CMI). Dans les faits, tous les grands partis politiques ont décidé de pratiquer la politique de la chaise vide, à la notable exception de l’Union pour la république et la démocratie (URD) – membre du M5-RFP – et de l’Alliance pour la démocratie au Mali – Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema – PASJ).
La promesse d’Assimi Goïta, faite lors du sommet extraordinaire de la Cedeao de ce dimanche 12 décembre à Abuja, de transmettre un nouveau chronogramme au plus tard au 31 janvier 2022 suffira-t-elle à calmer cette colère des partis politiques ? Rien n’est moins sûr.